Avec une grande complicité politique et médiatique, le débat se décentre aujourd’hui vers les thèses d’extrême droite, libérant la parole et normalisant un discours qui annihile les valeurs Républicaines.
L’honneur est sauf. Le maire de Bayonne, Jean-René Etchegaray, a rappelé dans un message salutaire les traditions d’accueil et de tolérance qui prévalent ici, après l’attentat perpétré contre la mosquée de la ville, ce 28 octobre, blessant grièvement deux fidèles.
C’est qu’à suivre les médias français, on ne sait plus quelle guerre se joue dans la rue d’à côté.
Le papy facho qui a fait feu, croyant venger l’incendie de Notre Dame de Paris, a beau être landais, il n’est pas tombé d’un pin. Hors sol, peut-être, pour qui goûte la quiétude de Bayonne et la réalité de communautés parfaitement intégrées. Mais bien ancré dans ce flot médiatique qui, d’un plateau télé à un réseau social, normalise un discours qui relevait il y a peu d’une ultra-radicalité, voire d’un soupçon de folie ou d’un poing dans la gueule.
En direct du bucher de Notre Dame de Paris, un journaliste américain de la chaîne droitière Fox News a surpris son auditoire français en interrompant un élu local qui sous-entendait déjà, dans la métaphore d’un enfumage du ciel parisien, le complot terroriste. “Cet homme n’en sait pas plus que moi” a t-il tranché, sans lui rendre le micro.
C’est qu’il y a belle lurette qu’on n’avait pas vu ça et qu’au contraire, nos télés françaises, pourtant régies par le CSA et surveillées par des sociétés de journalistes, ont pris le biais inverse de susciter la polémique pour gonfler l’audimat. Il a fallu cinq ans aux journalistes de RTL pour dégager de l’antenne Eric Zemmour, qui avait les faveurs de notre papy. Et le polémiste, qui trempe sa plume dans la tradition idéologique des années 30 et la théorie hallucinée du remplacement, a retrouvé salon sur CNews, cette fois en format quotidien quand ses contradicteurs n’ont qu’une chaise musicale. Il aura fallu une bonne semaine aux journalistes français pour s’apercevoir que le lamentable débat autour d’un foulard de musulman se déroulait sans qu’on ne donne la parole aux femmes musulmanes. C’est dire que le débat est pour le moins décentré ou que le combat d’idée s’est fourvoyé.
Agression dans l’hémicycle
L’origine de cette polémique, qui a occupé en boucle les chaînes d’actualité n’en était pas une. Le 11 octobre, Julien Odoul, élu d’extrême droite au Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, à Dijon, agresse une femme présente dans l’hémicycle avec une violence inouïe, exigeant qu’elle ôte son “voile islamique” et l’associant à l’attentat de la préfecture de Paris. La dame accompagne des enfants de 10 ans censés découvrir la vie publique, dont son propre fils qui éclate en sanglot. Cette humiliation publique ne sera pas réparée les jours suivants, puisque la femme voilée restera absente du débat, même pas femme et pas plus voilée qu’une religieuse commune ou que les mémés d’antan qui nouaient leurs cheveux dans un linge. Il n’y a bien que sa religion qui était montrée du doigt, ou pour traduire clairement ce que tout le monde a compris, cette arabe qu’on ne saurait voir.Car le débat s’est poursuivit jusqu’au Sénat, qui a voté ce 29 octobre, l’interdiction du voile pour les personnes accompagnant des scolaires. Voilà une brute du Rassemblement national doublement confortée, par la loi et par le débat qui occupe encore l’espace médiatique, avec la complicité lâche de politiques et de journalistes, guettant les signes de radicalisation délirants plutôt que la montée inquiétante d’un discours de haine. Comment s’étonner alors d’une parole, qui du fond des chaînes de mails, des fakenews, des amalgames, se libère brutalement. Sous un post Facebook du maire RN de Bézier, Robert Ménard, les applaudissements affluent pour saluer notre papy “résistant” qui a juste fait feu sur deux paisibles personnes âgées, criant vengeance, tenant une comptabilité macabre et appelant à ce “que la peur change de camp”.
Sous un post Facebook du maire RN de Bézier, Robert Ménard, les applaudissements affluent pour saluer notre papy “résistant” qui a juste fait feu sur deux paisibles personnes âgées.
Sur Facebook, où il est formellement interdit de poster l’image d’un téton de femme. Mais pas d’amalgame, comme le dit Marine Le Pen, en faisant mine d’épurer son parti dans lequel barbotait jovialement notre papy. Ce ne sont pourtant qu’amalgames qui ont conduit la parole jusqu’aux actes, jusqu’à notre renoncement collectif quand la République lâche du lest.