Bilans et perspectives sont les deux maîtres mots de la vaste entreprise de réflexion que la gauche abertzale d’Hegoalde mène depuis plusieurs mois en vue d’une sorte de refondation. Voici les enjeux.
Suite au changement de stratégie mis en oeuvre à partir de 2011, la gauche abertzale a ouvert ses derniers mois un processus de débat interne dénommé Abian.
L’objectif est de dresser les bilans, de reprendre de la perspective, c’est-à-dire de remettre à plat les éléments de la stratégie définie il y a quelques années par Zutik Euskal Herria. Le document Abian a été élaboré dans une première phase sur la base de contributions écrites suscitées auprès de la militance.
Le processus est maintenant dans sa seconde phase, et devrait se clore à la mi-avril.
On peut cependant considérer qu’il rentrera dans une troisième phase après avril, dans le sens où le socle stratégique renouvelé par Abian servira de base pour une série de congrès qui se dérouleront par la suite au sein de Sortu, de Lab et du mouvement de jeunes. Je résumerai ici en cinq points la thèse qui est développée dans le document Abian.
Changement de stratégie
Le premier point concerne le changement de stratégie entrepris avec Zutik EH qui est à nouveau entériné, dans le sens où le contexte politique actuel confirme son
potentiel. En effet, est-il possible dans l’Europe actuelle d’obtenir le droit à l’autodétermination ? Est-il aussi possible de construire par l’activation de la société civile un vrai rapport de force favorable à l’autodétermination qui cristallise une dynamique de confrontation démocratique face au déni des Etats centralisateurs ? Les processus écossais et catalan nous amènent à répondre sans aucun doute par l’affirmative à ces deux questions.
Deuxième point, le potentiel de la stratégie Zutik EH est confirmé, mais il n’a pas été correctement exploité. Sur ce point, le bilan proposé par Abian est critique, car les causes évoquées ne relèvent pas que de facteurs externes, mais sont en bonne partie imputables à la gauche abertzale elle-même. Sont pointés un manque d’horizontalité dans son fonctionnement, et des pratiques politiques insuffisamment rénovées. Est souligné également, un accaparement trop important des énergies militantes par la sphère institutionnelle (élections, gestion des institutions), ayant pour corollaire un défaut d’investissement dans les luttes sociales, et l’activation de la société civile.
Troisième point, la gestion de la nouvelle stratégie s’est basée sur une hypothèse implicite qui a été totalement invalidée. En effet, la Conférence d’Aiete, et l’arrêt unilatéral de la lutte armée auraient dû permettre des avancées beaucoup plus importantes dans la résolution du conflit et la normalisation de la vie politique en Euskal Herria. Nous aurions alors été en bien meilleure situation pour impulser une offensive collective dans le domaine du processus souverainiste. Mais les Etats ont décidé de bloquer le processus de résolution, ce qui contribue à exacerber les contradictions internes de la gauche abertzale, et à inhiber sa capacité d’initiative.
Il nous faut réfléchir
sur notre stratégie d’alliance,
car l’enjeu n’est pas de nous poser
en avant-garde éclairée,
mais bien de construire
de nouvelles dynamiques larges
de travail en commun.
Plus de participation
Quatrième point, il faut aujourd’hui réajuster notre schéma de travail. Evidemment, la résolution du conflit, la libération des preso gardent tout leur caractère prioritaire, mais nous devons reprendre l’initiative dans le champ du processus souverainiste. Nous disposons, pour ce faire, d’une nouvelle donne politique, caractérisée notamment par l’ampleur de la crise de l’Etat espagnol et des avancées sur la question territoriale avec l’arrivée au pouvoir des abertzale en Navarre, et la possibilité d’une première forme de reconnaissance d’Iparralde. La réactivation du processus souverainiste suppose au moins trois choses.
Tout en réaffirmant nos fondamentaux (en particulier la légitimité de la lutte en faveur des droits inaliénables de notre peuple), redéfinir d’abord notre projet indépendantiste, en répondant, au-delà du cercle abertzale, aux problématiques du quotidien de larges secteurs de la population subissant de plein fouet la crise économique et sociale actuelle. Réfléchir ensuite sur notre stratégie d’alliance, car l’enjeu n’est pas de nous poser en avant-garde éclairée, mais bien de construire de nouvelles dynamiques larges de travail en commun. Redonner priorité, enfin, au champ de l’activation sociale, en repensant nos pratiques politiques.
Cinquième point, tout cela nécessite une remise en cause du fonctionnement actuel de la gauche abertzale que l’on pourrait résumer ainsi : plus de transparence, plus de participation, plus de démocratie. En mai, un congrès de Sortu devrait démarrer dans la foulée du débat Abian. Parmi les différents éléments de réflexion, l’analyse de la situation politique d’Iparralde, mais aussi la redéfinition des fonctions de Sortu dans la configuration actuelle du mouvement abertzale, au regard de laquelle EH Bai (EH Bildu en Hegoalde) est amené à se renforcer comme le mouvement politique unitaire porteur du projet de gauche et abertzale en Iparralde.