En accédant à l’indépendance en 2002 suite au référendum d’autodétermination de 1999, le Timor Oriental savait qu’il se lançait sur une route longue et semée d’embûches en dépit d’une santé déplorable. Classé pays le plus pauvre d’Asie, épuisé par 24 ans de conflit et dévasté par les milices indonésiennes au lendemain du référendum, le Timor avait bien peu d’atouts pour réussir. En 2006, une grave crise au sein de l’armée a failli le déstabiliser, mais les élections de 2007 puis 2012 se sont déroulées dans le calme et ont témoigné de la normalisation de la situation. Même éclaircie sur le plan économique puisque le budget du gouvernement est passé de 90 millions de dollars en 2005 à 1,3 milliards aujourd’hui. Enfin, le départ des derniers casques bleus en décembre 2012 est venu confirmer que le Timor est aujourd’hui un Etat adulte. Un Etat qui doit subvenir à ses propres besoins et qui doit pour cela affronter la cupidité des grandes puissances qui s’étaient pourtant penchées sur son berceau avec de très belles paroles…
L’Australie et les pays occidentaux s’étaient en effet montrés généreux puisque 2 milliards d’aide internationale avaient été versés au Timor entre 1999 et 2006. Le Monde Diplomatique de juillet 2012 relativisait cette somme : «80% ont été utilisés hors du pays, notamment pour financer les casques bleus, tandis que 15% revenaient à des «experts» étrangers payés parfois 400 000 dollars». Dans le cas de l’Australie, la générosité affichée était même une parfaite hypocrisie. A titre d’exemple, le gouvernement australien a versé 200 millions de dollars d’aide au Timor entre 1999 et 2002, tout en gagnant 1,2 milliards par des exploitations pétrolières en mer de Timor. Les côtes timoraises sont en effet riches en pétrole, et cette situation pose deux défis au jeune pays : il doit faire bon usage de ces ressources tout en résistant à la politique néo-colonialiste de l’Australie qui aimerait bien s’en emparer.
Fond souverain du Timor, pour assurer une marge de manoeuvre en cas de coup dur
Pour tirer le meilleur parti de ses revenus pétroliers, le Timor a créé en 2005 un fond souverain inspiré par le modèle norvégien et qui s’élève aujourd’hui à 13 milliards de dollars. Cette somme énorme permet de générer des revenus pérennes via les intérêts, et assure au pays une certaine marge de manœuvre en cas de coup dur ; en 2011, le Timor s’est même permis le luxe de proposer au Portugal, l’ancienne puissance coloniale, de lui racheter une partie de sa dette ! Le Timor n’a cependant pas pu limiter son utilisation de la manne pétrolière au «revenu soutenable estimé» qui assure la viabilité du fond ; après la crise très grave de 2006, le gouvernement a en effet choisi de «taper dans la caisse» pour rétablir le calme : versement de primes aux rebelles qui rendaient les armes, aide au retour des déplacés, pensions pour les vétérans, etc. Cette politique fut un succès puisque la stabilité semble acquise, mais l’économie timoraise est maintenant dépendante à 90% du pétrole. On comprend donc pourquoi le Timor choisit aujourd’hui d’affronter l’Australie pour renégocier les accords iniques que cet immense voisin lui avait imposés alors qu’il n’était encore qu’un embryon d’Etat…
Le premier accord remonte à 2002, l’année de l’indépendance, et le Timor n’était évidemment pas en mesure de peser face à l’Australie. Contrairement au droit maritime international qui prévoit un partage des eaux territoriales selon la «ligne médiane» entre les deux pays, cet accord faisait sienne les exigences australiennes d’un partage selon la ligne de «plus grande profondeur». Désespéré, un des représentants timorais s’était écrié lors des négociations : «c’est dur de dire à notre peuple que la colonisation ne prendra jamais fin, même si nous obtenons l’indépendance». Cela n’a pas attendri l’Australie qui savait le Timor exsangue et contraint de signer un accord pour faire rentrer quelques devises : «Si j’étais dans votre position, je me focaliserais sur un revenu pour votre nouveau et pauvre pays […] Nous sommes très durs […] Laissez moi vous donner une leçon de politique» avait ainsi rétorqué le ministre des Affaires Etrangères australien.
Révéler les turpitudes australiennes précédant l’accord de 2006
L’accord de 2002 ne portait toutefois pas sur la totalité des gisements et excluait en particulier «Greater Sunrise», le plus grand d’entre eux. Au terme de 2 ans d’âpres négociations, un nouvel accord fut donc signé en 2006, prévoyant une répartition 50/50 des revenus (alors que 80% du gisement appartient au Timor selon la législation internationale) ; l’accord stipule également que les négociations sur la frontière maritime entre les deux pays doivent être gelées pendant 50 ans (c’est-à-dire le temps de vider le gisement !).
Pour les Timorais, les termes de cet accord qui les privent de revenus vitaux équivalent presque à un arrêt de mort. Ils viennent donc de passer à l’offensive en révélant les turpitudes australiennes qui ont précédé l’accord de 2006 et qui devrait selon eux suffire à l’invalider. Durant les négociations de 2004-2006, les services secrets australiens auraient en effet espionné la délégation timoraise pour obtenir des informations confidentielles. «C’était comme le Watergate» a déclaré un des avocats australiens engagés par le gouvernement du Timor, «ils sont rentrés par effraction et ont mis des micros au mépris de la souveraineté, dans la salle du Conseil et dans les bureaux des ministres […] Ce sont des infractions délibérées de la Convention de Vienne sur la Loi des Traités». Le gouvernement australien n’a quant à lui pas démenti ces révélations. Onze ans après son indépendance, le Timor ne fait donc plus appel à l’aide étrangère, il en appelle juste au respect du Droit international. Mais ce n’est certainement pas plus facile à obtenir…