Le syndrome de la colonne vertébrale

PEADes listes abertzale pur jus ou des listes abertzale ouvertes à d’autres sensibilités pour les municipales des 23 et 30 mars? Peio Etcheverry-Ainchart, élu abertzale de Donibane Lohizune, a une position bien claire sur le sujet. Il nous en fait part.

Je n’ai jamais vraiment aimé les bêtisiers de fin d’année, cette succession d’extraits télévisés rigolos dont l’enchaînement trop dense finit toujours par lasser, un peu comme ces bons chocolats qui ne s’apprécient vraiment que lorsqu’ils sont consommés petit à petit. Et pourtant, je me souviens toujours avec délectation de ce passage culte tiré d’un journal télévisé d’Outre-mer, à la fin duquel le journaliste émit cet improbable aphorisme : “celui qui avale une noix de coco a confiance en son anus”. J’en pouffe à l’écrire.

Ouverture ou pas ?

Quel rapport avec Enbata, me direz-vous ? Un rapport relativement lointain a priori, mais qui existe pourtant si je réponds que le sujet de cette chronique est également un aphorisme, de ma composition cette fois : “celui qui élargit sa liste municipale a confiance en sa colonne vertébrale”, ou mieux encore “celui qui a peur d’élargir sa liste n’a pas confiance en sa colonne vertébrale”.

Loin de moi l’idée de tirer de ces deux phrases quelque considération tactique concernant une commune ou une autre du Pays Basque nord en cette veille d’élection : à chaque commune sa réalité locale, ses enjeux, ses possibilités, ses hommes et ses femmes.

Je souhaite juste revenir sur une discussion que j’ai eu l’occasion d’avoir au sujet de la liste abertzale luzienne il y a quelques semaines, après publication de l’identité de ses membres. Il se trouve que cette liste, après avoir intégré en son sein un ancien élu vert en 2008, a intégré cette année une élue communiste, deux membres respectivement encartés au parti de gauche et au PS, et à l’inverse quelques personnes plutôt marquées au centre. Bien sûr, ce qui devait arriver arriva : que n’entendîmes-nous pas d’un côté sur l’alliance quasi-satanique avec le péril rouge, qui nous privera assurément d’une potentielle pénétration du « centre luzien » en particulier catholique… Inversement, quels cris d’orfraie ne résonnèrent-ils pas chez ceux pour qui le centre, c’est déjà la droite… Et réunissant les deux tendances dans un même rejet, n’oublions pas ceux pour qui une liste abertzale cesse d’être abertzale quand elle intègre des non abertzale.

C’est là que je pose la question, aux uns comme aux autres : quel est l’objectif du mouvement abertzale de manière générale, et pendant les élections en particulier ? Est-ce donc de bien prendre soin de verrouiller une liste le plus possible, de sorte qu’elle ne parle que par la bouche d’abertzale, n’a de programme que pour les abertzale et ne soit écoutée que par les abertzale ? Accessoirement, on pourrait presque rajouter qu’elle commencerait presque à perdre son âme si elle rassemblait davantage que les seuls suffrages abertzale… L’objectif n’est-il pas plutôt de se dire que le but d’une liste municipale – abertzale ou pas – est d’accéder aux commandes d’une ville avec son projet, et pour cela de convaincre la majorité de sa population de la validité de ce dernier ? Or, quelle meilleure preuve de la pénétration de ce projet que de constater que même des gens de couleur politique différente, parfois très différente, sont tellement convaincus par ce projet qu’ils sont prêts à rejoindre la liste qui le porte, parfois contre l’avis de leur propre famille politique ?

Un « parcours électoral« 

Evidemment, le projet luzien en question étant abertzale et de gauche, avant d’espérer convaincre toute la ville lorsque celle-ci votre UMP à 55% il va logiquement commencer par attirer des gens également marqués à gauche… Puis dans la suite logique des choses, il convaincra des gens du centre plutôt que des gens de droite. Pas besoin d’avoir fait Sciences-Po pour le deviner. Et enfin, dans le scénario le plus optimiste, il convaincra finalement une partie assez importante de l’électorat de droite pour emporter l’élection. Ces gens-là, d’ailleurs, ne voteront pas parce que l’affichage politique aura été affirmé plus ou moins abertzale, ou plus ou moins à gauche, mais bien parce que le projet aura montré assez de bon sens pour passer comme le meilleur à leurs yeux.

Pour ne donner qu’un exemple, durant les élections législatives, j’avais discuté avec un électeur de droite et qui m’avait avoué avoir voté EH Bai ; évidemment pas pour son affichage “abertzale de gauche” (il ne conchiait rien plus que les militants de gauche) mais pour ses propositions concernant le logement, dont il ne se souciait pas de savoir de quel bord elles étaient. Il trouvait ça bien et c’est tout. Dans le “parcours électoral” ainsi brossé, j’espère bien que la liste Herri Berri (ou tout autre liste abertzale ayant fait le même choix) figurera à l’étape intermédiaire, celle où la majeure partie de la gauche préfèrera son projet à celui du PS et qui la verra même commencer à séduire ce centre plus ouvert à nous qu’on ne veut bien le dire. Seul le résultat le dira, mais ce souhait-là est bel et bien affirmé. Trahison que de parler ainsi ? Fichtre ! Faudra-t-il donc alors un coup d’Etat pour que le mouvement abertzale prenne le pouvoir alors qu’il est minoritaire ? Ou dispose-t-on d’une baguette magique pour que du jour au lendemain des électeurs hostiles aux abertzale commencent à voter pour eux ? Rester entre soi est tellement facile, confortable et rassurant, alors qu’oser s’élargir, c’est prouver au contraire qu’on commence à convaincre et qu’on remplit donc notre fonction “révolutionnaire”, au sens de changement profond de la société.

Oser s’élargir, c’est prouver qu’on commence à convaincre
et qu’on remplit donc notre fonction “révolutionnaire”,
au sens de changement profond de la société.

Les fondamentaux

Evidemment, tout cela suppose le respect d’une condition fondamentale : s’élargir, ce n’est pas se perdre, changer son identité ou son projet pour séduire. Au contraire, c’est parvenir à fédérer toujours plus large sans renoncer à rien de cette identité, de ce projet. Quelle victoire qu’un(e) militant(e) non abertzale porte le projet municipal abertzale parce qu’elle pense que finalement c’est le meilleur ! Quel pas en avant qu’un socialiste ou un Modem défende, outre les points locaux, la déclaration d’Aiete, le rapprochement des preso ou une collectivité territoriale ! D’où l’aphorisme autour de la colonne vertébrale : la liste qui a confiance en sa colonne idéologique, qui sait que celle-ci ne risque pas de se perdre ou se briser, celle-là peut s’ouvrir sans crainte. C’est celle qui pourra dire à quiconque “viens avec nous ; on ne changera rien de ce qu’on est pour te convaincre, mais si tu es d’accord avec nous, tu es des nôtres”. C’est sûr, on est loin d’une logique de gardiens du temple.

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