Le grand patron d’Istara Lactalis soupçonné de fraude fiscale

La Confédération Paysanne envahit le siège social de du Groupe Lactalis le 21 fevrier 2024

Une enquête judiciaire révèle les dérives de l’agro-industrie qui, au nom des “agriculteurs”, détruit le monde paysan, en Iparralde aussi.

À Larceveau, les 6.000 tonnes de fromage fabriquées chaque année, ça rapporte gros sur le dos des éleveurs. Pour soutenir « activement le tissu économique local » bien sûr, comme l’indique le site de la société. Au final, pour frauder le fisc, via une filiale financière luxembourgeoise ?

Via une filiale de Lactalis AOP & Terroirs, la fromagerie Istara de Larceveau appartient à ce géant de l’industrie agro-alimentaire. Elle s’en vante peu, préférant mettre en avant son enracinement dans un petit village au coeur du canton d’Iholdy et « son savoir-faire issu de la tradition pastorale depuis un demi-siècle ». L’air et la chanson sont bien connus. Le hic est que depuis le 6 février, dans le cadre d’un gigantesque dossier de fraude, la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale perquisitionne chez son patron, sur trois lieux distincts : au siège du géant laitier à Laval, aux bureaux de Lactalis à la tour Montparnasse de Paris, et dans l’hôtel particulier du patron Emmanuel Besnier, dans le 7ème arrondissement de la capitale.

Selon le quotidien Le Monde du 8 février, Lactalis est visée par une enquête préliminaire du parquet national financier (PNF) pour fraude fiscale aggravée et blanchiment de fraude fiscale aggravée. Son organisation fiscale lui aurait permis, selon une source judiciaire, d’éluder « plusieurs centaines de millions d’euros » d’impôts. « Les montages sont de haut niveau, très ingénieux et très sophistiqués », commente une autre source. Sollicitée, la direction de Lactalis indique que les perquisitions « se sont déroulées sereinement », précisant qu’elles « s’inscrivent dans la cadre d’une procédure sur des faits anciens ». Selon les informations du Monde, ils remontent à la période 2009-2020.

L’enquête du PNF a été déclenchée en 2018 après des révélations de la presse. Coup sur coup, Médiacités, Ebdo, Les Jours et Mediapart avaient dévoilé que le premier groupe mondial de produits laitiers, fondé en 1933 à Laval, disposait de plusieurs filiales financières en Belgique et au Luxembourg, soupçonnées d’aspirer artificiellement les bénéfices du groupe pour réduire sa base taxable en France. En 2020, le site d’investigation Disclose évaluait à 220 millions d’euros le préjudice pour les finances publiques françaises, durant la période 2013-2018.

Imbrications entre les holdings

Le PNF a également reçu une dénonciation de la Confédération paysanne qui reproche de longue date à la multinationale ses pratiques, responsables, selon elle, de détruire l’équilibre de la filière laitière. Le syndicat agricole a accusé le groupe industriel d’avoir « mis en place un système de facturation intra groupe particulièrement complexe, ainsi qu’un système d’achat fictif d’actions ». Une source proche de l’enquête indique que les investigations « ne portent pas à ce stade sur la fiscalité personnelle d’Emmanuel Besnier ». Mais l’actionnaire de référence du groupe, qui contrôle l’entreprise avec son frère Jean-Michel et sa soeur Marie, n’en est pas moins central dans le dossier, en raison de l’imbrication étroite entre les holdings de la famille et celles de l’entreprise. L’administration fiscale a mené sa propre enquête en parallèle de la Justice. Elle a elle-même perquisitionné le siège de Lactalis à Laval dès juillet 2019, comme l’avait révélé l’hebdomadaire L’Express. Ce contrôle a donné lieu à une dénonciation fiscale obligatoire au PNF en 2022.

Prédateurs…

Selon les documents consultés par Le Monde, Bethums, l’une des sociétés luxembourgeoises au coeur du système, a été contrôlée par le fisc français en 2019, avant d’être placée en liquidation en 2022. Ces dernières années, le groupe Lactalis a par ailleurs fait l’objet de plusieurs autres litiges avec l’administration fiscale ainsi qu’avec l’Urssaf, en général contestés en justice. Le 21 février, à l’appel de la Confédération paysanne, une centaine de producteurs occupent le siège social historique de Lactalis à Laval. Ils réclament au géant mondial qualifié de “prédateur” qu’il paye la tonne de lait à hauteur de 500 euros et non pas 420 euros, en deçà du prix de revient. Les paysans seront délogés par les CRS dans la journée.

