La loi Travail présentée par la ministre El Khomri, n’est que la manifestation de l’impuissance assumée du pouvoir politique, préoccupé par la seule élection présidentielle de 2017 et qui a depuis longtemps rendu les armes face à la logique capitaliste. Le mouvement Nuit debout symbolise cette crise de la politique, cette volonté de construire autre chose à partir de la base, du vécu de chacun, loin des querelles d’appareils et des plans de carrière des politiciens professionnels.
Difficile de dire sur quoi peut bien déboucher ce printemps 2016. Une multitude d’éléments configurent une situation où tout semble possible sans qu’absolument rien ne soit sûr. Jamais un gouvernement n’a paru aussi peu crédible et affaibli avec une forte contestation de ses projets au sein même de sa majorité parlementaire et du parti du président.
Plus globalement c’est tout le système politique qui est en crise et discrédité avec une fracture béante entre les préoccupations de ses professionnels obnubilés par la présidentielle à venir
et celles de la population. Parallèlement, il y a longtemps que la pure logique du capitalisme n’avait pas été à ce point mise à nue avec les salaires exorbitants des patrons, l’évasion fiscale
systématique des multinationales et des possédants révélée à tous ou le discours sans fard du MEDEF qui empoche les crédits d’impôts au prétexte de la création d’emplois pour augmenter ses marges et les dividendes aux actionnaires.
Pour autant, les économistes officiels sont déboussolés et, FMI en tête, avouent leur désarroi. Si les politiques néo-libérales sont “rationnelles” du point de vue des dominants en rétablissant les taux de profit, elles détraquent le fonctionnement de l’économie mondiale tandis que rien de substantiel n’est mis en route pour stopper le compte à rebours vers le chaos climatique.
Les solutions pourtant évidentes ne sont pas pensables pour eux car elles supposent entre autres, sans même parler d’anticapitalisme, une autre répartition de la richesse produite entre travail et capital, soit de faire rendre gorge aux actionnaires et d’euthanasier une partie des rentiers de la dette.
Mécontentement général
Démarrée début mars de façon atypique par une pétition internet et des appels sur les réseaux sociaux, la mobilisation contre le projet de loi Travail n’est pas enterrée, mais loin d’être victorieuse. Elle a cristallisé un mécontentement général dans de larges secteurs de la société face à la politique du gouvernement socialiste, à ses reniements successifs et son alignement sur les intérêts des classes possédantes.
Beaucoup de frustrations, de colère, de gens en lutte dont le succès du film “Merci patron” est un premier symptôme mais une grande difficulté jusqu’ici à concrétiser les mots d’ordre que chacun répète: convergence des luttes, construire un rapport de force, grève reconductible, “on bloque tout”…
A cela un faisceau de raisons. Une désunion syndicale avec une responsabilité écrasante de la CFDT, principal soutien de la politique gouvernementale, vilipendée depuis mars par de nombreux manifestants. Une direction de la CGT hésitante, immergée dans ses luttes internes et ses divergences stratégiques, malgré une volonté de la base de mener résolument la bataille.
L’absence de secteurs moteurs dans la lutte comme les cheminots, engagés dans un bras de fer avec leur direction sur des revendications sectorielles, ou stratégiques comme les travailleurs des raffineries qui bloquaient la distribution de carburant en 2010. Côté jeunesse scolarisée, malgré des îlots très mobilisés dans certaines facs ou lycées, le projet de loi n’a pas encore suscité de mouvement massif.
Absence de contre-projet
Le mouvement “Nuits debout” impulsé “pour leur faire peur” a rapidement essaimé dans tout l’Hexagone, Pays Basque compris. Il symbolise cette crise de la politique, cette volonté de construire autre chose à partir de la base, du vécu de chacun, loin des querelles d’appareils et des plans de carrière des politiciens professionnels.
Pour autant le mouvement peine à trouver du sens, à produire de l’action au-delà des discours. Carrefour de personnes diverses, portant des revendications multiples avec des adversaires et des temporalités différents, il s’apparente plus un forum social dont la fonction est précisément d’incarner une “place publique” faisant se croiser les contestations et les alternatives,
qu’à un outil de lutte soudé s’inscrivant dans une confrontation et la construction d’un rapport de force face à un adversaire désigné, pour un objectif commun.
Absence aussi de contre- projet, concrètement ici sur un code du travail rénové permettant de passer à offensive sur le terrain des idées. Comme pour les retraites en 2010 la lutte reste encore trop défensive, trop liée au maintien du statu quo par ailleurs non satisfaisant. Plus généralement l’absence d’un alternative politique est déroutante. L’inconnu du lendemain fait hésiter: “à quoi bon ? Pour quoi faire ?”.
L’incertitude domine, mais le champ des possibles est grand ouvert. L’heure est à l’action.