50e anniversaire du procès de Burgos – L’événement politique qui mit la question basque sur le devant de la scène internationale fait l’objet d’une étonnante relecture dans la presse. Le quotidien espagnol de référence El País transforme ce procès et l’émotion qu’il suscita, en l’expression exclusive de la lutte anti-franquiste. Et nullement en faveur d’ETA «qui ne joua aucun rôle».
Le 3 décembre 1970, débutait le procès de Burgos, un tribunal militaire espagnol «jugeait» seize militants d’ETA, accusés d’avoir abattu Melintón Manzanas, grand tortionnaire devant l’Eternel et patron de la brigade politico-sociale, la police politique du Gipuzkoa. Suite à d’importantes mobilisations de l’opinion publique en Pays Basque (Etat d’exception en Bizkaia et Gipuzkoa, meurtre d’un manifestant à Eibar), mais aussi en Espagne et dans le monde entier, les «seize de Burgos» dont neuf étaient condamnées à morts, furent finalement graciés par Franco et demeurèrent en prison jusqu’en 1977.
Le récit que fait aujourd’hui de ces événements le quotidien espagnol «de référence» et de centre gauche El País du 28 novembre, est proprement stupéfiant. Selon lui, le procès et l’émotion qu’il suscita ne furent que l’expression de «la lutte anti-franquiste, pas du tout en faveur d’ETA (…) qui ne joua là aucun rôle». A l’inverse de «la grande mobilisation que dirigèrent les Commissions ouvrières», syndicat d’obédience communiste. Le résultat du procès fut «le renforcement de la lutte anti-franquiste», «la consolidation d’un sentiment contre Franco ouvrit une nouvelle étape qui déboucha trois ans plus tard sur la création de la Junte démocratique et de la plate-forme des organismes démocratiques». El País regrette : «L’effet négatif du procès de Burgos fut la légitimation de la violence» d’ETA, tout en précisant que l’organisation armée basque «avait à peine quelques similitudes avec la suite, [elle devint] nationaliste et progressivement militariste». C’est là contredire le principal chef d’accusation élaboré par l’armée sous la forme d’un épais rapport. Il y fait l’histoire de ETA et montre que l’objet même de ce procès «sumarísimo» est d’éradiquer une insurrection armée née quelques années plus tôt.
L’article réalise un exploit. Il parvient à publier une page entière sur le procès de Burgos, sans qu’apparaisse une seule fois le mot «basque». Quant aux termes «nationaliste» ou «nationalisme», ils apparaissent trois fois, sans préciser qu’il s’agit du nationalisme basque. Or, dans le vocabulaire politique espagnol, le terme de «nationaliste» employé seul désigne les forces qui ont soutenu le soulèvement franquiste. La confusion ne doit rien au hasard, le message subliminal est limpide.
Silence sur l’enlèvement du consul allemand de Donostia par ETA
Le journal en remet une couche: «Le mouvement ouvrier fut le référent de la lutte anti-franquiste, mais le procès de Burgos ouvrit la voie au nationalisme. Ainsi le mouvement fut capitalisé par ETA le plus primitif». Bien entendu, ETA ne pouvait être composé que de primitifs et de sauvages qui se vautrent dans le sang de moutons égorgés, comme l’écrivit un grand journal français, quelque temps plus tard. La résistance basque était à ce point faible à l’époque qu’elle parvint à enlever le consul allemand de Donostia, Eugen Beihl, deux jours avant l’ouverture du procès. Elle lia son sort au verdict, lui fit passer la frontière, le garda en Iparralde et le libéra après 25 jours de détention, au terme d’une fantastique opération médiatique orchestrée par deux hommes de théâtre redoutables, Telesforo de Monzon et l’abbé Pierre Larzabal. Toute les presses nationales étaient suspendues à leurs conférences de presse. Cette opération politico-militaire internationalisa véritablement le procès de Burgos. De cela évidemment, la grande presse espagnole d’aujourd’hui n’en dit pas un mot.
Il est vrai qu’ETA vivait à cette époque une scission politique majeure, celle qui aboutit à ETA V et ETA VI dont l’adhésion au trotskisme eut lieu un peu plus tard. Pour El Pais, «le nationalisme présent au sein d’ETA se laissa séduire par le discours marxiste et anti-impérialiste à la mode après 1968». Plusieurs des condamnés de Burgos en furent, mais le cri de certains d’entre eux «Gora Euskadi askatuta!» dans la salle d’audience, face à leurs juges militaires, le chant «Eusko gudariak gara» entonné ensuite avec le public, résonnent encore dans nos mémoires. Dans la préface du livre de Gisèle Halimi, Jean-Paul Sartre ne s’est pas trompé: le procès de Burgos a révélé à l’opinion publique mondiale le fait national basque (1).
