L’Édito du mensuel Enbata
Le général Gilbert Diendéré nous a bien fait marrer. En 2015, au Burkina Faso, cette figure emblématique du Régiment de la sécurité présidentielle (RSP), véritable homme de main du président Blaise Compaoré, déchu en 2014 par un mouvement populaire après 27 ans de “démocrature” bien tassée, a tenté le putsch pour reprendre la main sur un gouvernement de transition. A la télévision d’Etat, un militaire déchiffrait péniblement un communiqué bien trop ardu pour lui, au lieu de résumer l’habituel manuel d’investiture du coup d’Etat qui promet des élections un an après, le temps nécessaire aux putschistes en quête de reconnaissance internationale de “faire le ménage” dans le pays, le rendre pimpant à la démocratie et, promis, sans croiser les doigts sous la vareuse.
Images d’un autre temps que les burkinabés se sont empressés de qualifier de “putsch vintage”, même si la communauté des pays africains, toujours décalée, a amplifié cette bonne vieille marche militaire en reconnaissant implicitement le nouveau régime fort.
Un journaliste du “Pays des hommes intègres”, Chériff Sy, connu en Iparralde pour de nombreuses visites à ses confrères et dont le journal persiste à ressembler à notre défunt Journal du Pays Basque, a tout de même dû jouer à De Gaulle en s’organisant sur une radio rebelle, entrainant la population et le reste de l’armée, isolant les putschistes dans le pays et reprenant nonchalamment les clés du pouvoir usurpé et celle de la prison militaire où croupit depuis le général Diendéré, en attente de plusieurs procès, dont celui de l’assassinat du président Thomas Sankara en 1987.
Dans la rue, les avis étaient unanimes : le mot putsch renvoyait aux années 80 et il était impensable qu’en 2015, un coup de force puisse mener à la présidence.
Et puis ce 24 janvier, l’armée a confisqué le pouvoir au président élu Roch Marc Christian Kaboré, avec un soutien visible —bien que relatif— de la rue et un profond et éloquent soupir d’indifférence de la majorité de la population.
Le coup d’État s’impose à nouveau en Afrique de l’Ouest comme une accession naturelle au pouvoir, non seulement au Burkina Faso, mais également au Mali, où les militaires viennent de prolonger la fameuse année de ménage des institutions jusqu’en 2027, ou encore au Tchad et en Guinée, il y a quelques mois. Le Niger est en sursis.
Les causes profondes de cette résignation rapide des populations sont bien sûr complexes et tiennent à l’état de guerre de ces pays, confrontés à un encerclement djihadiste. Mais plus largement, à un effondrement de l’Etat, qui démissionne sur tous les terrains, à l’image de cette attaque djihadiste qui a coûté la vie à 49 gendarmes burkinabés, en novembre dernier et dont on a appris qu’ils n’étaient même plus ravitaillés en nourriture et affamés depuis des semaines, dans leur caserne du Sahel.
Au concept de corruption, les burkinabés préfèrent celui de “mal gouvernance”, qui englobe les incuries de la santé ou de l’éducation et renvoie le pouvoir à son impasse et à sa perte de sens, qu’il soit national ou international, comme cette Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui menace cette fois d’asphyxier le pays en représailles mais dont les chefs d’Etat, bien mal élus, n’ont plus de légitimité parmi les peuples, ou comme l’ancienne puissance coloniale, la France, engagée militairement dans la région mais que l’on prie de plus en plus clairement de rentrer chez elle, malgré un récent palmarès de chasse satisfaisant.
Cette volte-face doit nous interpeller, à l’heure des élections présidentielles françaises qui confortent, dans le même élan, la montée en puissance du discours de l’extrême droite et la démission de l’État français, incapable de garantir une nécessaire transition écologique ni même de limiter la précarité et les inégalités ou d’éviter le “double échec sanitaire et politique” dans la crise du Covid, nous rappelle, dans ces colonnes, Nicolas Goñi.
Le contrat social a “le nez dans le ruisseau”, pourrait-on s’amuser, si la faute en incombait à Rousseau ou si les mêmes causes ne produisaient, avec le recul historique, les mêmes effets.
Certes, le Pays Basque Nord est un territoire qui reste “peu impacté par la montée des opinions d’extrême droite”, a décortiqué Txomin Poveda, dans une longue réflexion en trois volets. Mais, ajoute le sociologue, “on assiste toutefois à des prises de position parfois inquiétantes qui naissent discrètement dans le brasier des problématiques qui impactent la population du territoire”.
L’antidote du militantisme basque n’exclut pas le discernement. Face à ces 12.000 nouveaux arrivants qui déstabiliseraient chaque année notre territoire, gardons-nous donc, pour l’instant, de crier —avec les loups— au “grand remplacement”, pour ouvrir, résolument, les chantiers les mieux adaptés.