La réponse des Britanniques à la question de leur adhésion à l’Europe est une première dans la construction de l’Union. Elle en a choqué plus d’un. Mais n’est-il pas absolument légitime que les peuples puissent disposer librement de leur devenir politique?
La victoire des partisans du retrait de la Grande Bretagne de l’Union européenne est un véritable choc. Toutes les forces politiques, y compris les abertzale de gauche, sommes interpellés par la nécessité de réfléchir sur le devenir de l’Europe. Le point de départ consiste d’abord à se doter d’une grille d’interprétation de la situation actuelle. Pour ma part, je n’ai pas beaucoup de culture historique, mais j’ai été frappé par l’analyse présentée par l’historien Karl Polanyi (1886-1964) sur le développement du capitalisme au XIXe siècle dans son ouvrage majeur La grande transformation. Selon K. Polanyi, l’implémentation forcée du projet libéral au XIXe siècle a eu pour conséquence de briser de nombreux liens d’échanges sociaux et de solidarité au sein des sociétés traditionnelles.
Dans le même temps, le registre des relations entre la sphère politique et sociale, et le domaine économique a été totalement renversé. Alors que le domaine économique était traditionnellement encastré dans le champ des relations politiques et sociales, le projet libéral a réussi à soumettre le champ du politique et du social aux critères imposés par le domaine économique en termes de rentabilité et de profit.
Pour K. Polanyi la montée des fascismes dans les années 30 est une réaction violente de nos sociétés face à la thérapie de choc qu’elles ont subie avec l’imposition du projet libéral tout au long du XIXe siècle. Cette réaction a eu pour détonateur la crise de 1929, qui s’explique elle-même, par une gestion de la monnaie ayant alimenté la spéculation et totalement neutralisé les possibilités de politiques sociales.
L’histoire se répète
Comparaison n’est pas raison, mais j’ai peur que nous ne soyons actuellement dans le même type de scénario. La crise de 2008 est la plus importante qu’a connue le capitalisme depuis 1929. L’attaque constituant le meilleur mode de défense, loin d’accepter sa remise en cause, le néo-libéralisme a renforcé après 2008 l’offensive qu’il avait enclenchée à partir du milieu des années 80. Et l’inversion du registre des relations, entre, l’économie d’un côté, et le politique et le social de l’autre, est observable aujourd’hui par tout un chacun : ce sont les marchés financiers et non les citoyen-ne-s qui décident en dernier ressort des priorités des politiques publiques et sociales.
Cette inversion est encore plus flagrante au sein d’une Union Européenne dont les instances technocratiques exhortent les Etats à aller de l’avant vaille que vaille dans la voie des réformes libérales comme c’est le cas en ce moment avec la loi El Khomri. Quand le PS de F. Hollande tente d’imposer cette loi par le 49.3, en passant outre tout débat démocratique, on est exactement dans logique que décrivait K. Polanyi : celle d’une soumission brutale du champ politique et social à l’économique.
Mais en tant que tel,
n’est-il pas légitime
que les peuples puissent
décider démocratiquement
des questions économiques
qui les affectent ?
Bien sûr que si !
Et il convient de remarquer qu’au sein de l’Union Européenne la situation est encore pire pour les participants à la zone euro. Car la Banque centrale européenne (BCE) en charge de la monnaie et du crédit est une institution “indépendante”, qui se situe par définition hors champ de tout contrôle politique,… tout en étant structurellement complètement soumise au lobby des grandes banques (son président M. Draghi, est d’ailleurs un ancien responsable européen de la banque américaine Goldman Sachs).
De ce fait (et selon les mêmes caractéristiques que celles décrites par K. Polanyi pour les politiques monétaires des années 30), la gestion de l’euro est totalement encadrée de sorte à rendre impossible toute politique du crédit contraire au dogme libéral.
Le droit des peuples à décider
Ainsi, dans le contexte d’une Union Européenne technocratique et libérale, le non du Brexit peut s’interpréter comme étant l’expression d’une volonté des populations de reprendre politiquement la main dans le champ des décisions économiques.
Il est vrai que cette expression est préoccupante, parce qu’elle peut prendre des tournures ultra-nationalistes et xénophobes. Mais en tant que tel, n’est-il pas légitime que les peuples puissent décider démocratiquement des questions économiques qui les affectent ? Bien sûr que si ! Et c’est d’ailleurs en incluant dans ce champ de décision des éléments économiques aussi fondamentaux que la monnaie et la finance que, conformément au schéma de K. Polanyi, l’on arrivera à soumettre à nouveau l’économique aux critères du politique et du social, en évitant par là-même que le malaise actuel de nos sociétés ne débouche sur le renforcement des partis d’extrême droite partout en Europe.
En tant qu’abertzale, mais aussi en tant que citoyen européen, je suis persuadé qu’une Europe démocratique défendant les droits sociaux doit avoir pour base un exercice du droit à l’autodétermination des peuples incluant les questions économiques et monétaires.
De ce point de vue, l’Europe à construire n’est pas une Europe fédérale, mais une Europe confédérale. Il est par exemple, tout à fait envisageable de refonder l’euro selon ce principe. Et c’est d’ailleurs à cet exercice que s’attèlent un certain nombre d’économistes comme Frédéric Lordon (collaborateur du Monde Diplomatique) en France, qui, loin d’être de vilains “nationalistes”, défendent des valeurs radicalement ancrées à gauche.