Quatre mois après la COP21 à Paris, un nouveau sommet international va se tenir à Pau cette fois. Son objectif est l’exact opposé de celui que la COP21 était censée avoir, à savoir contenir le réchauffement climatique au dessous de +2°C. Les stratégies que veulent mettre au point les compagnies pétrolières et les opérateurs offshore qui se réuniront du 5 au 7 avril à Pau s’inscrivent, elles, dans des trajectoires à + 9°C, soit un génocide climatique. Comment une telle situation est-elle possible malgré l’Accord de Paris ?
La COP21 a été un moment historique sur le plan diplomatique mais l’accord est loin d’être à la hauteur sur le plan climatique. C’est Nicolas Hulot, envoyé spécial du président de la République Française pour la protection de la planète, qui l’affirme. De fait le mandat qui avait été donné à la COP21 de limiter le réchauffement climatique au dessous des +2°C à l’horizon 2100 -permettant ainsi d’éviter un certain nombre d’effets de seuils qui rendraient incontrôlable et irréversible le changement climatique- n’a pas été tenu. L’Accord de Paris se dote d’objectifs très ambitieux, en proclamant même une volonté de contenir la hausse des températures au dessous de +1,5°C. Malheureusement, au vu de son contenu réel, ils apparaissent plus comme des voeux pieux que comme des objectifs réels. En l’état, l’Accord de Paris entérine un avenir dramatique pour l’Humanité. Comment en est-on arrivé là ?
Insuffisances tragiques
Tout au long de l’année 2015, un certain nombre d’éléments permettaient déjà de prévoir que la COP21 faillirait à sa mission initiale. Tout d’abord, on savait, dès novembre 2015, que la somme des engagements volontaires de réductions des émissions de gaz à effet de serre des Etats, les fameux INDCS, ne permettrait pas de rester au dessous des + 2°C, et encore moins au dessous des +1,5°C. Au contraire, même dans le cas, hautement improbable, où ils seraient entièrement tenus et scrupuleusement respectés, ils nous mènent à une trajectoire de +3°C ! Or, tout aussi surprenant que cela puisse paraître, ces engagements tragiquement insuffisants ne pouvaient pas être renégociés pendant la COP21.
Cette différence de 1°C, entre l’objectif de la COP21 et la réalité de son contenu final, n’a peut-être l’air de rien mais est en réalité énorme et change tout. C’est tout simplement la différence entre un grave problème climatique et un crime climatique. Illustrons ça avec quelque chose qui n’a rien à voir mais qui repose sur le même type d’ ordre de grandeur: le corps humain tourne autour de 37°C, avec un degré et demi ou deux degrés de plus, on a une bonne fièvre qui nous couche au lit, à 3 degrés de plus, la situation devient grave, et au delà de 5° on risque d’en mourir. Pour le corps humain, 4 ou 5° petits degrés de plus, ce n’est pas avoir plus chaud, c’est bouleverser ses équilibres internes jusqu’à pouvoir en mourir. Le globe terrestre a quant à lui une température moyenne de 15°C. Et il commence à avoir une bonne fièvre avec une simple augmentation de 0,85 °C ! C’est en effet une simple augmentation de + 0,85°C entre 1880 et 2012, soit en 130 années, qui est la cause de tous les dérèglements que nous subissons aujourd’hui : fonte des glaces, montée de la mer, acidification des océans, multiplication des évènements climatiques extrêmes et aggravation de leur intensité. Entre +1,7°C et +3°C, on commence à franchir des effets de seuil aggravant fortement les effets du changement climatique, puis à connaître des effets de rétro-action : les conséquences du changement climatique renforcent le changement climatique. On a alors un effet boule de neige incontrôlable, où le réchauffement s’auto-alimente. Bref, il y a des seuils d’emballement et d’irréversibilité, et cela change bien évidemment tout.
Engagements non contraignants
Cette situation était d’autant plus grave qu’on savait par avance que ces engagements ne seraient pas contraignants, donc qu’ils ne seraient pas assortis d’un système de sanctions en cas de non-respect des objectifs. On peut facilement comprendre que dans l’état actuel des réalités politiques et économiques, ces engagements déjà insuffisants ne seront pas tenus, et que nous nous situons en réalité dans une trajectoire encore pire de celle des +3°C, peut-être 4, 5 ou plus. Là encore, il faut bien comprendre l’enjeu de ces chiffres là. Un écart de 5°C, c’est la différence de température qu’il y a entre le climat qu’on connait aujourd’hui, et la dernière période de glaciation par exemple, où le niveau des océans était inférieur de 130 mètres au niveau actuel !
