Depuis cinq ans, Afrin faisait figure de havre de paix en Syrie. Mobilisée sur d’autres fronts plus urgents, l’armée Syrienne avait abandonné le canton d’Afrin aux forces kurdes du YPG en 2012. Mais depuis plusieurs semaines ce territoire est l’enjeu d’une attaque d’envergure de la part de la Turquie. Voici un éclairage sur les raisons qui ont poussé le dictateur Turc à engager cette opération militaire contre les Kurdes.
Bien qu’isolée des autres régions tenues par le YPG et ses alliés des Forces Démocratiques Syriennes (FDS), situées plus à l’Est, le canton d’Afrin avait été épargnée par les combats. Ce n’est plus le cas depuis que la Turquie a lancé le 20 janvier l’opération “Rameau d’olivier”, un nom bien singulier pour une opération militaire de grande ampleur visant à reprendre le canton d’Afrin aux Kurdes.
Cette opération militaire, le président turc Erdogan la souhaitait depuis longtemps. La perspective d’un Rojava (Kurdistan syrien) autonome et aux mains d’une organisation proche du PKK, la formation politique et militaire des Kurdes de Turquie, est en effet inconcevable pour les Turcs.
Ces derniers vivent également très mal le fait que les États-Unis aient fait des FDS leur principal allié dans leur lutte contre l’État Islamique.
En annonçant le 14 janvier que les Etats-Unis allaient construire une force de 30.000 hommes incluant le YPG pour surveiller le frontière entre la Syrie et la Turquie, Washington a mis le feu aux poudres et servi de prétexte à Erdogan pour envoyer ses troupes à l’assaut d’Afrin.
Changer l’équilibre ethnique
Avec l’opération “Rameau d’olivier”, Erdogan cherche bien plus qu’une victoire sur le YPG: “D’abord, nous éliminons les terroristes, expliquait- il le 24 janvier, puis nous rendons l’endroit vivable. Pour qui? Pour les 3,5 millions de Syriens qui sont chez nous. Nous ne pouvons pas pour toujours les héberger dans des tentes”. Ces réfugiés ne sont pourtant pas d’anciens habitants d’Afrin ayant fuit la férule du YPG car la population de la ville a doublé depuis 2012, accueillant des réfugiés attirés par cette zone apaisée. L’objectif d’Erdogan est donc de changer l’équilibre ethnique de la région afin d’affaiblir l’emprise des Kurdes et de renforcer celle de ses alliés de l’Armée Syrienne Libre (ASL). Il peut donc paraître surprenant que la Russie, qui combat l’ASL aux côtés des forces de Bachar el Assad, ait donné son aval à la Turquie pour qu’elle lance une telle offensive. C’est pourtant ce qui s’est passé: le 18 janvier, une délégation turque était reçue à Moscou, et le lendemain les forces russes en poste à Afrin se retiraient. L’opération “Rameau d’olivier” pouvait commencer… La première raison qui explique cet apparent revirement russe est la volonté de Moscou de distendre les liens entre les États-Unis et la Turquie. Si la Turquie quittait l’OTAN dont elle est une pièce maîtresse pour se rapprocher de la Russie et de l’Iran, ce serait une véritable révolution géopolitique. On n’en est pas encore là, mais la tension entre les deux alliés atteint des niveaux inédits. Le 6 février, Erdogan a dévoilé son intention de ne pas s’arrêter à Afrin et de continuer son offensive jusqu’à Manbij, 60km plus à l’Est. Mais contrairement à Afrin, Manbij héberge des troupes américaines “très fières de leurs positions, et qui tiennent à ce que tout le monde le sache”.
Pas de quoi intimider le vice-premier ministre turc qui rétorque: “Si des soldats US sont habillés comme des terroristes et traînent avec eux, et qu’ils attaquent des soldats turcs, pas de doute que nous n’auront aucune chance de les distinguer”.
Du coup, les gradés US plastronnent: “Si vous nous frappez, nous répondrons agressivement”…
On a vu atmosphère plus cordiale entre alliés!
Le projet de Poutine
La volonté d’enfoncer un coin dans les relations américano-turques n’est pas la seule motivation de Moscou qui avait explicité ses projets pour la Syrie lors du premier sommet d’Astana entre la Turquie, l’Iran et la Russie, en janvier 2017.
Ces projets prévoient une reconnaissance politique et administrative pour les Kurdes, mais à l’Est de l’Euphrate. Le canton d’Afrin, situé nettement à l’Ouest, doit quant à lui revenir à Damas. Poutine a donc vu dans l’offensive turque un moyen de parvenir à ses fins.
Al-Monitor rapporte ainsi les propos d’un leader kurde d’Afrin: “Les forces Kurdes de Syrie ont reçu un ultimatum: laissez vos positions au régime syrien ou affrontez la fureur d’Ankara. Ils ont choisi de rester et la Turquie a lancé son assaut sur Afrin”.
Les projets de Poutine prévoient
une reconnaissance politique et administrative
pour les Kurdes, mais à l’Est de l’Euphrate.
Le canton d’Afrin, situé nettement à l’Ouest,
doit quant à lui revenir à Damas.
Les Kurdes semblent avoir réagi selon les prévisions du Kremlin en demandant à Damas “de protéger ses frontières avec la Turquie des attaques de l’occupant turc”. Au terme de négociations secrètes et après de nombreuses fausses rumeurs, des forces pro-régime sont arrivées à Afrin pour prêter main forte aux Kurdes, mais ce soutien n’a pas été suffisant : au terme de 58 jours de combats, Afrin est tombée le 18 mars. Selon les estimations, entre 100.000 et 150.000 habitants ont fui la ville à l’arrivée des forces turques et de leurs alliés… Erdogan peut maintenant se concentrer sur Manbij où sont stationnées des troupes américaines. La perspective d’un affrontement entre la Turquie et les Etats-Unis semble donc se concrétiser chaque jour davantage. Pour Poutine, il semblerait que ce soit un enjeu qui justifie le sacrifice des Kurdes.