Le référendum d’autodétermination du Kurdistan d’Irak

KurdistanDans le numéro du mois dernier j’expliquais dans l’article « Le « cadeau » de Trump aux Kurdes » la descente aux enfers des Kurdes de Turquie à la suite de la rupture du cessez-le-feu avec le pouvoir turc il y a deux ans. Dans un registre à peine plus optimiste, voici le contexte et des enjeux du référendum d’autodétermination qui se tiendra au Kurdistan d’Irak ce 25 septembre.

Souhaitez vous que la région du Kurdistan et que les zones kurdes qui ne sont pas sous son administration deviennent un Etat indépendant ?”. C’est bel et bien à un référendum d’autodétermination auquel les habitants des zones kurdes d’Irak sont invités à participer le 25 septembre prochain.

Un tel référendum avait déjà été évoqué en 2014 après des tensions entre le gouvernement régional du Kurdistan (GRK) et le pouvoir central irakien, mais repoussé en raison de la lutte contre l’Etat Islamique (EI).

Ce n’était que partie remise : sitôt Mossoul reprise aux djihadistes, Massoud Barzani, le président du GRK, annonçait la convocation du référendum. Les Kurdes, oubliés par le traité de Lausanne en 1923 et répartis sur quatre pays (Irak, Turquie, Syrie, Iran), forment la plus importante nation sans Etat.

La perspective ouverte par le référendum devrait donc susciter un enthousiasme général au Kurdistan d’Irak, mais ce n’est pas vraiment le cas.

Beaucoup soupçonnent en effet le président Barzani de poursuivre d’autres objectifs que l’indépendance…

Volonté hégémonique

Le GRK est contrôlé par le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK), la formation politique de Massoud Barzani. Sa volonté hégémonique n’est un secret pour personne mais elle se heurte à une situation économique déplorable. Le GRK a en effet dû participer à l’effort de guerre contre l’EI, et ses revenus pétroliers ont chuté à cause du niveau très bas des cours de l’or noir. Les employés du secteur public en ont fait les frais et ont vu leurs salaires amputés, parfois de près de 70%. A cela s’ajoute une crise politique grave car le président Barzani est arrivé au terme de son mandat en août 2015. En raison de l’opposition de plusieurs formations à l’extension de son mandat, le parlement kurde ne s’est pas réuni depuis 2015. C’est donc sans aval parlementaire et avec une autorité présidentielle amoindrie que Barzani a convoqué le référendum du 25 septembre.

Pour ses adversaires, ce référendum n’est qu’un “outil purement politique”. Il permet en premier lieu de faire diversion dans un contexte politique tendu, mais son but principal est d’offrir au GRK l’opportunité de faire main basse sur les fameuses “zones kurdes qui ne sont pas sous son administration” dont il est fait expressément mention dans l’intitulé de la question référendaire. Ces “zones disputées” qui représentent 48% du territoire concerné par le référendum et où résident plus de 2,5 millions de personnes, font l’objet d’âpres négociations entre Erbil et Bagdad depuis 2003.

De toutes ces “zones disputées”, la province pétrolière de Kirkuk est certainement la plus importante et la plus susceptible de déclencher un conflit.

Malheureusement, c’est aussi un véritable casse-tête politique. Selon la constitution irakienne, Kirkuk ne fait pas partie du Kurdistan et Bagdad revendique donc l’exploitation de ses puits de pétrole.

Mais, prenant prétexte de l’avancée de l’EI, le PDK a dépêché en 2014 deux brigades de peshmergas pour défendre les installations pétrolières. Ne souhaitant pas l’ouverture d’un nouveau front, Bagdad a laissé le parti de Barzani exploiter ces puits, au grand dam de l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK), la grande formation kurde rivale du PDK.

C’est l’UPK qui contrôle traditionnellement la zone de Kirkuk ; pour elle, la présence de peshmergas à Kirkuk est une véritable “occupation” et une milice proche de l’UPK est même allée jusqu’à faire sauter certains puits…

Pression sur Bagdad

Et ce n’est pas tout ! Les Kurdes ne représentent que 52% de la population dans la région de Kirkuk, les autres habitants étant arabes ou turkmènes. La perspective du référendum inquiète beaucoup ces derniers, car en cas de conflit entre les Kurdes et le pouvoir central, ils devront choisir leur camp et se retrouveront en première ligne.

Les Kurdes ne représentent
que 52% de la population dans la région de Kirkuk,
les autres habitants étant arabes ou turkmènes.
Ces derniers, en cas de conflit
entre les Kurdes et le pouvoir central,
devront choisir leur camp.

Human Right Watch dénonce d’ailleurs déjà des exactions de la part de forces kurdes visant à faire partir les Turkmènes de la région. Désireux de déjouer les desseins du KDP de Barzani, mais ne pouvant pas s’opposer ouvertement au référendum, l’UPK s’est rapprochée des Turkmènes et réclame la tenue de deux référendums : le premier pour demander aux habitants de la région de Kirkuk s’ils veulent être rattachés au Kurdistan, et le second sur l’indépendance.

La position des Arabes sunnites des “zones disputées” est différente.

Comme beaucoup de sunnites d’Irak, ils estiment ne pas être pris en considération par le pouvoir central (chiite) et ne croient plus en un Irak multiconfessionnel. Beaucoup considèrent qu’un Kurdistan indépendant serait un refuge sûr et plusieurs tribus arabes des zones disputées ont manifesté pour pouvoir participer au référendum.

En retour, cette attitude suscite bien évidemment des craintes du côté de la population chiite et notamment chez les Feylis, des chiites kurdes qui ont déjà beaucoup souffert des exactions de Saddam Hussein et du terrorisme sunnite.

Plusieurs voix se sont déjà élevées à Bagdad pour priver les Feylis résidant en Irak de leur nationalité irakienne en cas d’indépendance du Kurdistan.

Barzani n’hésite pas à jouer la carte confessionnelle pour parvenir à ses fins, mais c’est une carte très dangereuse qui lui attire par ailleurs l’hostilité de ses deux puissants voisins : la Turquie qui prend la cause des Turkmènes, et l’Iran qui ne souhaite pas que l’Irak, actuellement sous son influence, soit démantelé.

L’inclusion brutale des “zones disputées” dans la question référendaire est donc susceptible de replonger la région dans le chaos, alors que la page de l’EI vient seulement d’être tournée.

Si l’objectif de Barzani était vraiment l’indépendance, il aurait certainement procédé de manière plus concertée, mais il se contente vraisemblablement de chercher à faire pression sur Bagdad pour faire main basse sur le pétrole de Kirkuk.

Le Kurdistan mérite beaucoup mieux.

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