Génocide climatique
Enfin, on savait bien avant la COP21 qu’un certain nombre de questions centrales du défi climatique ne seraient tout simplement pas abordées dans ce cadre de ces négociations. La première d’entre elles est celle de la poursuite de l’extraction massive des énergies fossiles. C’est leur combustion qui est à l’origine de 80 % des émissions de CO2 mondiales. Pour rester au dessous de 2°C, il faut selon l’Agence Internationale de l’Energie maintenir sans les exploiter au moins 2/3 des réserves mondiales de combustibles fossiles sous le sol.
Plus précisément il ne faut pas consommer un tiers des réserves actuellement connues de pétrole, la moitié de celles de gaz et plus de 80 % de celles de charbon. Selon l’ancien chef économiste de la Maison Blanche Michael Greenstone, si nous exploitions toutes les réserves d’énergies fossiles, nous causerions une augmentation de la température moyenne du globe terrestre de + 9°C! (certains scientifiques parlent quant à eux de +11°C). Bref, un génocide climatique. Et pourtant, la production et l’utilisation des énergies fossiles reçoit 5 fois plus de subventions publiques que celle des énergies renouvelables !
Pire, les pays du G20 accordent en moyenne 70 milliards d’euros par an (subventions verséesà des entreprises d’Etat, aides publiques directes, exemptions fiscales et financements via des banques publiques et institutions internationales comme la Banque Mondiale) pour l’exploration des énergies fossiles. C’est à dire pour trouver de nouvelles réserves, qui viendraient se rajouter à celles aujourd’hui connues, alors même que si on brûle la totalité de celles là on est à + 9°C ! L’Accord de Paris ne dit rien sur ce problème central des énergies fossiles. Bref, on fait mine de s’occuper de ce qui sort des tuyaux —les gaz à effet de serre— sans toucher à ce qui les y fait rentrer. Pour pouvoir estimer la portée réelle du contenu de l’Accord de Paris, posons nous une seule question : combien de pays sont ressortis de cette COP21 en se disant “je n’exploiterai pas tout le pétrole et le gaz que j’ai sous mon sol ?”
Une contre-COP21… à Pau
Rien de vraiment étonnant, dès lors, qu’à peine quatre mois après la COP21 puisse se tenir son exact contraire, le sommet international MCE (Marine, Construction and Engineering) Deepwater Development. Accueilli par Total dans son fief historique de Pau, il rassemblera les décideurs stratégiques des marchés du gaz et du pétrole en eaux profondes (1/3 de la production mondiale d’hydrocarbures est aujourd’hui offshore, donc prélevée dans les fonds marins. Pour Total, c’est carrément 78 % de sa production actuelle) venus du monde entier. Ce sommet aura pour objectif de multiplier l’exploration et l’exploitation du pétrole et du gaz en mer et plus particulièrement en eaux profondes, malgré la baisse actuelle des prix du pétrole qui rend moins rentables les couteux investissements nécessaires. Total, Shell, Exxon, Repsol, BP etc. plancheront ainsi pendant trois jours, dans des conditions luxueuses, pour mettre en place des stratégies permettant d’exploiter toutes les réserves d’énergies fossiles de la planète, et donc s’inscrivant dans une trajectoire fonçant vers les +9°C de réchauffement climatique. Les décisions prises à Pau du 5 au 7 avril prochains auront pour conséquences concrètes la mort de millions d’humains, et la migration sans retour possible de centaines de millions de personnes dans les prochaines décennies, ainsi que des bouleversements inimaginables de notre environnement terrestre et maritime. Notre génération a donc une lourde responsabilité sur les épaules. Peut-elle laisser s’organiser sans essayer de l’empêcher ce crime climatique ? Les peuples et les citoyens du monde peuvent-ils permettre, à peine quatre mois après la COP21, que soient sciemment violés les objectifs de limitation du réchauffement climatique à mois de +2°C, voire plus de 1,5°C? Ces objectifs ont été approuvés par la totalité des Etats du monde, sur la base des conséquences tragiques que les scientifiques nous décrivent en cas de dépassement de ces seuils là. “L’humanité savait. Qu’avons-nous fait ?” C’est la question que se poseront dans quelques décennies à peine les enfants nés aujourd’hui.
Voir : L’Appel d’Action Non-Violente COP21 à bloquer le sommet MCEDD de Pau