Le socialiste Pedro Sanchez n’est pas parvenu à rassembler une majorité pour constituer un gouvernement espagnol. La dissolution inévitable des Cortes entraîne des élections anticipées. L’abstention profitera-t-elle à la droite? La majorité de gauche qui peut émerger sera-t-elle viable et dans quelle proportion dépendra-t-elle des Catalans et des Basques ? Tels sont les principaux enjeux de ce scrutin.
Avec ses épisodes faits d’intox, de marchandages et de coups de théâtre, le feuilleton des négociations entre les deux principales formations de gauche, PSOE et Podemos, a capoté à la fin de l’été. Retour aux urnes après les élections du 28 avril et cinq mois de tergiversations. Un décret royal a dissous les Cortés le 24 septembre. Durant ce long intermède, les partis basques et catalans n’ont pu qu’assister au spectacle d’une Espagne fragmentée et difficilement gouvernable. A l’est comme à l’ouest des Pyrénées, les abertzale souhaitent l’arrivée au pouvoir à Madrid d’une coalition de gauche dont ils constitueraient l’appoint et sur laquelle ils pourraient peser. Encore faut-il que la gauche espagnole approche de la majorité et s’entende. Le 10 novembre, le PSOE espère augmenter le nombre de ses députés. Disposant de 123 députés sur 350, il compte progresser de 15 à 18 sièges. Pour cela et faute de pouvoir faire adopter la moindre loi (52 propositions déposées), Pedro Sanchez a lâché du lest du côté du financement des communautés autonomes. A partir du 21 septembre, elles recevront rapidement 4,5 milliards d’euros supplémentaires. Les sondages annoncent une progression socialiste et le parti tient un discours tirant vers le centre, afin de séduire une partie de l’électorat de Ciudadanos qui ne supporte pas l’alliance avec l’extrême droite de Vox et le PP. Il n’est pas exclu qu’au regard des résultats, Ciudadanos opte, non pas pour l’opposition frontale au futur gouvernement socialiste, mais pour une abstention négociée.
Boycott d’une minute de silence
Le PP (66 députés) a subi une chute cuisante lors des législatives du 28 avril 2019. Son discours très droitier visait à couper l’herbe sous les pieds de Vox en pleine émergence. Mais cela n’a pas eu l’effet attendu. Aujourd’hui, le jeune leader du PP Pablo Casado se montre moins clivant et plus centriste. Grâce à son alliance avec Ciudadanos (57 élus) et Vox (24), il tente de stabiliser son pouvoir dans trois communautés autonomes où la droite a besoin de ce mariage à trois. Les positions de Vox sur la violence machiste dont ce parti conteste l’importance et la spécificité, génèrent des tensions dans la coalition. Le 19 septembre, Vox et ses élus boycottaient la minute de silence organisée à Madrid sur le coup de midi, en hommage à une jeune femme assassinée par son compagnon, en présence de leurs deux filles. Mais c’est à gauche que le bât blesse, du côté de Podemos et de ses 42 députés. Le parti se divise. Son ancien numéro deux, Iñigo Errejón, fait cavalier seul à Madrid et veut lancer sur l’ensemble du pays sa propre formation, Más País. Il rencontre des échos encourageants en Andalousie et en Pays valencien avec Compromís. Le 27 septembre en Murcie, les dirigeants de Podemos rejoignent le parti d’Iñigo Errejón. Dans plus d’une dizaine de provinces, Más País signe le 25 septembre, un accord avec les verts d’Equo.
EA en sursis
Cette instabilité n’arrange pas les abertzale qui trouvaient une ouverture relative du côté de Podemos. La crise des partis espagnols et le vide politique qui l’accompagne devraient favoriser les formations basques et catalanes, mais il ne faut pas s’attendre à de grands bouleversements. Le PNV joue la carte de la stabilité, en alliance avec le PSOE. Quant aux souverainistes, ils poursuivent sur la voie de la négociation et du jeu parlementaire possibiliste. Quelques faits sont à cet égard significatifs. L’abstention d’EH Bildu en Navarre au profit d’un gouvernement PSOE/Geroa bai a permis d’écarter la droite espagnoliste du gouvernement.
La crise des partis espagnols
et le vide politique qui l’accompagne
devraient favoriser les formations basques et catalanes.
Le PNV joue la carte de la stabilité, en alliance avec le PSOE.
Quant aux souverainistes, ils poursuivent sur la voie de la négociation
et du jeu parlementaire possibiliste.
