Apparemment, l’Union européenne s’est détournée de la “sédition” catalane. Affaire interne à un Etat partenaire, ont dit toutes les capitales comme les institutions communautaires de Bruxelles. Cette politique de l’autruche est-elle pour autant réalité? Le réveil national catalan n’atteint-il pas, bien au contraire, le sens profond de la construction européenne que l’on croît réduite à l’association d’Etats?
Cette construction originale, unique dans l’histoire de l’humanité, a pour but premier d’instaurer, puis de garantir la paix au sortir d’une guerre totale de plusieurs millions de morts.
Elle a offert un destin commun aux ennemis de la veille. Acquis considérable et trop souvent oublié. Mais elle a aussi structurellement mis en oeuvre le dessaisissement partiel des souverainetés de chacun des Etats associés par le haut, transferts législatifs, judiciaires et économiques, mais aussi, moins spectaculairement par le bas par la réorganisation interne des territoires et du frontalier, par les financements régionaux FEDER, par des représentations spécifiques à Bruxelles allant jusqu’à une assemblée, certes consultative, des régions.
Ainsi, l’Union se construit par paliers, par options de compétences monétaires et frontalières (Schengen) notamment.
Mais toujours au dépend des anciennes souverainetés étatiques par la mise en place du principe de subsidiarité, notion totalement étrangère à la culture républicaine française. Cette nouvelle architecture a aujourd’hui tellement imprégné nos modes de vie, qu’en sortir devient improbable.
Les convulsions du Brexit, qui ne font que commencer, illustrent l’indigence politique de ceux qui croient encore possible, sans soubresaut, au retour nostalgique du franc. Chaque parcelle de ce mécano fait le tout. Y compris les régions, là où elles ont un pouvoir législatif, comme l’a démontré récemment, pour la ratification du CETA (accord commercial UE/Canada), le parlement autonome de Wallonie.
La crise catalane nous ramène aux racines de cette Europe, à l’esprit d’un de ses fondateurs, Jean Monnet, disant: “nous ne coalisons pas des Etats, mais nous unissons des hommes”.
Pourquoi l’homme catalan devrait-il soit rester espagnol, soit sortir de l’Espagne, de l’Europe et de l’euro ? Ce schéma européen est trompeur et devrait être modifié à moyen terme. Car de partout surgissent des régions à forte identité, des nations historiques un temps avalées par la naissance d’Etats-nations et aujourd’hui décorsetées par l’Europe des subsidiarités.
Une Union qui, contrairement à ses proclamations de non-ingérence pour s’exonérer de la Catalogne, intervient à la même heure au coeur de la souveraineté polonaise. La commission de Bruxelles n’a-t-elle pas enclenché le 20 décembre l’article 7 du traité pour “violation grave” de l’Etat de droit après le vote du parlement de Varsovie sur l’indépendance de la justice ? Au même titre, comment Bruxelles peut-elle demeurer l’arme au pied à la vision inouïe des matraques de la police espagnole sur les citoyens catalans allant voter le 1er octobre et sur la saisie des urnes et des bulletins de vote ? Puis, sur l’embastillement des ministres catalans et l’exil à Bruxelles de l’autre partie du gouvernement élu de Catalogne ? Y aurait-il donc un respect de l’Etat de droit à géométrie variable pour la Commission à Varsovie et à Madrid ?
Le petit Luxembourg de M. Juncker avec ses 400.000 habitants est-il plus européen et respectable que la vieille nation catalane avec ses 7 millions ?
Dans ses fondements, la légitimité démocratique de l’Europe est celle des “plébiscites de tous les jours”, sur tous ses territoires, à tous les niveaux de la commune aux régions, des Etats à Strasbourg pour le destin commun des cinq cents millions de citoyens de ce continent.
La Catalogne est partie de la chair démocratique européenne ouverte sur une nouvelle souveraineté partagée récemment louée par Emmanuel Macron à la Sorbonne.
Même si, pour l’heure, les apparences lui sont contraires, l’émancipation nationale de la Catalogne, au coeur de l’Europe, est désormais irréversible.
Les traités, les constitutions, le droit, sont faits pour évoluer afin de répondre à la volonté librement exprimée des peuples.