Les négociations entre indépendantistes catalans et socialistes espagnols ont tourné court. Faute de majorité aux Cortés pour voter son budget, le premier ministre Pedro Sanchez jette l’éponge et fixe au 28 avril les prochaines élections législatives.Dans ce climat de crise s’ouvre à Madrid le procès de 12 dirigeants indépendantistes catalans qui devrait durer trois mois.
Entamées fin décembre, les négociations entre les gouvernements catalan et espagnol se sont interrompues le 9 février, peu après une tentative de la dernière chance : un rapporteur nommé entre les deux parties n’a eu pour effet que de faire hurler encore plus fort la droite espagnole opposée aux négociations et même quelques caciques du PSOE. On trouvera ci-contre le document initial des demandes indépendantistes, mais pour l’instant, on ne sait rien du contenu de la négociation et des éventuelles contre-propositions des socialistes.
Le PP, Ciudadanos et Vox ont mobilisé leurs troupes dans les rues de Madrid le 10 février pour clamer leur foi en faveur de l’Espagne une et indivisible et d’élections anticipées. Cette manifestation très critique à l’égard de Pedro Sanchez n’a rassemblé que quelques dizaines de milliers de personnes (45.000 selon la police), ce qui est relativement peu, comparé aux 300 ou 400.000 personnes qui ont parcouru les rues de Barcelone, quelques jours plus tard en faveur de l’indépendance.
A Madrid, l’ancien premier ministre socialiste français Manuel Valls, défilait aux côtés des leaders du parti d’extrême droite Vox. Une première !
Les demandes des indépendantistes catalans
Le 20 décembre 2018, le président catalan Quim Torra remit au chef du gouvernement espagnol lors d’une rencontre à Barcelone, un document en 21 chapitres qui présentent ce que les indépendantistes désirent négocier. En voici la teneur: rendre effectif le droit à l’autodétermination du peuple de Catalogne. Médiation internationale pour négocier à égalité. Respecter la souveraineté des institutions catalanes et ne plus agiter la menace de l’article 155 de la Constitution qui suspend l’autonomie. Enquêter sur les abus de pouvoir commis par la police et sur la plan économique, contre le peuple de Catalogne. Abandon des procédures judiciaires. Garantir la séparation des pouvoirs et les libertés fondamentales, ainsi que l’indépendance de la justice et le respect des droits de l’homme. Mettre un frein à la détérioration de l’image de l’Espagne dans le monde. Mettre fin à la collusion entre les appareils judiciaires, policiers et l’extrême droite. Stopper l’influence de la culture franquiste dans la vie politique du pays et l’impunité dont bénéficient les crimes franquistes. Mettre un terme aux privilèges issus du franquisme, isoler et dénoncer les groupes néo-fascistes. Ouvrir le débat sur la “défranquisation” et la monarchie. Annuler les décisions judiciaires rendues sous le franquisme et mettre en oeuvre une politique de recherche des fosses communes. Ce “document de travail” pour les indépendantistes catalans désireux de négocier a été d’emblée considéré par Pedro Sanchez comme un “monologue inutile”.
Otages, monnaie d’échange
Le 12 février, la Cour suprême ouvre le procès des douze dirigeants catalans —plusieurs ministres, le vice-président du gouvernement, la présidente du parlement, etc.— accusés de rébellion, sédition, malversation de fonds publics et désobéissance, pour avoir organisé le référendum d’octobre 2017. Les prévenus risquent pour cela entre sept et vingt-cinq ans de prison. Ils sont incarcérés depuis dix à seize mois et les autorités espagnoles refusent de faire un geste qui aurait eu une signification symbolique et politique importante : leur comparution en tant que prévenus libres.
L’Espagne préfère maintenir leur statut d’otage, de monnaie d’échange. Ce procès durera trois mois. Le jugement sera donc rendu bien après le vote du budget. Le gouvernement socialiste n’a même pas fait l’effort de baisser la garde en mettant un bémol aux poursuites judiciaires.
Omnium cultural qui fédère la culture et la société civile catalanes, a été condamné le 25 janvier à 200.000 euros d’amende par l‘Audiencia nacional pour avoir organisé entre octobre et novembre 2014, un sondage sur des questions souverainistes. Le sondage avait été réalisé par courrier et avec l’aide de 30.000 volontaires bénévoles. Pour signifier leur intransigeance, les autorités espagnoles ne peuvent faire mieux.
