Depuis le referendum de 2014, le vote indépendantiste a considérablement progressé en Écosse. Voici les ressorts de cette adhésion qui pourraient mener à une nouvelle consultation.
Du jamais vu en Écosse depuis que les sondages existent : l’option indépendantiste est nettement et durablement majoritaire. Elle est désormais “la volonté établie de la majorité” se réjouissent les nationalistes du SNP qui dirigent les institutions autonomes. La victoire du “non” au référendum de 2014 (avec un score sans appel de 55% contre 45% de “oui”) aurait pu entamer la dynamique portée par les indépendantistes, mais il n’en a rien été. En six ans à peine, ils sont parvenus à inverser la tendance en se démarquant notamment de la politique de Londres sur le Brexit et sur la gestion de la pandémie. Désormais, si l’on en croit les sondages, c’est le “oui” qui l’emporterait avec une dizaine de points d’avance.
C’est probablement l’approbation du Brexit en 2016 par le Royaume-Uni qui a permis aux indépendantistes de rebondir après leur défaite de 2014 : l’Écosse se voyait en effet imposer une sortie de l’Union Européenne alors qu’elle s’y était opposée avec une majorité nette de 62% et que l’un des principaux arguments des Unionistes en 2014 avait été que l’appartenance à l’UE ne pouvait être assurée à l’Écosse qu’au sein du Royaume-Uni ! Mais si le Brexit a permis aux indépendantistes de refaire une partie de leur retard, il n’explique pas tout. En décembre dernier, lors des élections générales britanniques, le “oui” à l’indépendance ne parvenait toujours pas à franchir la barre des 50%.
C’est la “querelle de légitimité” résultant des élections générales qui lui a donné un second souffle : alors que Boris Johnson —opposé à un nouveau référendum d’autodétermination— remportait une victoire écrasante sur l’ensemble du Royaume-Uni, son parti politique s’effondrait complètement en Écosse où il passait de 13 à 6 députés. Le SNP remportait quant à lui 48 des 59 sièges écossais en revendiquant la tenue d’une nouvelle consultation motivée par le fait que le Brexit constituait “un changement significatif de circonstances”. Nicola Sturgeon, Première ministre de l’Écosse résumait ainsi la situation : “le mandat que j’ai remporté ne sera pas honoré par le parti qui a été sévèrement battu en Écosse”. Cette impasse démocratique a alimenté le sentiment indépendantiste qui ne cesse de croître depuis ces élections.
Prudence contre chaos
La gestion de la pandémie de Coronavirus est un troisième facteur qui a joué en faveur du SNP. Pour reprendre les termes, rapportés par The Guardian, d’un politicien du même bord que Johnson, Nicola Sturgeon a réussi à créer un contraste entre l’approche “prudente et communautaire” de son gouvernement face à la pandémie, et l’idée que l’administration de Boris Johnson a été “chaotique et dictée par le marché”. À plusieurs titres, la gestion de la pandémie était, et demeure, un test important pour les nationalistes du SNP. Il s’agit tout d’abord du plus important dossier de politique publique que le gouvernement écossais doit traiter depuis la dévolution en 1999. Il s’agit aussi d’un dossier sur lequel la population peut facilement comparer les stratégies menées au Royaume Uni et en Écosse, et le verdict est pour l’instant sans appel : entre 70 et 75% de la population écossaise se dit satisfaite de la gestion de la crise par le gouvernement de Nicola Sturgeon, alors que le rejet de la politique menée par Boris Johnson est massif. Enfin, Sturgeon a été omniprésente lors de la première vague, avec une intervention quotidienne à la télévision et la population a intégré le message que c’est elle qui transmettait les informations pertinentes et pas Londres.
Face à cette montée en puissance du sentiment indépendantiste, les Tories commencent à paniquer. Ils se rendent bien compte que leur opposition à la tenue d’un nouveau référendum sera difficile à tenir si le SNP remporte les élections écossaises de mai prochain. Un peu désorientés, ils ont demandé conseil à un think tank conservateur dont le rapport a fuité. Leur suggestion est de mener une campagne sur deux fronts : saper l’adhésion de l’Écosse à l’UE si elle devient indépendante et faire de nombreuses concessions politiques pour convaincre les électeurs écossais de rester au sein du Royaume Uni. Après le “non de confrontation” prôné par les Unionistes en 2014, l’idée serait de défendre cette fois un “non de velours”. Mais ce que l’on retiendra surtout, c’est qu’en dépit de leur discours officiel, la perspective d’un second référendum s’installe jusque dans les rangs conservateurs…
“Green New Deal”
De leur côté, les Travaillistes écossais ont pensé avoir trouvé un créneau porteur en proposant en aout dernier un “Green New Deal” pour l’Écosse. Un plan intéressant et ambitieux, à tel point qu’il s’est heurté aux limites de l’autonomie écossaise (en matière d’emprunt notamment). Ce plan qui entendait proposer un discours mobilisateur alternatif au projet indépendantiste s’est ainsi transformé en un argument de plus pour ce dernier ! Un tiers des électeurs travaillistes écossais voterait désormais pour l’indépendance, qui commence à être sérieusement envisagée au sein du parti pour ne pas perdre l’électorat jeune, très politisé et très indépendantiste (79% chez les 19-24 ans).
Dans un tel contexte, le SNP est donné largement favori pour les élections de mai prochain, où Nicola Sturgeon pourrait remporter un quatrième mandat consécutif. Elle promet déjà un nouveau référendum lors de la prochaine mandature et devrait en préciser les modalités au printemps. “Nous vivons une période où il faut être ambitieux”, a-t-elle déclaré, “il faut utiliser la Covid pour repenser la manière dont nous faisons les choses”, évoquant par exemple un revenu universel qu’elle pourrait porter si elle dirigeait un pays indépendant qui n’aurait pas à gérer “l’autosabotage” du Brexit. Comme l’observe, en s’en inquiétant, un éditorialiste du bien nommé The Observer, les indépendantistes ont quelque chose que les Unionistes n’ont pas : un projet de pays dont ils peuvent être fiers.