Quelle est la logique qui préside à l’action du parquet antiterroriste dans les affaires basques ? Dix ans se sont écoulés depuis que les armes se sont tues, autant de jours, mois, années qui sont venus confirmer ce que nous savions, nous, habitantes et habitants du Pays Basque, que ce silence était pérenne. Pourtant le positionnement du parquet ces derniers temps fait que les inquiétudes, voire le désarroi, vont crescendo au fur et à mesure que les années passent.
Le ministère public est le corps de magistrats chargé, devant certaines juridictions, de requérir l’application de la loi et de veiller aux intérêts de la société. Voilà la mission du ministère public, du Parquet national antiterroriste, son rôle au sein de l’institution judiciaire française. Veiller aux intérêts de la société…
Pourtant hier en 2020, aujourd’hui en 2021 nous avons assisté à des positionnements judiciaires excessifs, déraisonnables, jamais ou très rarement rencontrés jusque-là, situation qui atteint le paroxysme du paradoxe dès lors qu’elle est mise en perspective avec l’inscription dans le marbre de l’histoire de la volonté de paix et de résolution du conflit basque de la société.
Tendance inquiétante
Cette tendance inquiétante est perceptible lorsque l’on s’arrête quelques instants sur trois affaires qui, mises l’une à côté de l’autre, embrassent les grands domaines de la procédure pénale que nous côtoyons dans les affaires basques : le jugement, l’application des peines avec la notion de récidive et la coopération judiciaire franco espagnole avec le Mandat d’arrêt européen sur fond de torture. La première s’est manifestée contre toute attente au moment d’un procès en correctionnelle en juin 2020. La personne jugée pour avoir appartenu à ETA entre 2012 et 2015, soit après le cessez le feu définitif, se présentait libre devant la juridiction du jugement.
En effet, après 10 mois de détention provisoire, le magistrat instructeur parisien estimait que la privation de liberté ne se justifiait plus eu égard à l’ancienneté des faits et au contexte actuel de paix. Sage décision à laquelle le Parquet s’est virulemment opposé par le biais du recours suspensif, sans succès, heureusement. Les juges d’appel saisis à nouveau sur appel du Parquet feront de même six mois plus tard en confirmant le remplacement du bracelet électronique par une mesure de contrôle judiciaire plus légère.
Un an et demi après, il se présente donc devant les juges et là, le coup de fouet, le Parquet requiert six ans de prison avec une incarcération fixée cinq jours plus tard.
Longues batailles
Ces quinze dernières années, seules deux personnes ont été incarcérées alors qu’elles se présentaient libres à l’audience, les deux dans un contexte bien différent de celui que nous connaissons ces derniers temps. Le Parquet a requis, la justice a condamné à cinq ans de prison et au bannissement pendant 10 ans de ce territoire labourdin qui l’avait accueilli et le soutenait.
Heureusement il existe des batailles longues et harassantes qui portent leurs fruits.
Finalement libéré avant son procès en appel, il comparaît donc à nouveau libre devant eux, le parquet s’entête, six ans requis.
Par la décision des juges, le bannissement se verra banni de la vie de cet homme, Mikel pourra continuer à vivre à Itxassou mais… après avoir purgé sa condamnation, la réincarcération est confirmée.
Mikel aurait dû retourner en prison si un magistrat n’avait pas eu la clairvoyance de, comme nous le lui demandions, ne pas exécuter immédiatement cette décision et de saisir le juge de l’application des peines.
Et bien lui en a pris car la Juge de l’application des peines lui a accordé le nombre de jours de remises de peines nécessaires à l’aménagement de peine en visant clairement comme objectif celui d’éviter la prison. Mais le parquet, têtu, a fait appel. Une nouvelle fois sans succès.
Le Parquet a ses raisons que la raison n’a pas… Et la raison a été à nouveau perdue, il y a quelques semaines, lorsqu’il a envisagé pour la première fois de l’histoire judiciaire d’appliquer à un détenu basque en fin de peine une mesure de surveillance judiciaire.
Un pas symbolique effrayant est franchi, à la négation du caractère politique de ces affaires se rajoute désormais leur “psychiatrisation”… Les Basques condamnés pour leur appartenance à ETA sont désormais considérés comme potentiellement dangereux à l’issue de leur peine, leur libération représenterait un danger pour la société, danger qui doit être évalué par un psychiatre.
Délits sexuels
La possibilité de cette surveillance post pénale créée en 2005 pour les délits dits “sexuels” a été étendue en 2011 aux personnes condamnées pour certaines autres infractions, dont certains Basques. Jamais une application de cette surveillance après peine aux Basques n’a été envisagée par le Parquet… jusqu’à avril dernier, pour une personne détenue qui finissait d’exécuter une peine de 16 années de prison. Le psychiatre passé, la procédure en restera là, heureusement.
Et puis pour terminer, le rétro pédalage continue avec une thématique aussi délicate que celle de la torture en Espagne. Le dernier Mandat d’arrêt européen émis contre Iratxe Sorzabal est refusé en raison du crédit donné à notre dénonciation de faits de torture qui sous tendait la procédure espagnole. Ignorant la position de ses collègues juges du Mandat d’arrêt européen, le Parquet vient de faire droit à la demande du juge espagnol, qui s’est vu refuser le mandat d’arrêt européen, de faire notifier par un juge français l’ordonnance de mise en accusation espagnole, en estimant que les dénonciations de torture ne sont qu’une stratégie de la défense et ne reposent sur rien.
Adieu la décision de refus des juges du mandat d’arrêt européen, adieu l’expertise médicale qui attestait des faits de torture, adieu les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, adieu à tous les travaux, investigations et rapports qui ont révélé la pratique de la torture en Espagne pendant de trop longues années. Le parquet doit veiller aux intérêts de la société…