Offensives diplomatiques
Une dizaine de jours avant le procès des dirigeants indépendantistes, le gouvernement espagnol lance une grande offensive diplomatique, emmenée par son ministre des affaires étrangères, auprès des ambassadeurs en poste à Madrid, des porte-paroles de la Commission et du parlement européen. Un discours à la chambre des Lords à Londres est prévu. Les ambassadeurs espagnols sont mobilisés pour répliquer rapidement, dès qu’à l’étranger un article de presse ne correspond pas au “récit” officiel ou trop inspiré par “la légende noire” répandue par les indépendantistes. Le premier ministre Pedro Sanchez a rencontré le 7 février les membres du Conseil de l’Europe pour plaider la cause espagnole face aux thèses catalanes. Le ministre catalan des affaires étrangères, Alfred Bosch, est également sur le pont auprès des mêmes interlocuteurs pour contrer le point de vue madrilène. Il soutient que les douze dirigeants qui seront jugés n’ont commis aucun délit, ils ont simplement organisé le scrutin que leurs électeurs réclamaient. La Generalitat a ouvert le 31 janvier un bureau “diplomatique” à Londres.
Le PNV soutient les socialistes
Rien d’étonnant dans un contexte pareil que les deux partis indépendantistes catalans décident de rejeter le budget 2019 de l’État espagnol. Pedro Sanchez ne disposait que du soutien de son parti le PSOE, de Podemos et du PNV. Ce dernier qui gouverne la Communauté autonome basque grâce aux voix des députés socialistes, a tenté jusqu’au dernier moment de convaincre les députés catalans de voter le budget. En vain. Pris entre le marteau catalan et l’enclume nationaliste espagnole qui connaît un regain de vigueur, Pedro Sanchez dépourvu de budget par un vote des Cortes le 13 février (191 voix contre 158), en a tiré les conséquences.
Les élections législatives sont avancées et auront lieu le 28 avril, un mois avant les élections régionales et municipales dans de nombreuses communautés autonomes et les élections européennes. Après l’éviction du PSOE en Andalousie — depuis 36 ans aux commandes— par l’union des droites PP, Ciudadanos et l’extrême droite Vox, ce dernier se sent pousser des ailes et se voit déjà aux portes du pouvoir à Madrid.
Pris entre le marteau catalan et l’enclume nationaliste espagnole qui connaît un regain de vigueur, Pedro Sanchez dépourvu de budget par un vote des Cortes le 13 février (191 voix contre 158), en a tiré les conséquences. Les élections législatives sont avancées et auront lieu le 28 avril, un mois avant les élections régionales et municipales dans de nombreuses communautés autonomes et les élections européennes.
Mais rien n’est encore joué. Les 10% réalisés par Vox au sud de l’Espagne ne vont pas se reproduire mécaniquement ailleurs. Pedro Sanchez a profité de ses neuf mois au pouvoir pour prendre d’importantes mesures sociales: augmentation de 22% du salaire minimum, généralisation de l’accès au système de santé publique y compris pour les sans-papiers, réindexation des retraites sur l’inflation, accroissement du salaire des fonctionnaire, exhumation de Franco de la Valle de los Caidos(1), sauvetage des 630 migrants de l’Aquarius au tout début de son mandat, large féminisation de l’exécutif avec onze femmes ministres pour six hommes. Tout cela devrait mobiliser l’électorat populaire et de gauche, creuser la différence avec les politiques de droite.
Le hic provient de la crise interne que traverse son principal allié, Podemos. L’affrontement de ses deux principaux leaders, Pablo Iglesias et Iñigo Errejón, risque de coûter cher à la sortie. Le “vieux monde”, ses pesanteurs et ses démons ne sont pas morts, même dans un parti de gauche radicale désireux de bâtir du neuf à la base.
Partis périphériques faiseurs de roi
Carles Puigdemont, depuis Bruxelles, lance un nouveau parti, La Crida, alors que sa formation d’origine PDeCAT est toujours active. Nul ne sait encore si La Crida présentera des candidats et quelles en seront les conséquences sur le résultat du scrutin. En Espagne, Pedro Sanchez risque fort de parvenir nettement en tête du fait de la division considérable des forces de droite. Mais sans pour autant pouvoir bâtir une alliance majoritaire de gauche. Il dépendra donc à nouveau des partis dits périphériques: le PNV, PDeCAT et ERC. Autre hypothèse, celle d’une avancée significative de la droite et de la viabilité d’une alliance à trois, comme en Andalousie. Parviendra- t-elle à mobiliser suffisamment son électorat sur la base de l’indivisibilité de la patrie et du refus de négocier avec les Catalans? Rien n’est à exclure. Dans ce cas de figure, mauvais temps pour les Catalans et les Basques.
