Le groupe Patxa et son batzoki de la rue des Tonneliers ont marqué la vie politique, culturelle et festive du Petit Bayonne, entre la fin des années 80 et le début des années 90. Le 25 mai prochain, sera inaugurée la place Patxa, à l’initiative de la ville de Bayonne qui a procédé à une consultation des habitants pour définir un projet de réhabilitation. Exposition photographique, apéritif, jeux et concerts sont à l’ordre du jour.
Fin 1991, le journal Enbata publia un article d’Ellande Duny-Pétré consacré à Patxa, alors en peine effervescence et en mutation. Il traduit ce que que fut ce mouvement atypique et flamboyant dans l’histoire du mouvement abertzale d’Iparralde, avec son humour et ses provocations, ses fureurs et ses excès.
Paru dans l’hebdomadaire d’Enbata n°1198 du 22 octobre 1991
Le Patxa nouveau est arrivé
Après le « Gora Euskadi tropikala » et « l’alternative Gin-Kas » de ses débuts,
le groupe Patxa devient une organisation de plus dans la paysage politique abertzale.
Il lance une campagne pour l’insoumission au service militaire.
Leur «Gora Euskadi tropikala» demeurera dans les annales du mouvement abertzale. Patxa, ce sont ces «Peaux-rouges criards» du Petit Bayonne qui prennent pour cibles tous les pouvoirs en place et ne dédaignent pas le baston contre les skinheads ou les colleurs d’affiches du RPR qui s’aventurent dans le quartier. Rassemblés dans leur Patxoki —nouveau bateau ivre en cette fin de siècle— les Patxa hantent «les péninsules démarrées» où l’on «a toujours raison de se révolter».
Sur le comptoir de leur local, un brodequin de CRS peint en rouge et monté en abat-jour, sera digne de figurer demain dans une vitrine du Musée basque consacrée aux années 80… Les outrances verbales du groupe et de son fanzine, l’alacrité de ses slogans, naissent dans la «nuit verte et les neiges éblouies» des soirées trop arrosées du quartier Saint-André qui n’a jamais «subi tohu-bohus plus triomphants». Cette nouvelle génération d’Indiens «clouent nus aux poteaux de couleurs» les Le Pen, Grenet-Hito, Jean-Pierre Dextrade, Philippe Etcheverry et autres Christian Aguerre du journal Sud-Ouest, le «journal-flic qui cire les pompes du commissaire Catala».
Anarchie porteuse de flambeau
Les troupes de la rue des Tonneliers suivent les conseils de la mère Patxa revenant de Carrefour : «Dépensez moins, volez plus !». Leurs campagnes anti-drogue, anti-viol, ou pour l’occupation de logements vides sous forme de squats, on plu au-delà des convaincus, car elles mettent le doigt sur des questions que personne ne voulait voir en face.
«Plus de rock, moins de flics», «Faut qu’ça pète», «Buvez Hélie-minez» (1), le drapeau noir de Patxa vit une belle histoire d’amour avec l’ikurriña de Sabino Arana Goiri. Ces jeunes gens rêvent pour Euskadi de cette «anarchie porteuse de flambeau qui chasse la nuit et écrase la vermine», elle changera la vie, comme le clama un jeune homme de leur âge, Arthur Rimbaud. Leurs aînés se nomment Elisée Reclus, Durruti ou le communard Prosper Lissagaray. Les flics, les curés et les bourgeois n’ont qu’à bien se tenir.
Sus aux citadelles, aux tabous et à la tauromachie ! « Barabas askatu, Kristo garbitu ! », « Revilla milesker », les graffiti iconoclastes sur notre vénérable cathédrale et les affiches à l’humour ravageur, illuminent la grisaille hygiéniste de notre ville. Vous êtes sur le pavé bayonnais, tout est plutôt sinistre et voici qu’apparaît un des ces murs tagués qui éclaire tout, comme un énorme bouquet d’Amérique Latine. C’est cela l’écho silencieux des graffiti de Patxa, les vibrations qu’ils suscitent, comme si l’inaudible musique de ce qu’ils proclament, le désordre qu’ils suggèrent, le foisonnement intense de leurs frondaisons, étaient les signes avant-coureurs d’un futur de plus en plus proche. Murs, s’y inscrit la fresque anonyme, le mural collectif et incessant. S’y ajoutent, la détérioration, le temps de la nature, la pluie, le soleil, la délavure. « Je vous salue ma rue pleine de crasse » ou bien « Et l’homme créa Dieu » entreront dans la légende du graffiti bayonnais.
Patxa et leurs amis ont trouvé là un mode d’expression dont ils usent et abusent au goût de certains. L’anticonformisme et le poil à gratter de Patxa dérangent les abertzale-pantoufle d’EA, d’EMA ou d’EB. Patxa, ça se déchaîne et ça s’enchaîne, ça démure et ça déménage, ça arrache et ça bombe, ça colle et ça castagne, bref ça décoiffe. C’est beau comme une poussée exubérante d’avril, comme le printemps des peuples de 1848.
A deux pas de la rue des Tonneliers, le commissariat de police ne s’y est pas trompé, il les a dans la collimateur, témoin l’avalanche de perquisitions dont ils ont récemment été victimes.
