L’année de tous les défis en Catalogne (2/2)

Catalunya2La convocation par la justice d’Artur Mas, ex-président du gouvernement autonome, la prochaine comparution de Carme Forcadell, présidente du parlement catalan, sont symptomatiques du dialogue de sourds entre Catalogne et Espagne. Fin 2016, une tentative de négociation entre les deux camps a avorté. Le référendum sur l’indépendance est prévu pour septembre 2017, chacun rassemble ses troupes, fait ses calculs et affûte ses armes. Suite et fin de l’article de la News Letter Enbata.Info du 13 mars.  

Contrôler la police autonome

Faire appliquer concrètement une décision sur le terrain pose la question du contrôle de la police autonome catalane, les Mossos d’Esquadra. Face à deux ordres contradictoires —autoriser le vote ou empêcher son déroulement— comment réagiront les policiers? Assistera-t-on à un scénario très confus du type chute du mur de Berlin: absence d’ordre clair de la part de la hiérarchie (“faites ce que vous avez à faire”), des déclarations politiques contradictoires? Le tout il est vrai, dans un contexte de fin de règne et de déliquescence politique qui surprit le monde entier. Le gouvernement espagnol dispose d’un moyen constitutionnel qui apparaît comme l’arme thermonucléaire: la suspension de l’autonomie. Ses partisans s’appuient sur l’article 155 de la Constitution: “1.Si une Communauté autonome ne remplit pas les obligations que la Constitution ou les autres lois lui imposent ou agit de façon à porter gravement atteinte à l’intérêt général de l’Espagne, le gouvernement, après avoir préalablement mis en demeure le président de la Communauté autonome et si cette mise en demeure n’aboutit pas, pourra, avec l’approbation de la majorité absolue des membres du Sénat, prendre les mesures nécessaires pour la contraindre à respecter ces obligations ou pour protéger l’intérêt général mentionné. 2. Pour mener à bien les mesures prévues au paragraphe précédent, le Gouvernement pourra donner des instructions à toutes les autorités des Communautés autonomes”. Le hic est que cette formulation est assez générale et ne prévoit pas explicitement la suspension d’un statut d’autonomie ou la mise à l’écart provisoire d’un gouvernement autonome. Ce serait pourtant la seule formule légale pour prendre le contrôle des Mossos d’Esquadra. Le ministre de la Justice, Rafael Catalá déclare le 13 janvier que l’application de l’article 155 est sérieusement étudiée par le gouvernement central.

Urgence nationale et intégrité du territoire

Reste la loi sur la Sécurité nationale. Elle prévoit la prise de contrôle des polices autonomes lorsque se présente une situation “d’urgence nationale”. Mais cette notion reste floue sur le plan juridique: des exemples tels que les attentats terroristes(1) ou les tremblements de terre sont évoqués. Que risquent les 340.000 salariés du secteur public qui désobéiraient aux ordres de Madrid? Ils seraient passibles des délits suivants: désobéissance, prévarication, rébellion, sédition et trahison. Mais on imagine difficilement des magistrats poursuivre sur ces chefs d’inculpation chacun des fonctionnaires, même si leur nombre est réduit aux 20.000 salariés du gouvernement autonome. A la disposition des Etats, il y a enfin trois autres armes déjà partiellement appliquées. Une arme financière: couper peu à peu le robinet du Fond de liquidités autonomique, cela génèrera de graves problèmes de trésorerie pour la Generalitat désireuse de régler ses dettes. Suspendre les fonctions de tous les élus désobéissant aux décisions des tribunaux et surtout les inculper pour délits de sédition et de rébellion, entraînera des peines de prison. Enfin, l’article 8 de la Constitution: “Les forces armées, composées de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air ont pour mission de garantir la souveraineté et l’indépendance de l’Espagne, de défendre son intégrité territoriale et son ordre constitutionnel”. En d’autres termes, les chars dans la rue, comme à Budapest en 1956 ou à Prague en 1968. Au pays de Franco et de Tejero, cette hypothèse a des relents particuliers. S’opposer par les armes à une population qui veut voter, l’image fera très désordre dans la paysage européen. Les Espagnols marchent donc en terre inconnue et affirment vouloir répondre de façon proportionnée aux actions des Catalans.

