Le Zéro artificialisation nette une opportunité pour Iparralde

Carole Ternois. © Claire Dem

La loi Climat et résilience consacre le Zéro artificialisation nette à mettre en oeuvre à l’horizon 2050. En attendant, la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers doit être réduite de moitié d’ici 2031. Une véritable opportunité pour un (a)ménagement plus sobre, plus écologique et plus inclusif du Pays Basque nord. Carole Ternois, membre du groupe Habitat de Bizi !, est urbaniste-programmiste. Chargée de la définition puis la mise en oeuvre de projets immobiliers, elle a piloté la dernière phase du projet de réhabilitation de la Maison de la Radio à Paris ou encore une mission transverse Développement Durable pour le compte du Ministère de la Justice.

Des sols vivants, à préserver à tout prix

Le sol a longtemps été vu comme un simple support d’aménagement et une source de matières premières. Or, les sols remplissent de multiples fonctions essentielles à la vie sur terre (habitat pour les organismes, production agricole, régulation du climat et du cycle de l’eau, stockage du carbone,…). Ces services dits écosystémiques sont rendus principalement par les espaces naturels, agricoles et forestiers, les fameux « ENAF » .

Contrairement à l’eau et à l’air, les sols ne sont pas perçus comme des milieux ambiants directement nécessaires à la vie humaine, comme le révèlent leurs prix ! Moins d’un euro le m² de terrain agricole pour une ressource vitale, en quantité limitée et non renouvelable. Car s’il faut peu de temps aux êtres humains pour en altérer la qualité, celui nécessaire à la formation naturelle des sols est quant à lui très lent : moins d’un centimètre par siècle(1).

Le Zéro artificialisation nette (ZAN) va instaurer une nouvelle comptabilité : jusqu’à présent, l’étalement urbain était évalué par rapport à la consommation d’ENAF. A partir de 2031, la qualité des sols et les services écosystémiques rendus seront pris en compte. Conséquence : la pelouse d’un terrain de rugby sera considérée comme artificialisée. Cela induit également qu’un sol pourra être renaturé. L’artificialisation des sols sera donc toujours possible, à condition d’avoir mobilisé au préalable toutes les opportunités de densification urbaine et d’avoir désartificialisé autant que de surfaces artificialisées.

Au-delà de cette lecture purement comptable, les sols devraient toujours être affectés en priorité à l’usage pour lequel ils sont le mieux adaptés. Par-dessus tout, les ENAF doivent être préservés car leur artificialisation est quasiment irréversible : la désurbanisation ne permet pas de recréer des écosystèmes aussi riches que ceux détruits par l’urbanisation et un terrain artificialisé ne pourra assurer de nouvelles fonctions naturelles ou agricoles qu’au prix d’aménagements coûteux et du temps long laissé à la nature pour reprendre ses droits.

Massification de la voiture, foncier agricole pas cher : moteurs de l’étalement urbain

Souvent perçus comme des « réservoirs d’urbanisation future » , les ENAF d’Iparralde sont grignotés depuis plusieurs décennies par l’urbanisation et ce, plus rapidement que l’augmentation de la population. Ce phénomène est observé à l’échelle mondiale. Les espaces habités s’étalent sous la forme d’habitats peu denses et dispersés dans l’intérieur, là où les contraintes urbaines et le coût du foncier sont moins élevés, et où les axes routiers (A63, A64, route de Cambo) permettent de rejoindre les emplois et les commerces majoritairement situés sur le BAB. En 2020, le tissu urbain diffus et périphérique représente 40% des espaces artificialisés sur le territoire sud-aquitain, contre 12% de tissu urbain dense(2).

Cet étalement urbain s’est fait sans réelles contreparties collectives. © César TAVERNIER

En parallèle, l’espace urbain est sous-utilisé. Le cas des résidences secondaires occupées quelques semaines à l’année sur la côte basque, et maintenant l’intérieur, en est l’exemple probant ! La part des résidences secondaires atteint 17% des logements du territoire en 2019(3). En plus d’accentuer la pression sur le parc existant, le demande en résidences secondaires accapare une partie significative de la production neuve. La structure du parc de logements est également caractérisée par une capacité d’accueil sous-dimensionnée dans le locatif social, ainsi qu’un taux de vacance globalement bas mais avec un potentiel de mobilisation(4)

Le logement : un marché de second choix accentuant les inégalités sociales

Comme le met en lumière l’urbaniste Sylvain GRISOT : « Non, le rêve périurbain n’est pas une envie irrépressible de vivre en lotissement et de multiplier les kilomètres en voiture. C’est un modèle culturel savamment entretenu à coup de sondages biaisés, de terrains pas chers (mais loin), de maisons personnalisables (standardisées) mais surtout… d’absence d’alternatives. Faute d’offre de logements familiaux, de marché abordable, d’espaces publics et de nature pour accueillir dignement les petits » . Dans une dynamique de financiarisation, les logements neufs ont aussi beaucoup perdu en qualité depuis 20 ans (taille, hauteur, luminosité, espace extérieur, rangement)(5).

