L’heure sera aux réjouissances, ce 17 janvier à Ainhice-Mongelos, pour célébrer comme il se doit les dix ans d’existence de Laborantza Ganbara. La victoire est toujours savoureuse et se déguste au présent, comme un met rare, en écartant la tentation distrayante d’un banquet d’anciens combattants. Pourtant, aujourd’hui plus qu’hier, la bataille d’Ainhice-Mongelos mérite d’être citée à l’exemple. Pas tant pour remonter le moral des troupes encore embourbées sur de nombreux fronts face à des Etats sourds aux aspirations populaires, mais pour donner les clés d’une
stratégie qui a passé triomphalement l’épreuve du feu.
L’histoire de Laborantza Ganbara est affaire de conviction profonde, de ténacité, de raison et de passions. Mais cela ne suffit pas pour arracher une si belle victoire. Laborantza Ganbara a été un Art de la guerre, comme l’intitulé de cet ouvrage millénaire qui nous enseigne encore que la victoire ne vient que de la défaite de l’autre et que la défaite n’est due qu’à des erreurs. Ce n’est pas l’enthousiasme qui a permis à Laborantza Ganbara “de vivre et d’exister en paix”, selon la formule de l’époque, mais une vraie stratégie de combat. Une stratégie qui s’inspire d’abord des techniques d’arts martiaux. Que faire quand l’adversaire est à ce point colossal qu’il ne bouge toujours pas lorsqu’on a épuisé toutes ses forces permises, en demandes officielles, en dossiers ou en manifestations ? Utiliser sa propre force d’inertie pour le déséquilibrer. La construction d’une Chambre d’agriculture du Pays Basque est inspirée de ces “manifs en dur” du Larzac. Une revendication de pierre, comme une forteresse à attaquer, qui a l’avantage d’inverser les rôles. Si l’adversaire ne veut pas construire, alors qu’il détruise. L’intuition des paysans basques aura été de faire fonctionner la structure, d’y ajouter la démonstration éclatante de leurs bons arguments. Stratégiquement, cela place, de fait, les manifestants d’hier dans une démarche constructive et l’Etat dans le mauvais rôle du destructeur.
La riposte n’a bien sûr pas tardée. Elle fut violente, presque irrationnelle, parfois grotesque. Le 6 juillet 2008, le Tribunal de grande instance de Bayonne adressa une citation à comparaître à Michel Berhocoirigoin, président de l’association EHLG. Il risquait un an de prison et 15.000 euros d’amende. Un mois plus tard, les militants d’EHLG avaient défini une stratégie de campagne millimétrée, qui devait les mener à la victoire 6 mois plus tard.
Mobilisation
L’enjeu était d’abord de mobiliser et de ne pas laisser l’Etat français enfermer Laborantza Ganbara dans une affaire basque. Le risque était réel, l’intention est apparue lors d’un procès coloré à toute force d’ethnicisme et de terrorisme. Il fallait ensuite crier bien fort pour dénoncer chaque assaut. Une “campagne un peu manichéenne”, grondera la procureure de Bayonne. Mais une campagne qui avait le mérite d’identifier clairement un adversaire —le préfet— et une atteinte simple au droit d’association. Et l’avantage de retourner chaque coup à l’expéditeur tout en détournant son attention. Car pendant que des militants recueillaient 1000 signatures d’élus, le soutien de centaines de personnalités et de milliers de personnes, que s’organisaient des réunions, des collectes de fonds, que des bataillons prenaient d’assaut Internet et dénonçaient à grand fracas le harcèlement de l’Etat, le vrai combat se préparait dans la plus grande discrétion. Sur Internet, la blogosphère découvrait l’humour grinçant et vindicatif des partisans d’EHLG, nourri de films de Bollywood détournés aux frais du préfet, d’un Astérix devenait paysan basque contre le préfet des Gaules, d’un Super Dupont stigmatisant l’Etat et de toute sorte de publicités tournant en dérision l’attaque contre une association paysanne.
Dans l’ombre, on consultait des juristes, des constitutionnalistes, on cherchait des jurisprudences, on trouvait des appuis précieux, comme l’ancien ministre de l’agriculture Edgard Pisani. Ce procès politique sur la place publique a laminé l’accusation qui n’a pas vu venir l’esquive. Le 29 janvier 2009, c’est un dossier purement juridique qui défendait EHLG au tribunal de Bayonne quand tout le monde attendait une tribune politique.
L’importance d’Euskal Herriko Laborantza Ganbara se mesure aux moyens qui ont été mis en oeuvre pour l’anéantir. Des moyens consignés dans les 680 pages d’un Livre noir et qui constituent un aveu. L’État, qui pendant des années a joué de promesses vagues, de rapports incertains, de SUAT, qui a maintenu par le jeu démocratique les membres d’ELB dans une posture du “cause toujours”, a été contraint d’abattre son jeu publiquement et de montrer un acharnement presque irrationnel.
C’est cette leçon qu’on peut encore méditer dix ans après, comme un art de la guerre inspirant de nouveaux chapitres aux revendications en panne. Il n’en manque pas.