La génération qui précéda de peu la mienne produisit au Pays Basque nord une série de personnages de haute taille physique et mentale : Ximun Duhour, Christian Laxague et Pierre Charritton à Hasparren, Michel Labéguerie à Cambo, Ximun Haran et Jakes Abeberry dans le BAB. Jakes Abeberry restait le dernier de ces grands chênes et seuls les ans ont eu raison de sa formidable résilience. Sa chute n’est certes pas restée inaperçue, contrairement à ce qui se passe en général avec les personnes âgées, le plus souvent oubliées des jeunes générations : il était un monument incontournable de la cause basque, toujours en mouvement jusqu’au dernier moment.
Je fis sa connaissance un soir d’avril 1961 à Cambo, chez Michel Labéguerie, dans la réunion mensuelle du jeune journal Enbata. Il y avait là Jakes Abeberry, Michel Burucoa, Michel Eppherre, Ximun Haran, Michel Labéguerie, l’abbé Pierre Larzabal curé de Socoa et moi donc, sautant dans le train en marche à la sortie de la gare, le dernier des sept fondateurs d’Enbata, aujourd’hui le dernier survivant, toujours un peu à la traÎne…
Depuis lors, pendant plus de soixante ans, j’ai toujours vu Jakes au premier rang des idées, des actions, des manifestations, des luttes en faveur de l’émancipation et de la promotion des Basques dans leur patrie, personnellement je dirais plutôt dans leur matrie, car Euskadi est heureusement dépourvue d’un appareil coercitif qui sacrifie ses enfants tous les vingt ans au dieu Mars, à la façon des empires, petits ou grands, qui ont besoin de s’asperger de sang frais pour sacraliser leur pouvoir.
Membre d’une fratrie d’exception, Jakes était un artiste viril et, dans toute sa vie publique, il a gardé la sobre élégance du chanteur vigoureux et du danseur élancé. Lutteur clairvoyant, je le verrais en boxeur classique, bien en ligne, au jeu de jambes efficace, allongeant des coups précis et secs ; lutteur ardent, il avançait sans cesse comme un battant au punch redoutable ; lutteur impeccable, toujours correct dans la polémique souvent vive, parfois véhément parce que passionné, je ne l’ai jamais entendu traiter de façon grossière ou déplacée ses adversaires et les nôtres ; lutteur infatigable, exigeant, il nous demandait les mêmes efforts que les siens dans l’action abertzale.
Un exemple difficile à suivre, mais qui nous a fait avancer au service de la cause basque. Outre un dynamisme constant, proche de l’activisme, il avait une grande force de persuasion et d’entraînement, servie par son éloquence bien connue et par sa plume brillante qui s’est illustrée sur deux générations, notamment dans ses éditoriaux d’Enbata.
Jakes était aussi un pédagogue qui a éveillé, convaincu, mobilisé, lancé, formé bien des jeunes, tant dans le groupe Oldarra que dans l’action politique. Il était également un stratège et la meilleure preuve en est la place qu’il a su donner aux Basques à Biarritz, la ville la plus cosmopolite et donc la plus débasquisée du Pays Basque.
Enfin ses talents d’organisateur sont bien connus, mais j’en apporterai tout de même deux exemples vers la fin de ce texte.
Son point faible et qui lui faisait mal, était son niveau insuffisant en euskara. Elevé dans la langue unique et prétendument universelle de la République Française, il finit par apprendre le basque jusqu’à le bien comprendre, mais sans arriver à le parler comme son jeune frère Jean- Claude « Koko ».
Pour finir mon propos, j’évoquerai trois grands souvenirs personnels que j’ai gardés de Jakes.
Premièrement : l’Aberri Eguna fondateur d’Itxassou le 15 avril 1963 lui doit en grande partie sa réussite brillante, son éclatant succès, à tel point que certains l’appelèrent « Abeberry Eguna ».
Deuxièmement : au début de juillet 1973 le mouvement flamand de Belgique invita une délégation du mouvement basque à sa fête nationale célébrée à Dixmude ; nous fîmes le voyage en autocar depuis Bayonne ; là aussi Jakes fut l’efficace organisateur et l’animateur dévoué du groupe.
Enfin le 25 avril 2010, lors de l’hommage qui lui fut rendu à sa grande surprise à Arcangues à l’occasion de ses 80 ans, je vois le vieux lutteur Jakes Abeberry au bord des larmes en recevant deux compagnons de route venus de Soule, cette Kabylie du Pays Basque où plongeaient en partie ses racines.
Ami de soixante ans, repose en paix dans les montagnes éternelles, tu ne l’as pas volé. Merci pour tout !
Jakes ABEBERRY vient de nous quitter, et les hommages sont unanimes.
Je voudrais ajouter ici mon témoignage, concernant les débuts de notre association, l’association BERTTOLI, à URRUGNE.
En 1987, un groupe de copains, très divers, mais motivés, désireux d’ouvrir a Urrugne un lieu convivial et festif avait fini par porter son choix sur la menuiserie de Dominique OSTIZ, notre Berttoli d’aujourdhui.
Restait à trouver le financement, et les banques se méfiaient, très hostiles au financement d’un tel projet. J’ai expliqué à Jakes, alors directeur de la CGIB à Biarritz le sèrieux du projet. Et il nous permit de réaliser notre rêve.
36 ans après, je dis: »Merci, Jakes ».