Commencée voici deux générations, le 1er novembre 1954, la lutte armée de libération nationale de l’Algérie inspira celle de ETA dès les années 1960.
Le contexte et les proportions sont évidemment différents, mais il est encore intéressant d’examiner les caractères dominants de cette guerre dont on a longtemps caché le nom. Ce fut une grosse guérilla menée par des maquis très mobiles qui déroutèrent longtemps la classique et relativement lourde armée française.
Mais celle-ci finit par bien ajuster son rouleau compresseur, et lorsqu’il se mit en branle en 1959 par le “plan Challe”, traitant l’un après l’autre les divers massifs montagneux, les maquis algériens furent laminés. Ils étaient déjà dans une situation très difficile depuis la “bataille des frontières” gagnée par les Français au printemps 1958. L’ALN classique restait bloquée au Maroc et en Tunisie par de puissants barrages électrifiés et des troupes importantes soutenues par l’aviation.
Coupés des secours en hommes, en armes et en munitions, les combattants de l’intérieur étouffaient, perdant la capacité offensive qui avait atteint son apogée en 1957.
En quelques mois le “plan Challe” supprima la moitié des maquisards et dispersa les survivants en groupuscules peu efficaces, constamment pourchassés.
Mais il en subsistait suffisamment pour entretenir une ambiance d’insécurité permanente : on supposait partout la présence cachée de l’ennemi, comme le faisaient les soldats allemands de Mauléon et de Tardets dans l’été 1944, si bien que la France renonça finalement à poursuivre un combat coûteux dont on ne voyait pas l’issue : elle se résigna donc à négocier avec les dirigeants algériens.
C’était leur but : ils n’ont jamais rêvé d’une impossible victoire militaire, leurs documents ne laissent pas de doute sur ce point. Si ce n’était trop allonger mon article, je pourrais citer des textes très explicites du colonel Ben Tobbal, du président Ferhat Abbas et du ministre des affaires étrangères Krim Belcacem qui conduira la délégation algérienne aux négociations finales d’Evian : je les tiens à la disposition des sceptiques éventuels.
La victoire algérienne ne fut pas militaire, mais politique. Elle fut remportée autour du tapis vert, avec un large soutien mondial.
Cependant son acteur principal fut le peuple algérien. Hésitant au début, attentiste comme les Français sous Vichy, il se rallia progressivement au FLN. La lourde répression menée par une grosse partie de l’armée française sur ordre des gouvernements successifs l’aida puissamment à prendre ce virage.
Terrorisée par la fameuse “bataille d’Alger”, la population indigène s’en remit lentement et guetta son heure pour prendre le relais des maquis éreintés : encadrée par le FLN, elle s’empara de la rue par de vastes manifestations, notamment en décembre 1960 et juillet 1961. La rébellion armée avait allumé, puis entretenu le feu de la résistance, mais elle ne pouvait pas conclure. C’est finalement le peuple algérien qui rendra nécessaire le départ d’une énorme armée française presque intacte, à peine égratignée, comme un éléphant certes gêné par des nuées de moustiques, mais surtout privé d’eau.
En juin 1961 le président de Gaulle dira aux généraux français dépités : “La francisation, possible il y a quarante ans, ne l’est plus aujourd’hui…” Voilà le fin mot. Le reste, comme l’intendance, ne pourra que suivre.
La morale de cette histoire est claire à mon avis : l’on ne peut pas tenir indéfiniment sous tutelle un peuple qui veut très fort construire lui-même sa vie nationale; mais contre une puissance militaire infiniment supérieure, la seule victoire possible est celle de la résistance politique bien organisée, fortement soutenue par la population.