Le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies estime que la décision du Conseil constitutionnel contre la loi Molac porte atteinte à la dignité, à la liberté, à l’égalité ainsi qu’à l’identité des personnes de langues et de cultures historiques minoritaires de France.
Dans une lettre adressée au gouvernement français le 31 mai, le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies revient sur la décision française du Conseil constitutionnel du 21 mai 2021 de censurer certaines dispositions de la loi Molac, en faveur des langues régionales.
La lettre de quatre pages est signée par trois rapporteurs spéciaux saisis par le réseau européen pour l’égalité des langues (ELEN): le Sud-africain Fernand de Varennes, spécialiste des questions relatives aux minorités, la Grecque Alexandra Xanthati, spécialisée dans le domaine des droits culturels et la Burkinabè Koumbou Boly Barry, expert en droit à l’éducation.
Ils craignent que “l’adoption et l’application de cette décision puissent entraîner des atteintes importantes aux droits humains des minorités linguistiques en France”. Ils estiment que la décision du Conseil constitutionnel porte “atteinte à la dignité, à la liberté, à l’égalité et à la non-discrimination, ainsi qu’à l’identité des personnes de langues et de cultures historiques minoritaires de France”.
La déclaration ne procède pas de la langue de bois, elle ne mâche pas ses mots.
Remontons un peu le fil de l’affaire.
L’an dernier, le Conseil constitutionnel avait censuré deux articles “essentiels” de cette loi : celui portant l’enseignement immersif dans une autre langue que le français (c’est-à-dire proposer des cours exclusivement en langue régionale) et celui sur l’utilisation de signes diacritiques comme le tilde (~) dans les actes d’état civil. Préparée par le député breton d’opposition Paul Molac (groupe Libertés et territoires), cette loi avait pour but de protéger le patrimoine des langues régionales et de participer à leur promotion. Une première depuis 70 ans. Elle avait d’ailleurs été largement adoptée le 8 avril 2021 par le parlement avec 247 voix pour, 76 contre et 19 abstentions, ainsi que par le Sénat, et ce malgré les oppositions du gouvernement Macron. Jean-Michel Blanquer, le très jacobin ministre de l’Éducation nationale était passé à l’attaque en poussant quelques dizaines de députés LREM à saisir le Conseil constitutionnel pour censurer la nouvelle loi. Mais face à une forte mobilisation venue des lointaines “provinces” le premier ministre se fendit d’une simple circulaire contredisant la haute juridiction. En somme, une circulaire anti-constitutionnelle. La protection juridique de l’enseignement en immersion demeure donc extrêmement fragile.
Deux poids, deux mesures
La décision du Conseil constitutionnel de censurer ces deux articles avait été jugée “incompréhensible” par le député du Morbihan, auteur de la proposition de loi. “Sur la carte d’identité, il va y avoir de l’anglais et c’est autorisé, avait-il notamment dénoncé. C’est deux poids, deux mesures”. Quant au rejet de l’enseignement en immersion, il estimait que c’était “une vision totalement dépassée”. “Cela met même en insécurité tout un tas d’écoles avec un enseignement en breton, catalan, occitan, basque”, s’était inquiété Paul Molac, en appelant le président Macron à initier un changement de la Constitution.
Le Conseil des droits de l’Homme à l’ONU est donc revenu le 31 mai sur cette décision pointant notamment “le traitement différentiel entre l’enseignement dans les langues minoritaires de France et la langue anglaise”. Et ce, “alors que l’enseignement immersif en langues minoritaires de France est interdit, l’enseignement en anglais sous toutes ses formes serait toléré sans difficulté”, relèvent les rapporteurs. Ces derniers estiment que cette décision contredit des traités internationaux signés par la France dans les années 1980 ou 1990, comme le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ou la Convention internationale sur les droits de l’enfant. “Cela fait longtemps que le comité des droits de l’homme se penche sur la façon dont la France traite ses propres langues minoritaires. Des recommandations avaient déjà été adressées au gouvernement, mais le problème, c’est que la France estime qu’il n’y a pas de minorités sur son territoire”, a commenté le député Paul Molac qui poursuit : “Si la France veut se mettre en conformité avec la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, alors elle devra revoir sa Constitution”.
Décidément, comme pour le droit de vote des femmes, la décolonisation ou l‘abolition de la peine de mort, la France qui s’autoproclame “patrie des droits de l’homme” et croit éclairer le monde par ses idées universelles, a toujours un temps de retard sur les autres démocraties occidentales.
Rappelons qu’à une époque, la loi sur la parité avait été considérée comme inconstitutionnelle. La Constitution avait alors été changée.
L’ONU et ses rapporteurs n’ont aucun pouvoir contraignant ou prescriptif. Ils ne peuvent pas prendre de sanction mais émettent des recommandations que les gouvernements prennent en considération ou pas. Dans le courrier adressé, les signataires de l’ONU demandent au gouvernement français des informations et des explications.