Face à une pénurie criante de logements décents et compatibles avec les salaires, ce choix est de plus en plus subi par les habitant. e.s d’Iparralde. Cette précarisation des conditions de logement est également accentuée par la dépendance à la voiture, indispensable pour accéder à un emploi et aux services urbains (éducation, santé, culture, loisirs), et l’augmentation du prix des carburants.

En l’absence d’une régulation efficace du marché et d’une offre locative sociale suffisante et uniformément répartie sur le territoire, les espaces se fragmentent en une mosaïque de quartiers dédiés à l’habitat, au sein desquels se rassemblent des ménages de même niveau social. Cette ségrégation spatiale fragilise fortement la cohésion sociale, en excluant une partie importante de la population locale.

De plus, cet étalement urbain s’est fait sans réelles contreparties collectives. Les dépenses publiques ont augmenté pour répondre à l’allongement nécessaire des routes et des réseaux, au déploiement des transports en commun ainsi qu’à l’éparpillement de la demande en équipements publics ; investissements publics captés en partie par les rentes foncières privées. Les collectivités doivent également mettre en place des mesures de compensation et d’adaptation très coûteuses contre les effets négatifs de la consommation des ENAF sur l’environnement.

Un nouveau projet collectif pour l’(a)ménagement du territoire

Les ressources limitées de la Terre et le dérèglement climatique nous imposent de faire des choix entre différents enjeux pouvant être difficilement conciliables, voire antagonistes (comme produire des logements sans artificialiser) car la réponse à chaque nouveau besoin ne peut plus passer par la production systématique de m². Pour cela, il s’avère indispensable de réinterroger nos modèles et de prendre en compte les capacités du territoire.

Recycler le bâti déjà construit et le sol déjà artificialisé
© César TAVERNIER

Il s’agit désormais de quantifier, qualifier et prioriser nos besoins et de trouver la meilleure manière d’y répondre. La production de logements doit prendre en compte les projections socio-démographiques, mais aussi les évolutions de la société et des modes de vie (vieillissement de la population, tertiarisation du logement, recherche de confort, d’intimité et d’espace extérieur…). Puis, les besoins en matière de logement doivent être hiérarchisés : celui d’en avoir un passe avant celui d’en avoir deux et de faire du profit avec.

Cette étape préalable, à conduire avec les habitant.e.s du territoire, permettra d’identifier précisément les usages devant se déployer dans l’espace et dans le temps. Elle doit s’accompagner d’un diagnostic fin du bâti et du foncier ainsi que des services rendus par les sols, devant être mesurés et spatialisés pour être intégrés dans la décision publique.

A partir de cela, les pistes de réponses sont nombreuses sans artificialiser davantage (à mobiliser en dernier recours)(6) :

– Elargir les horaires d’utilisation de nos bâtiments, hybrider les usages d’un même lieu ou mutualiser des espaces entre plusieurs utilisateurs ;

– Transformer pour sortir de la logique « extraire – consommer – jeter » ;

– Densifier en assurant en contrepartie un cadre de vie désirable par un travail sur les formes urbaines, la nature en ville et la proximité de l’emploi et des services ;

– Recycler le bâti déjà construit et le sol déjà artificialisé.

Nouvel équilibre territorial

D’autre part, les objectifs de réduction de la consommation d’ENAF doivent être appliqués de manière différenciée pour prendre le cap vers un « nouvel équilibre territorial » fixé par le SCoT Pays Basque- Seignanx, en considérant les spécificités locales mais aussi les efforts consentis par le passé. Cette territorialisation doit se faire en faveur de l’intérieur pour permettre l’installation de nouveaux habitant.e.s, le développement des activités économiques et la création d’équipements publics alors que la côte, fortement urbanisée, bénéficie d’importantes potentialités pour « faire la ville sur la ville » . Enfin, l’arithmétique ne remplacera pas un véritable projet territorial. L’urbanisation de l’intérieur devra s’attacher à renforcer les centralités (Saint-Palais, Mauléon et centrebourgs) en continuité du tissu existant, à assurer la diversité des fonctions urbaines accueillies et à promouvoir de nouvelles manières collectives et partagées d’habiter, pour produire « du plus » mais aussi « du mieux » pour ses habitant.e.s.

(1) C. WALTER, A. BISPO, C. CHENU et al., Cahier DEMETER, Les services écosystémiques des sols du concept à la valorisation.

(2) AUDAP.

(3) AUDAP.

(4) PLH de la CAPB.

(5) Selon les études de Girometti-Leclerq et d’IDHEAL.

(6) Sylvain GRISOT.

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Une réflexion sur « Le Zéro artificialisation nette une opportunité pour Iparralde »

  1. Très clair ! Tout est dit de manière compréhensible!

Les commentaires sont fermés.