Un grand procès politique
Du jamais vu depuis la “Transition démocratique”. Douze dirigeants politiques catalans sortis de leurs geôles et sommés de s’expliquer, tels des délinquants. Ils ont organisé un scrutin non autorisé par Madrid, “installé des urnes”, acte délictuel gravissime dans l’Espagne démocratique. Les magistrats questionnent beaucoup leur implication et les violences assez dérisoires en réalité, qui ont eu lieu avant et après le scrutin d’octobre 2017, dans un pays occupé par des milliers de policiers venus en renfort de toute l’Espagne. Cinq cents témoins, dont l’ancien président du gouvernement, Mariano Rajoy, la maire de Barcelone Ada Colau ou le chef du gouvernement basque Iñigo Urkullu, sont appelés à la barre. Un tel procès qui se déroulera tout au long de la campagne électorale, ne fait que creuser le fossé entre deux nations, il ravive l’incompréhension entre deux peuples. Les juges espagnols le savent. Ils seront à leur tour jugés en dernière instance par la Cour européenne des droits de l’homme qui, sur le plan judiciaire, clôturera cette affaire. Sentant le danger, le premier ministre espagnol s’est lui même rendu le 7 février au siège de la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg pour rencontrer ses magistrats, afin de contrer le discours indépendantiste catalan. Si le chef du gouvernement espagnol se permet d’exercer une pression pareille sur les juges européens, on imagine aisément la nature des liens qu’il entretient avec les magistrats de son pays.
(1) Le ministère espagnol de la justice a envoyé début février un courrier à 654 municipalités du pays — 6 en Catalogne, 259 en Castilla y Leon…— pour qu’elles retirent les symboles exaltant la dictature et ses exploits durant la “Croisade”. Sont en particulier visées les 1171 rues et places portant le nom de dirigeants franquistes. La lettre est assortie de menace de suspension des aides publiques.
Le Parlement européen interdit à Carles Puigdemont de prononcer une conférence
Le président du Parlement européen Antonio Tajani a annoncé le 15 février l’interdiction d’une conférence avec l’ex-président catalan Carles Puigdemont, dans l’enceinte de l’institution pour des raisons de sécurité. “Il existe un risque élevé que l’événement proposé puisse constituer une menace pour le maintien de l’ordre public dans les locaux du Parlement”, a-t-il expliqué dans un communiqué. Les chefs de file des élus espagnols des trois principaux groupes politiques du Parlement avaient demandé à Antonio Tajani d’empêcher cette conférence. Le Parlement européen “ne doit pas accueillir quelqu’un qui se soustrait à l’action de la justice espagnole et qui s’est vanté de sa désobéissance répétée aux ordres et avertissements de la Cour constitutionnelle”, soutiennent Iratxe Garcia Perez (socialiste), Esteban Gonzalez Pons (PPE, droite) et Javier Narte (Ciudadanos, ALDE, libéraux), dans une lettre à l’AFP. Lors de cette conférence prévue pour le 18 février, Carles Puigdemont aux côtés du président en exercice Quim Torra, comptait aborder le procès des douze dirigeants indépendantistes qui a débuté quelques jours plus tôt à Madrid. Pour ce faire, ils étaient invités par deux députés européens, le Flamand Ralph Packet et le Slovène Ivo Vaigi. Les institutions européennes qui nous ont déjà beaucoup déçus, ne sortent pas grandies de cet épisode. Une telle décision se situe dans le droit fil de la loi anti-casseurs votée le 5 février à Paris : un préfet juge préventivement du droit de manifester, seulement en fonction des débordements que la manifestation pourrait entraîner, sur de simples présomptions, avant que les faits ne se produisent. Au Palais Bourbon, comme au Parlement européen, les libertés fondamentales disparaissent, les digues sautent. L’Europe moisie est en marche, elle bégaie. En 1811, François-René de Chateaubriand jetait à la face du futur despote Bonaparte : “La mode est aujourd’hui d’accueillir la liberté d’un rire sardonique, de la regarder comme vieillerie tombée en désuétude avec l’honneur. Je ne suis point à la mode, je pense que sans la liberté, il n’y a rien dans le monde”.