Avancer la date du référendum

La gestion du calendrier fait aussi partie des moyens dont dispose le gouvernement catalan. En principe, le parlement approuvera fin juin les dernières lois de déconnexion. A partir de là et en fonction des décisions judiciaires de suspension des élus et des opportunités politiques, une course contre la montre va s’engager. Le jeu du chat et de la souris battra son plein. La date du référendum d’autodétermination risque à tout moment d’être avancée. Ensuite, tout ira très vite pour donner une légitimité au nouvel Etat: élections législatives, approbation de la Constitution et installation des nouvelles institutions. Mais l’imprévisible est aussi à prévoir. Dans un conflit politique de cette envergure, “on ne sort de l’ambigüité qu’à son détriment“, pour reprendre la célèbre formule du cardinal de Retz. Barcelone comme Madrid ne dévoileront leurs cartes que le moment venu et s’avancent masquées.

Futurs services secrets catalans

Dans son budget de 2017, le gouvernement autonome catalan provisionne discrètement 400 millions d’euros afin d’organiser le référendum et préparer les structures du futur Etat. La Generalitat a déjà sollicité des experts internationaux pour adapter l’administration du pays, selon un modèle inspiré de l’Europe du Nord: Finlande, Norvège et Danemark.

Sur les 801 juges en poste en Catalogne, quelques 300 d’entre eux seraient prêts à accepter le cadre légal de la république catalane de demain. Il convient donc de prendre les mesures qui s’imposent. Bien que la Catalogne ne dispose pas d’armée, des contacts seraient pris avec l’OTAN par Raùl Romeva qui fait office de ministre des Affaires étrangères.

Onze Etats de l’Union européenne, parmi lesquels la Lettonie, la Lituanie et la Slovénie seraient prêts à reconnaître la Catalogne indépendante.

Le 2 février, le président Puigdemont a reçu une soixantaine de consuls, représentants diplomatiques de leurs pays, parmi lesquels les USA, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, le Japon, le Canada, la Suisse, Israël, etc.

Dans son discours, il leur a confirmé que les menaces de Madrid ne parviendraient pas à freiner le référendum. Chacun sait combien les services secrets sont importants pour tout Etat. Une unité des Mossos d’Esquadra se formerait actuellement aux techniques du contre-espionnage dans un pays non européen. Ils seront chargés de lutter contre les services secrets espagnols qui ont pour mission depuis plusieurs mois de déstabiliser le pouvoir autonome catalan.

Enfin un Etat non européen serait prêt à accorder un crédit important pour soutenir les finances du futur Etat. Tout cela est à prendre au conditionnel, mais n’a rien de surprenant. Dans les palais nationaux comme dans les chaumières de Castille, de telles révélations font hurler.

L’autre grand chantier du gouvernement catalan porte sur la fiscalité. Il désire au pied levé collecter les impôts alors que la quasi totalité de l’administration fiscale est entre les mains de l’Espagne. Les services fiscaux catalans se sont procurés en partie de façon illégale, l’ensemble des données fiscales du pays: elles portent sur 7,4 millions de foyers fiscaux (personnes physiques) et 16,4 millions de sièges fiscaux d’entreprises.

L’agence fiscale catalane est en train de se structurer. Le 1er juillet, elle mettra en place tous les moyens nécessaires pour collecter les impôts directs et indirects à partir du 1er septembre. Sont prévus des systèmes de perception largement digitalisés et des retenues à la source. La feuille de route convenue entre les trois formations qui détiennent la majorité absolue au parlement (ERC, CUP et PDeCAT, le parti de Carles Puigdemont) se met en place. Fin janvier, le président a fait approuver son budget pour 2017. Le Generalitat a désormais les coudées franches.

(1) On y revient : prendre appui sur un bon « terrorisme » de basse intensité, voilà du pain béni pour les Etats soucieux de maintenir le statu quo institutionnel.

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