Sur le dos des éleveurs

Les 500 « exploitations familiales » de la région de Larceveau qui vendent leur lait de brebis à Istara Lactalis seront heureuses d’apprendre ces nouvelles de leur patron. Celui-ci leur achète un lait « naturellement riche et parfumé », mais au plus bas prix possible… Une pratique habituelle pour ce géant de l’industrie agro-alimentaire. À la mi-janvier, des producteurs ont manifesté devant plusieurs sites de Lactalis pour dénoncer les prix trop bas fixés unilatéralement par le patron du groupe et loin de couvrir la hausse des coûts de production. À Larceveau, les 6.000 tonnes de fromage fabriquées chaque année, ça rapporte gros sur le dos des éleveurs. Pour soutenir « activement le tissu économique local » bien sûr, comme l’indique le site de la société. Au final, pour frauder le fisc, via une filiale financière luxembourgeoise ?

La fromagerie bas-navarraise commit hier un clip publicitaire pour nous faire acheter l’un de ses produits phares, le P’tit Basque, à prononcer avec l’accent parisien. Le film, censé se passer au Pays Basque, fut tourné… en Slovénie. Pourquoi pas demain au Bangladesh, le montant des salaires y est tellement plus bas ?

Une autre pub de la même fromagerie nous conte une jolie histoire : « Il y a fort longtemps, le fils d’un berger basque eut un jour l’idée de fabriquer ses tommettes de fromage de brebis dans un petit panier en osier. C’est ainsi qu’il donna à ses fromages un aspect strié unique, avec cette croûte étonnamment sculptée par le tressage de son panier. Ainsi, P’tit Basque d’Istara arbore cette belle croûte aux motifs caractéristiques des moules en osier de jadis ! » Mais plus tard, le grand berger Emmanuel Besnier eut de bien meilleures idées, celles qui rapportent gros. Pour lui, c’est tout à fait normal, il appelle ça le libéralisme. D’autres disent que c’est l’exploitation de l’homme par l’homme.

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3 réflexions sur « Le grand patron d’Istara Lactalis soupçonné de fraude fiscale »

  1. Barkatu Ellande mais ce qui est est dénoncé n’est pas du libéralisme.

    Le libéralisme de marché est la meilleure formule jamais trouvée pour, à travers une juste concurrence, permettre aux entrepreneurs, citoyens, agriculteurs, la liberté de création, d’investissement, de communication … c’est ainsi que l’ardi-gasna de nos fermes est devenu un produit grand public apprécié de Dunkerque à Urepel, et qui fait vivre nos montagnes. La filière a même réussi à valoriser sa production 3 ou 4 fois plus cher que des fromages industriels.

    En revanche si Lactalis abuse d’une position dominante ou filoute le fisc, tandis que l’Etat passe son temps à contrôler les bergers et les noie sous la paperasse, ceci n’est pas du libéralisme, c’est du laisser-faire ou de l’abus de régulation.

    Vive la liberté et l’ardi-gasna !

  2. L’économie libérale ça fonctionne dans un cadre théorique où les concentrations de capitaux sont limitées et où tout le monde part si ce n’est sur un pied d’égalité absolu, dumoins sur des inégalités rattrapables par l’effort et par l’intelligence des choix. Autrement dit dans un monde de distributions gaussiennes, pas dans notre monde actuel de distributions de Pareto où 10% des acteurs concentrent 90% des richesses, et arrivent grâce à leur poids économique à déformer les règles du jeu en leur faveur. Ce qu’on appelle le capitalisme de connivence.

    1. Ederki, à mon sens le problème n’est pas le libéralisme, mais ceux qui en abusent ! Soit par la connivence, la tricherie, le mensonge … A fortiori dans l’économie numérique, on a dépassé le principe de Pareto (20% des acteurs prennent 80% des sous), avec le concept « winner takes all », le gagnant ramasse toute la mise . Ainsi Google et Facebook, il y a 2-3 ans, raflaient 95% du surplus de publicité sur le web !
      Le rôle de l’état est donc d’organiser la juste compétition, prometteuse de bienfaits pour tous.

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