L’abstention d’EH Bildu en Navarre
a permis d’écarter la droite espagnoliste du gouvernement.
Un scénario équivalent s’est produit dans plusieurs cités au sud de l’Araba. Dans un autre domaine, une transaction judiciaire lors du procès de Herrira à Madrid a eu pour résultat d’obtenir des peines réduites pour une cinquantaine de prévenus. Les Espagnols maintiennent la pression judiciaire, en particulier à l’encontre des réceptions publiques et festives des preso libérés au compte goutte. 250 d’entre eux demeurent encore derrière les barreaux en Espagne et en France. Au sein d’EH Bildu, la composante Eusko Alkartasuna (EA) peine à exister et une partie de ses membres voudrait éviter une dissolution pure et simple —comme Aralar en décembre 2017— dans une coalition qui regroupe Sortu et Alternatiba. Eusko Alkartasuna tranchera le 25 octobre lors de l’élection de son nouveau secrétaire général. Mais de tels débats internes devraient avoir peu de conséquences électorales le 10 novembre.
Quelle stratégie de rechange
En Catalogne, la situation est plus complexe. Les deux principales formations ERC et PxCat (22 députés dont 4 suspendus) sont en concurrence et les rivalités s’aiguisent toujours en période électorale. ERC et ses 15 élus ont le vent en poupe : le nombre de ses militants a augmenté de 40% depuis 2012. Les deux partis souverainistes sont confrontés à deux problèmes majeurs : ils ne disposent pas d’une majorité suffisante au parlement régional et le travail législatif est donc bloqué. L’unilatéralisme, c’est-à-dire la déclaration non négociée d’indépendance, a eu l’immense mérite de mettre le problème sur la table de façon claire et irréversible. Mais sans résultat politique concret. Il contribue à diviser les partis espagnols, à casser le bi-partisme, à revigorer leur nationalisme et entraîne une série de blocages judiciaires et politiques : exil de plusieurs dirigeants dont le président, incarcération de treize autres depuis deux ans. La question se pose donc pour les abertzale catalans : comment avancer, faire sauter le verrou, comment faire évoluer la stratégie souverainiste ou bâtir une stratégie de rechange ? Tout en maintenant vif, l’élan sans précédent qui a porté tout un peuple. On les voit mal revenir à une démarche attentiste et prudemment gestionnaire ou à une politique des petits pas, telles que celles d’un Jordi Pujol ou du PNV.
Enfin un peu de “terrorisme” !
Les radicaux catalans des CDR (Comités de défense de la République) désireraient lancer une lutte armée dans leur pays. Sept d’entre eux sont arrêtés le 23 septembre par 500 gardes civils, alors qu’ils s’apprêteraient à commettre des attentats. Le contenu du dossier semble bien maigre, mais quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage… Enfin un peu de terrorisme pour criminaliser le mouvement ! Voilà du pain béni pour les Espagnols qui répètent à l’envi que la participation populaire à la Diada le 11 septembre a été inférieure à celle des années précédentes. Le 26 septembre, le parlement régional et le chef de l’exécutif Quim Torra demandent la libération des sept CDR incarcérés et que la garde civile quitte le territoire catalan. Les autorités espagnoles maintiennent la pression. Le tribunal supérieur de justice donne le 20 septembre 48 heures au président catalan Quim Torra pour qu’il enlève de la façade du Palais de la Generalitat un immense panneau portant l’inscription : “Llibertat presos politics i exiliats”. Quim Torra refuse. Pour désobéissance, il comparaîtra le 18 novembre devant les juges. Le lendemain, six anciens membres du bureau du parlement catalan seront jugés pour avoir accepté le vote de lois organisant le référendum d’autodétermination. Les souverainistes catalans espèrent augmenter leur score dans la mesure où ce scrutin des législatives aura lieu au moment où les juges espagnols statueront sur le sort des treize dirigeants catalans incarcérés depuis 2017. Dans les semaines qui suivront, il y a fort à parier que Quim Torra, faute de pouvoir adopter un budget, se résoudra à des élections régionales anticipées.
En ce royaume d’Espagne qui a connu quatre élections législatives en quatre ans, nombreux sont ceux qui rament en terrain mouvant, voire évoluent sur un volcan. La fragmentation de la carte politique fait ressembler le pays à l’État belge, souvent dépourvu de gouvernement durant de longs mois et si fragilisé par une question nationale, celle posée par les Flamands. Seules de telles secousses sur fond de crise peuvent permettre un travail de sape qui enfin brisera le statu quo. Et ouvrir des opportunités aux nations sans Etat.