Deuxième partie de ma chronique sur le changement qui semble s’amorcer dans la politique pénitentiaire à l’endroit des prisonniers politiques basques. Va-t-on vers la fin du régime d’exception, comme le réclament les artisans de la paix, pour un pas décisif vers la résolution du conflit?
Après 30 ans de politiques d’éloignement et de dispersion systématiques des prisonniers politiques basques, pour la première fois un espace de dialogue et de travail ouvert entre le Pays Basque et le gouvernement français semble enclencher un mouvement dans une autre direction : suppression de statuts DPS, rapprochement et regroupement de certains prisonniers…
Assiste-t-on à la fin du régime d’exception que subissaient les prisonnier-e-s incarcéré-e-s en France et leurs familles, source de souffrances, de drames et de tensions politiques dans la société basque ?
Une décision inacceptable
Le rejet de la cinquième demande de semi-liberté déposée par le prisonnier bayonnais Jon Kepa Parot, âgé de 66 ans, a été vécu comme une douche froide venant glacer cet espoir naissant, dont nous avons pourtant tellement besoin pour alimenter la paix, pour valider les stratégies qui tentent patiemment de la construire en Pays Basque.
Le Tribunal précisait pourtant qu’après plus de 27 ans de prison (alors que sa période de sûreté avait été fixée à 15 ans) “l’effectivité de la peine est en l’espèce pleinement respectée”.
Malgré cela, cette demande de semi-liberté probatoire a été rejetée suite au recours d’un procureur aux arguments inquiétants : “…compte tenu notamment de l’émoi que pourrait susciter sa remise en liberté anticipée, le ministère public est opposé à la libération conditionnelle au regard du trouble grave à l’ordre public que pourrait causer la libération conditionnelle”… Jon Parot a été condamné, et a purgé une lourde peine pour sa participation à de nombreux attentats mortels d’ETA commis entre 1978 et 1987 en Espagne. Que signifie donc le fait de s’opposer à sa semi-liberté du fait de l’émotion qu’elle pourrait susciter, plus de 30 ans après les derniers faits commis ? Que ce type de prisonniers devra rester incarcéré éternellement ? Qu’ils devront mourir en prison ?
Deux poids deux mesures
Du coup, certaines questions se posent : Dans la même période comprise entre 1978 et 1987, et dans le cadre du même conflit basque, l’État espagnol a, quant à lui, commis et fait commettre sur le territoire français des dizaines d’attentats mortels visant des réfugiés basques, des coopératives, ou des citoyens lambda, et ayant coûté la vie à une bonne quarantaine de personnes ! Les auteurs et responsables de ces attentats sont tous en liberté aujourd’hui. Parmi les principaux responsables, des ministres, commissaire de police, général de la Guardia Civil, la plupart ont même été libérés au bout de trois ou quatre ans alors qu’ils avaient été condamnés à des peines allant jusqu’à 75 ans de prison. Aucune protestation publique n’a jamais été émise contre cette situation de la part des autorités françaises, qu’elles soient politiques ou judiciaires. Cela voudrait-il dire que ces attentats-là, ces morts-là étaient moins graves, qu’elles suscitaient moins d’émotion ou de souffrances ? Ou que la justice française admet officiellement deux poids deux mesures ? Pourquoi dès lors construire de tels raisonnements pour empêcher l’accès normal des prisonniers basques aux remises de peines, régimes de semi-liberté ou libérations conditionnelles ?
Presque sept ans après la fin de la lutte armée d’ETA,
un an après le démantèlement de son arsenal
conduit par la société civile du Pays Basque,
il faut bien évidemment songer
à réintégrer dans la société
ses militant·e·s incarcéré·e·s ou exilé·e·s.
Intelligence politique
C’est exactement l’inverse qu’il faut mettre en place. Il faut dès aujourd’hui normaliser cet accès-là, ce qui compléterait le démantèlement du régime d’exception auquel sont soumis les prisonniers basques et leurs familles. Cela ne troublera en rien l’ordre public et au contraire contribuera à apaiser la situation générale au Pays Basque. Cela préparera en outre le terrain et les esprits à un autre exercice indispensable : la gestion politique, et non judiciaire, du sort des militant-e-s d’ETA incarcér-é-s en France et en Espagne. Presque sept ans après la fin de la lutte armée d’ETA, un an après le démantèlement de son arsenal conduit par la société civile du Pays Basque, il faut bien évidemment songer à ré-intégrer dans la société ses militant- e-s incarcéré-e-s ou exilé-e-s. Il s’agit tout simplement là d’intelligence politique. Dans la situation actuelle, les dernières sorties de prisonnier-e-s basques actuellement incarcéré-e-s auront lieu en 2057 ! Qui peut imaginer une seule seconde que l’on peut construire une paix solide, irréversible, que l’on peut impulser une dynamique de réconciliation et poser les bases d’un nouveau vivre ensemble en Pays Basque avec une telle perspective ? L’espoir alimente la paix, le désespoir ne peut que nourrir ceux qui la contestent.