Patxa en mutation
Aujourd’hui Patxa en mutation risque de perdre de la verdeur, de la spontanéité qui faisaient tout son charme. Allié avec Oldartzen, il se structure autour d’une réflexion politique et d’un projet, il ambitionne de s’étendre sur l’ensemble d’Iparralde, de «casser le fonctionnement activiste qui pénalise les travailleurs, les étudiants et les nouveaux militants qui n’habitent pas à Baiona», enfin de «créer un pôle anticapitaliste» au sein de la gauche abertzale. Comités locaux, coordination politique composée de délégués, plate-forme d’identification avec objectifs et stratégie… qu’on le déplore ou que l’on s’en réjouisse, Patxa se mue en une organisation politique de plus dans le paysage abertzale. Avec un catéchisme en prime.
Soucieux de «ne plus s’éparpiller en dix mille terrains de lutte sans en mener un jusqu’au bout», il choisit un terrain d’intervention susceptible de toucher la jeunesse d’Iparralde : l’antimilitarisme. Car le «service national représente une des oppressions les plus directes et les plus significatives : incompatibilité avec notre désir d’autonomie, de responsabilité individuelle, nos valeurs solidaires, féministes». La campagne de Patxa en faveur de l’insoumission s’enracine dans «l’appartenance à la nation basque, cadre historique territorial, culturel et politique d’un peuple qui n’a aucun service et encore moins militaire à rendre à l’État français… Cette démarche souhaite aussi exprimer la solidarité avec les peuples du tiers-monde, les autres colonies de l’État français, les grévistes, les exclu(e)s de banlieues et de la société de consommation, ou avec toute autre partie de la population victime des puissances militaires».
Trois façons d’éviter l’armée
Ce sont l’objection, la réforme, l’insoumission, «mais vis-à-vis d’un objectif politique, l’insoumission nous paraît le moyen le plus clair d’affirmer son refus, sa rupture par rapport à l’État, l’armée et le système qu’elle défend. L’insoumission est politiquement plus efficace, mais elle est aussi et surtout la seule forme de refus capable de de dynamiser réellement et durablement le mouvement anti-militariste, c’est la forme de lutte la moins acceptable pour l’Etat et l’armée».
Pour ce faire, Patxa collera 5000 affiches, distribuera 10.000 tracts expliquant la procédure à suivre pour obtenir le statut d’objecteur de conscience, même si le groupe avoue ses préférences pour une attitude plus radicale, l’insoumission. Tout cela en accord avec les groupes antimilitaristes d’Euskadi-Sud, tels que Kakitzat, Jarrai (jeunesses d’HB) et le mouvement des objecteurs de conscience. Là-bas, le nombre des insoumis est le plus élevé d’Europe (plus d’un millier). En outre, près de 50 % des appelés optent en faveur du statut d’objecteur de conscience, pour seulement 20 % dans l’État espagnol. Le mouvement a fortement progressé pendant la guerre du Golfe.
Les mois qui viennent nous diront si Patxa est parvenu à faire croître les nombre des objecteurs de conscience et des insoumis en pays Basque Nord.
Ellande Duny-Pétré
(1) Hélie, nom d’un commissaire de police de Bayonne qui s’est acharné sur le groupe Patxa.
Carte de visite de Patxa
lors de sa naissance
Publié dans Enbata n°1198 du 22 octobre 1991
Patxaran :
1- Nom issu du latin Patxarrus, alcool fort que l’on offrait autrefois aux lions avant qu’ils bouffent les chrétiens, la digestion s’en trouvant sensiblement améliorée, et cela suite à une des grèves revendicatives du LSD (Lion’s Syndicate Devorate).
2- Fanzine issu d’une scission lors du 23e congrès national de Kalimotxo (3 janvier). Un désaccord portant sur la proportion de coca-cola dans le kalimotxo entraîne une grande polémique qui fera 23 blessés et 6 morts, dont 4 grièvement, et aboutira à la naissance de la tendance Patxa. Aujourd’hui, la tendance Patxa regroupe 360 adhérents, dont 359 vivant dans la Petit-Bayonne. Elle est constituée d’une commission anti-répression, une commission poteo et une commission basket. Y sont afflilés : le PTB (Patxarran ta borroka), le PGB (Patxaran gazteriaren batzordea) et le BLE (Baserritar langile Elkartasunösc), syndicat agricole qui réunit pour la moment un seul agriculteur (de Santa Grazi).
La tendance Patxa s’est dotée d’un organe de presse à visée nationale, Patxaran, et a établi une alternative Gin-Kas en cinq points : dératisation anti-fasciste d’Iparralde, auto-réappropriation sociale à tous les niveaux, aménagement de la cathédrale de Bayonne en salle de rock, dépénalisation de la lutte armée, suppression des heures limites d’ouverture des bars en Iparralde.
Nous ne négocierons les cinq points de cette alternative qu’après la libération de tous les prisonniers d’Ipar-Euskadi et notamment de Bébert, de Habas-la Plaine, qui vient de se choper trois mois pour vol de mobylette, et après la dissolution des forces d’occupation dans de l’acide sulfurique à 66 %.
Poteoak bizi behar du !
Jo ta ke, pakean utzi arte !
Ce n’est pas « à l’initiative de la ville de Bayonne « , mais à l’initiative du Collectif Place Patxa, composé des riverains du Petit-Bayonne et des associations « Patxondo », « Baionako Zizpa Gaztetxea », « Patxoki -Bizi » et « Mami Txula ». Ensuite le Collectif s’est réuni avec la Ville pour valider le principe de la consultation citoyenne, pour la mettre en place et pour que le réaménagement respecte les résultats de la consultation citoyenne.