
L’Edito du mensuel Enbata
Cinq ans. Cinq ans déjà que tout s’était arrêté. Que les rues s’étaient vidées, que les balcons résonnaient d’applaudissements pour les soignant·es, que le mot “essentiel” tentait de retrouver un sens. Le monde retenait son souffle et se demandait, peut-être pour la première fois à cette échelle : que voulons-nous vraiment ? Et pour qui ?
Cinq ans plus tard, le souvenir s’estompe. Les habitudes de consommation dictées par la publicité ont repris le dessus, les multinationales affichent des profits records, les hôpitaux manquent de bras, les métiers essentiels restent précaires, la relocalisation est restée un slogan marketing, et la sobriété est désormais perçue comme une punition. L’imaginaire du “monde d’après” a été balayé aussi vite que les attestations dérogatoires.
Ce qui revient, en revanche, c’est le silence. Le silence du renoncement. Le silence entretenu pour ne pas avoir à changer. Le silence de l’oubli volontaire, de l’ignorance. Et dans bien des sphères, ce silence est une stratégie.
Localement aussi, il pèse. Il enveloppe certaines institutions, certains sujets, certains crimes. L’affaire Bétharram en est un des visages. Pendant des décennies, des enfants y ont été victimes d’abus, dans le silence assourdissant de la hiérarchie catholique. Aujourd’hui encore, le refus d’ouvrir les archives sonne comme un frein à la recherche de vérité, alors même que des familles demandent justice.
Marc Aillet n’est pas un évêque comme les autres. Proche des mouvances les plus conservatrices, il multiplie les prises de position politiques : contre l’avortement, contre les droits LGBT+, contre les lois républicaines. Il prône une morale stricte mais protège une institution qui, ici aussi, a failli à sa mission première : protéger les plus vulnérables. Ce double discours ne choque plus : il s’inscrit dans la normalisation du cléricalisme autoritaire, en France comme ailleurs.
Car ce phénomène dépasse nos frontières. Aux États-Unis, l’extrême droite impose sa loi. Partout, les réseaux catholiques identitaires se structurent, se rapprochent de l’extrême droite. Ici aussi, les digues tombent. Le milliardaire Stérin, soutien d’une droite ultra-conservatrice, tisse sa toile dans l’ombre mais aussi de manière visible et assumée.
Face à cela, des choix sont à faire et le Pays Basque ne fera pas exception. Soit nous cédons au confort du silence, soit nous affrontons nos zones d’ombre. Soit nous acceptons les non-dits au nom de la paix sociale, soit nous regardons en face ce qui dysfonctionne.
« Soit nous cédons au confort du silence, soit nous affrontons nos zones d’ombre. Soit nous acceptons les non-dits au nom de la paix sociale, soit nous regardons en face ce qui dysfonctionne. »
La pandémie avait mis en lumière nos interdépendances, nos fragilités, notre besoin de soin, de solidarité, de proximité. Elle avait montré que l’économie pouvait s’arrêter. Que nous pouvions ralentir. Que nous pouvions réorienter. Ce moment d’introspection aurait pu marquer un tournant. Il n’a été qu’une parenthèse.
Les conservateurs et l’extrême droite aiment à répéter que “c’était mieux avant”. Leur nostalgie n’est jamais innocente : elle sélectionne, efface, fantasme. Mais il existe une autre manière de regarder en arrière : non pour fuir le présent, mais pour nourrir l’avenir. Quand la salle Lauga fait deux fois le plein pour vibrer sur les anciennes musiques de Sorotan Bele ou que Fermin Muguruza devient ambassadeur du Pays Basque à Paris en remplissant La Cigale pour un concert hommage à Federico Aranburu — qui nous rappelle qu’en France aussi, l’extrême droite tue —, ce ne sont pas là les signes d’une nostalgie de renfermement, de repli sur soi, de crainte de l’étranger… Au contraire, ces souvenirs encore vivants nous rappellent ce que la musique, les luttes collectives, les utopies peuvent faire naître pour se relever, tenir, et refuser la résignation.
Le silence n’est jamais neutre. Il protège les dominants, pèse sur les vulnérables, bâillonne les alternatives. C’est une arme politique. Il est temps, à nouveau, de lui opposer la clarté.