7 janvier, deux terroristes entrent dans les locaux de Charlie-Hebdo pour venger le prophète Mahomet. A la kalachnikov, ils abattent douze personnes. Ils décapitent la rédaction d’un organe de presse libre, d’inspiration anarchiste.
Le choc est terrible. La profonde sidération populaire suscite spontanément, dès le soir même, une multitude de manifestations sur la voie publique dans toute la France. L’assassinat, deux jours plus tard, par un troisième complice, de quatre juifs dans une épicerie kasher de Paris, ne fait qu’enfler la protestation trouvant sa phénoménale plénitude dimanche après-midi, évaluée à quatre millions de participants.
La condamnation de cette atteinte à la liberté d’expression s’étend à l’ensemble de l’Europe dont les chefs d’Etats se joignent au coeur de la somptueuse marche. Du jamais vu. Une union nationale française se noue alors d’où s’exclue l’extrême droite de Marine Le Pen. Elle se prolonge à l’Assemblée nationale d’où montent, sur l’ensemble des travées, de la droite à la gauche, applaudissements debout à l’écoute du vibrant message du premier ministre Valls.
Au cours de ces journées historiques, pas une fausse note, pas un incident dans ces foules dont le seul slogan est « Je suis Charlie », pas une banderole ni discours récupérateur, pas un cri décalé mais un silence heureux en réponse à la barbarie.
Voilà, d’un coup, les Français, classés derniers avec l’Afghanistan à la toise de la désespérance mondiale, se retrouvant par delà leurs différences pour défendre des valeurs communes.
Hier ils méprisaient leur classe politique et affublaient leur président de la république d’une impopularité abyssale. Reconnu pour avoir correctement tenu son rôle dans la tempête,
François Hollande est spectaculairement hissé à un étiage enviable. C’est dire la profondeur du basculement, soudain et imprévisible, des mentalités dont il faudra dorénavant tenir compte.
Reste le diagnostic et les remèdes.
Ce terrorisme islamiste ne vient plus de l’étranger. Finis les commandos du GIA algérien, les tueurs envoyés par les ayatollahs iraniens et leurs ambassades-sanctuaires. Les fous de Dieu sont de jeunes Français passés par l’école de la république, fils d’immigrés nés en France ou des provinciaux convertis enfants de familles chrétiennes. Plus de mille sont engagés dans des filières de djihad vers la Syrie. Internet remplace avantageusement la fréquentation de la mosquée et rend solidaire d’une civilisation planétaire de plus d’un milliard d’adeptes.
Contre ce danger, la France paraît bien démunie.
Si elle exalte la qualité de ses services secrets, la capacités de son armée à intervenir en Afrique et en Irak, elle découvre, une fois de plus, son échec dans le traitement sur son sol de la pratique apaisée de l’islam.
Echec aussi dans la ségrégation de fait de la vie de ses banlieues. Apartheid territorial et ethnique dira Manuel Valls. Et de faire appel aux valeurs de la république pour réussir l’intégration de la deuxième génération de l’immigration maghrébine. Certes, la tâche est difficile. Mais la république à la française s’est construite sur la négation des peuples et des cultures enracinées sur son sol depuis des siècles.
Cette république qui a élaboré des politiques volontaristes pour réduire Basques, Bretons, Occitans, Catalans, Corses et Flamands, est-elle assez généreuse pour, cette fois-ci, ouvrir sa culture universelle à ses nouveaux résidents tout en préservant celle d’origine?
Hélas, la république ne reconnaît que l’individu-citoyen et non le groupe qui en partage la langue et le mode de vie. Le communautarisme est incompatible avec la république contrairement à bien des démocraties occidentales. La république en France est au-delà de la démocratie.
Elle est l’Etat central, le socle de la nation, la garantie non de l’égalité mais de l’uniformité. Même lorsqu’elle accorde un statut particulier à la Corse, le Conseil constitutionnel censure le terme « peuple de Corse ».
Nous sommes, on le voit, au coeur de notre coexistence de citoyen basque avec un système ne pouvant que tolérer notre spécificité. Curieux détour du tsunami du 7 janvier.