Plus de trente ans après sa dernière exposition, l’autre tableau illustrant la tragédie du village basque vient d’intégrer la collection permanente du musée des Beaux Arts de Bilbo. Tout un symbole.
Guernica, le fameux tableau d’Agustin Ibarrola (Bilbao 1930) a désormais toute sa place dans le vieux Bellas Artes, voisin du musée Guggenheim. Un Bellas Artes qui a su tirer parti de ce voisinage pour asseoir sa réputation ! C’est donc lui qui grâce au concours financier de grandes institutions(1), est parvenu à acquérir cette oeuvre magistrale. Dix toiles (de dimensions équivalentes) juxtaposées, constituent une frise de deux mètres de hauteur et dix mètres de largeur. Ce Guernica monumental, n’avait pas été exposé au public depuis la fin des années 70. La famille du peintre le conservait à l’abri de l’atelier de l’artiste, dans la petite commune d’Oma en Biscaye. Peint en 1977, à l’aube de la renaissance d’une Espagne nouvelle qui clamait ses ambitions démocratiques, la fresque évoque bien sûr, le sort funeste de la ville de Gernika, bombardée par l’escadrille italo-allemande qui cracha ses bombes sur ses toits et ses ruelles, le lundi 27 avril 1937. On y retrouve quelques-uns des éléments phares du Guernica de Pablo Picasso, actuellement conservé au musée d’art contemporain Reina Sofia de Madrid. Avec les années, on le sait, le tableau de Picasso a acquis une dimension symbolique planétaire de rêve de paix universelle…
Des figures disloquées
Le Guernica d’Agustin Ibarrola est certes moins connu que celui de Picasso. Mais il se pose comme un marqueur essentiel de la période compliquée, postérieure à la mort de la dictature franquiste, survenue en 1975. Revoilà donc la tête du cheval blessé, la femme portant son enfant, le soldat mort, un avion aux formes de lame de couteau, des hommes enchaînés, une main et son poignet lacérés, un carreau de fenêtre touché par un éclat, des petites silhouettes d’humains bras levés vers le ciel, un enfant à leurs pieds…
En un mot revoilà désormais offerte à tous les regards, cette autre interprétation d’un univers guerrier de fureur, de souffrances, désolation et malheur, en même temps que d’un vide sinistre et mortel absolu.
Agustin Ibarrola, a figuré ces symboles disloqués sur un quadrillage de lignes noires sur fond gris-blanc-anthracite évoquant des barreaux et grilles de prison. Avec en point d’orgue, quelques orifices noirs sur un front ou une poitrine et des coulées d’un rouge écarlate, symbolisant les impacts de balles sur une poitrine d’homme et de femme. Le sang qui coule.
Cette nouvelle interprétation du bombardement de Gernika se voulait un hommage rendu au tableau de Picasso et surtout, un appel au rapatriement de son chef d’oeuvre en Espagne. Agustin Ibarrola l’imaginait déjà dans un musée neuf à construire dans la ville de Gernika. Un mouvement baptisé “Guernica Gernikara” (“Le Guernica à Guernica”) avait pris corps. Agustin Ibarrola fut l’un de ses porte-voix.
Une controverse féroce
A ce moment-là, le tableau de Picasso se trouvait encore aux USA, déposé au MOMA, musée d’art moderne de la ville de New York, avec l’accord de Picasso lui-même dès 1937. 41 ans plus tard, le Guernica de Pablo Picasso fit le voyage New York- Madrid, dans un Boeing (baptisé Lope de Vega) le 10 septembre 1981. Le voyage (sur vol régulier) avait été tenu secret jusqu’à son arrivée dans la capitale espagnole. Dans un premier temps, le tableau devait être dévolu au musée du Prado, avant de se retrouver finalement au Centre d’Art moderne Reina Sofia. Une violente controverse se développa en Espagne. Picasso avait en effet exprimé le souhait que son tableau soit remis à l’Espagne, à la condition qu’elle soit devenue une véritable démocratie, garantissant toutes les libertés républicaines. Était-ce vraiment le cas en 1981? L’exécuteur testamentaire de Picasso ne fut autre que Roland Dumas, avocat et ministre de François Mitterrand, auquel Picasso avait fait appel de son vivant, pour traiter l’épineuse question du retour du tableau en Espagne. Tableau que l’artiste considérait “comme l’oeuvre de {sa} vie”.
La prison deux fois
Le parcours du Guernica d’Ibarrola se sera avéré bien moins tumultueux que celui de son grand frère signé Picasso. Bien que réalisé à un moment politique de grandes convulsions, l’Ibarrola est donc ressorti au grand jour après une longue mise entre parenthèses paisible. La vie d’Agustin Ibarrola n’a pourtant pas toujours été un fleuve tranquille ! Ses convictions politiques de gauche, l’ont conduit en prison à deux reprises (de 1962 à 1965 et de 1967 à 1973), du fait de son adhésion au Parti communiste et de sa participation à divers mouvements ouvriers interdits par la dictature. Opposé aux thèses nationalistes, largement impliqué dans la vie politique de la communauté autonome d’Euskadi, l’homme a signé d’innombrables sculptures. Parmi celles-ci, au moins deux sont dédiées aux victimes de la violence, l’une installée à Ermua, l’autre à Logroño, à la demande de l’Association des Victimes du terrorisme (AVT) qu’il défendait ardemment.
(1) Le gouvernement basque, la Diputacion de Biscaye et la commune de Bilbao ont participé à l’achat du Guernica d’Ibarrola, pour le compte du Bellas Artes, au prix de 300.000 euros, selon la presse basque.
Remarquable article avec un tableau si finement décrit qu’on atteint par l’imaginaire le degré d’émotion d’une visite. Ces artistes ont trouvé la juste réponse par leur art parfois jugé subversif à la fécondité du mal du IIIè Reich. Un prochain éventuel passage dans la ville de Guernica serait comblé par la présence d’une expo de ces deux oeuvres, pme