La cour suprême contraint au départ Quim Torra pour avoir maintenu en période électorale une pancarte au fronton du siège du gouvernement catalan. Le panneau réclamait la libération des prisonniers politiques incarcérés et le retour des exilés.
Et de trois. En trois ans, ce sera le troisième président catalan démocratiquement élu viré par les institutions espagnoles. Artur Mas ouvre le bal, il est suspendu de ses fonctions pendant deux ans en mars 2017, pour avoir organisé le référendum d’autodétermination du 9 novembre 2014. Puis vient le tour de Carles Puigdemont obligé de s’exiler avec plusieurs autres dirigeants, parce qu’il a mis en oeuvre le référendum du 1er octobre 2017 et proclamé l‘indépendance. Enfin, le 28 septembre 2020, le président Quim Torra quitte sur le champ la Generalitat, porteur de l’objet du délit —la fameuse pancarte— et sous les applaudissements de ses amis, toutes forces politiques confondues. Il refuse de signer la notification de la décision de destitution qui le frappe. Sa première démarche sera de se rendre en compagnie d’une de ses ministres, Meritxell Budó, à la prison de Lledoners pour rencontrer plusieurs dirigeants politiques catalans incarcérés, ex-ministres pour la plupart. Au total, ils sont près d’une dizaine et Ómnium évalue à 2850 le nombre de Catalans aujourd’hui inculpés par l’Espagne sur des dossiers liés au processus indépendantiste.
Pour priver le président Quim Torra de ses droits civils et politiques pendant dix huit mois, le tribunal supérieur de justice puis la cour suprême se sont servis d’un prétexte qui frise le ridicule. Il a désobéi à la loi espagnole qui demande la neutralité des institutions en période électorale : un panneau installé au dessus de la porte du siège du gouvernement catalan a suffi. Il portait l’inscription suivante, «Llibertat presos politics i exiliats, free political prisoners and exiles». Dans une Espagne où la classe politique est minée par la corruption, les affaires se succèdent à un rythme effréné depuis des années, cela surprend et fait sourire : «Tout ça pour une pancarte!»
Pere Aragonés, indépendantiste pragmatique
Quim Torra, membre de Junts per Catalunya, a été immédiatement remplacé par le vice-président ERC Pere Aragonés. Le parlement catalan ne réélira pas un nouveau président, il a été convenu entre les deux formations indépendantistes qui dirigent le pays d’organiser de nouvelles élections, en principe en février 2021. Les catalanistes ont poussé à la faute l’État espagnol et comptent bien profiter de ces quatre mois pour augmenter leur score et dépasser de façon significative la majorité absolue. En une dizaine d’années, les indépendantistes ont vu quintupler leur poids électoral et sont parvenus à élire une majorité absolue de députés. Ils espèrent donc progresser encore. Le nouveau président Pere Aragonés passe pour un «indépendantiste pragmatique» qui ne cède rien sur le fond, mais reste soucieux de ménager une possibilité de négocier avec l’adversaire.
La campagne électorale qui démarre se situe dans un contexte particulier, d’abord celui de la pandémie particulièrement sévère en Catalogne, mais aussi celui du vote du budget de l’Etat espagnol par le parlement. Depuis son arrivée au pouvoir en juin 2018, le socialiste Pedro Sanchez, n’est toujours pas parvenu à faire approuver le moindre budget. En cette rentrée, il compte sur l’appui des députés ERC, PNV, EH Bildu et Podemos pour obtenir une courte majorité. Les négociations en panne devraient reprendre, mais Pedro Sanchez veut limiter les concessions politiques au minimum. Il prépare une amnistie en faveur des dirigeants catalans incarcérés. Le paradoxe veut que les indépendantistes historiques d’ERC soient plus ouverts à la négociation que ceux de Junts per Catalunya, issus du courant autonomiste. Leur leader exilé Carles Puigdemont dont la capacité d’action est forcément bridée, préférerait une confrontation rapide. ERC croit davantage à un processus long pour accéder à l’indépendance et prône une guerre d’usure, sous la forme de micro-désobéissances, permettant de discréditer de plus en plus l’État aux yeux de l’opinion publique.
Honneurs et épreuves
L’autre enjeu de ces élections est celui du leadership dans la mouvance indépendantiste. Aujourd’hui, Junts per Catalunya devance ERC, mais qu’en sera-t-il demain ? L’addition des deux forces ne parvient pas à la majorité absolue, celle-ci dépend du bon vouloir des quelques élus de CUP (indépendantistes d’extrême gauche). Ceci explique partiellement les difficultés de Quim Torra durant ses 20 mois de présidence. CUP ne lui a pas permis de mettre en œuvre un budget et le harcèlement des institutions espagnoles n’a pas cessé. Avec un calibre 155 pointé sur la tempe (nom de l’article de la Constitution qui a suspendu le statut d’autonomie pendant six mois), sa marge de manœuvre a été des plus réduite.
L’avocat Quim Torra, passionné de littérature catalane des années 30 dont il fut l’éditeur, laissera le souvenir d’un dirigeant qui a refusé de plier et sort par la grande porte, avec les honneurs, fidèle à la mémoire de Lluís Companys. Sur un plan personnel, les épreuves les plus douloureuses ne l’ont pas épargné. Son épouse, mère de ses trois enfants, se bat depuis des mois contre un cancer implacable qui ne lui laisse guère de chances de rémission.