L’évolution de plusieurs condamnées de l’extrême gauche vers un socialisme beaucoup fréquentable qui, une fois au pouvoir au début des années 80, leur accorda fromages, prébendes et autres postes aussi rémunérateurs que confortables, est passée sous silence. Pas un mot sur un élément clef qui entraîna l’unanimité de l’opinion publique, en France comme dans toute l’Europe. Au moment du procès de Burgos, avait lieu à Léningrad un autre procès à fort relent antisémite, celui de douze juifs accusés d’avoir détourné un avion pour quitter l’URSS. Les deux affaires concomitantes fusionnèrent dans les mots d’ordre de mobilisation (2). Une bonne partie de la droite descendit alors dans la rue, celle qui soutenait peu de temps avant que le franquisme n’était plus ce qu’il était, qu’il se libéralisait sous l’influence bénéfique de l’Opus Dei. Contre la dictature de droite et contre celle de gauche, tout le monde fut d’accord.
Réécrire l’histoire
Rien n’a changé pour une certaine gauche. Le vieux préjugé du nationalisme forcément suspect parce que «petit bourgeois» n’est pas mort. Les heures de réunions stériles sur le fait de savoir s’il fallait marquer dans le prochain tract que les condamnés de Burgos ou Tupa et Otaegi étaient des «militants basques» ou bien des «militants anti-franquistes», un seul, les deux, dans quel ordre… n’ont pas pris une ride. Ce type de débat plomba notre vie politique pendant des années et visiblement, quelques débats récents montrent que ce n’est pas fini. La question nationale basque leur pose toujours un gros problème, tout est bon pour la masquer, l’ignorer, noyer la lutte abertzale dans un autre combat.
Réécrire l’histoire selon ses a priori idéologiques ou ses présupposés du jour font partie des armes des vainqueurs. Ils entendent imposer leur version des faits. De la disparition de la souveraineté navarraise présentée comme une guerre menée par les rois d’Espagne contre des monarques français, à l’histoire d’ETA, est-il possible d’élaborer un récit commun? Non bien sûr, deux projets politiques se font face depuis des siècles. Vouloir élaborer une histoire commune suppose qu’il s’agit d’écrire l’histoire d’un seul et même peuple, d’une seule et même nation, alors que la question nationale pour l’une d’entre elle n’est toujours pas réglée. Alors que perdure la situation de domination, de sujétion de l’une sur l’autre. Avec le révisionnisme frisant le négationnisme qui fleurit à Madrid, nous ne prenons pas le chemin du récit commun.
(1) Début de la préface du philosophe: «S’il faut en croire la presse, le procès de Burgos n’a fait un tel scandale que pour avoir mis en lumière la férocité absurde du régime franquiste. Je n’y crois pas : la sauvagerie fasciste a-t-elle tant besoin d’être démontrée ? N’y avait-il pas eu, depuis 1936, des incarcérations, des tortures et des exécutions un peu partout sur le sol de la péninsule ibérique ? Ce procès a troublé les consciences, en Espagne et hors d’Espagne, parce qu’il a révélé aux ignorants l’existence du fait national basque; il est apparu clairement que ce fait, bien que singulier, était loin d’être unique et que les grandes nations renfermaient des colonies à l’intérieur des frontières qu’elles s’étaient données», 1971.
(2) Le Consistoire israélite de Bayonne appela à une manifestation commune.
Benetan deitoragarria da El Paisek idatzitakoa. Ezin daiteke esan hori dela Historia eta errealitatea ez ezagutzea; hau da ezagutu nahi ez izatea. Gernikako bonbardaketa Euskal Herriaren independentziarako gertaeratzat jo ordez, Espainiako Gerlakotzat jotzen dutenaren antzera, gauza bera egin nahi dute Burgoseko auzia dela eta. Hobeki eginen lukete Gisele Halimiren liburua irakurriko balute. Hala ere, horretatik irakaspen bat hartu beharko lukete gaurko alderdi abertzaleek: Gaurko Espainiar Gobernuarekin Estatuko aurrekonturari buruzko negoziaketak ezker abertzaleak ongi egiten dituen arren, mesfidantzaz aritu beharko du nazio arazoari buruz, gaur agertzen den errebisionismo hori lanjerosa bihurtzen baita.