Après deux ans de négociations fructueuses, impulsées par la manifestation du 9 décembre 2017 à Paris, il n’est plus question d’espérer de nouvelles mesures en faveur des presos et encore moins de mise en place de Justice transitionnelle. Contre ce feu rouge politique, il appartient encore à la société civile d’enclencher une nouvelle phase.
Une manif de plus ? Non ! Organisée le 11 janvier, elle survient au moment- clef où une nouvelle impulsion du processus de paix (lancé en octobre 2011 !) est nécessaire.
Mot d’ordre du jour : “Ne faisons pas bégayer l’Histoire. Orain presoak”(1).
La manifestation est consacrée à la question des prisonnier.e.s, partie intégrante de tous les processus de paix négociés. Cette question n’a pu être abordée avec l’Espagne et la France lors de la gestation du processus de paix, car les pays concernés s’y refusèrent. D’autres pays confrontés à des décennies de violences politiques, leur avaient pourtant ouvert la voie: Afrique du Sud (fin de l’Apartheid), Irlande et Grande-Bretagne (Accords du Vendredi Saint) et Colombie (cessez-le feu Farc/groupes paramilitaires et policiers).
Le processus de paix basque se distingue ainsi par son caractère unilatéral et l’implication, forte et décisive, de la société civile… invitée à se montrer déterminée, makila ou autre bâton de marche en main, le 11 janvier à Bayonne.
Le processus de paix basque se distingue ainsi
par son caractère unilatéral et l’implication, forte et décisive, de la société civile…
invitée à se montrer déterminée, makila ou autre bâton de marche en main, le 11 janvier à Bayonne.
Lettre ouverte à Emmanuel Macron
C’est donc à la société civile que les Artisans de Paix et le mouvement Bake Bidea, soutenus par l’Agglomération Pays Basque (vote unanime le 14 décembre, d’une lettre ouverte au Président de la République), en appellent pour le 11 janvier. C’est bien Emmanuel Macron soi-même, qui en avril 2019, lors d’une visite pré G7 à Biarritz, avait lancé ces quelques mots : “Le Pays Basque est pour moi un exemple de résolution de conflit et de sortie des armes (…) Le devoir de l’Etat est d’accompagner le mouvement. Nous ne devons pas faire bégayer l’Histoire, il faut l’accompagner…”.
Or l’Histoire bégaie, malheureusement pour de bon, après deux ans de négociations fructueuses impulsées par la manifestation du 9 décembre 2017 à Paris (11.000 participants). Ces rencontres concernant le rapprochement de prisonnier.e.s et la levée des statuts de détenu.e.s particulièrement signalé.e.s (DPS), ont réuni une délégation basque ad hoc et le ministère de la justice autour d’Hélène Davo, actuellement conseillère Justice à la présidence de la République. Mais, à ce jour, il n’est pas question d’espérer de nouvelles mesures, susceptibles de déboucher sur des aménagements de peines (refus répétés de liberté conditionnelle) et encore moins de mise en place de Justice transitionnelle. Feu rouge très fortement politique !
C’est ainsi que Frédéric Haramboure “Xistor” (30e année de prison, condamné à perpétuité) et Lorentxa Beyrie (18e année de prison, à deux ans de sa libération), se sont vu refuser la liberté conditionnelle à laquelle ils pouvaient légitimement aspirer. Le Parquet national Anti-Terroriste placé sous l’égide de l’Etat, s’est érigé en rempart face au Tribunal d’Application des peines (TAP) qui, lui, avait émis une réponse favorable aux requêtes de Frédéric Haramboure et Lorentxa Beyrie.
De même, le Parquet anti-terroriste a refusé la demande de suspension de peine d’Ibon Fernandez Iradi, gravement malade.
Le 20 décembre dernier, c’était au tour des juges du mandat d’arrêt européen (MAE) d’ordonner la remise de David Pla (domicilié en Pays Basque nord), l’un des moteurs du processus de paix côté prisonniers d’ETA, à la justice espagnole(2).
L’anti-terrorisme sujet brûlant
Comment peser sur l’Etat français et le gouvernement pour initier la nouvelle phase qui s’impose ? Telle est la gageure, sachant que la porosité la plus totale semble régner entre les parquets anti-terroristes français et espagnol, domaine où la coopération a été érigée en affaire d’Etat. Elle s’est affirmée sur la durée, pendant des décennies, quelle que soit la couleur des gouvernements en place, côté espagnol notamment.
Sur 246 prisonnier.e.s au total, 210 sont éparpillés en Espagne, (5 d’entre eux, malades, incarcérés en Pays Basque sud), la question des prisons reste un sujet des plus brûlant, du fait de la pression de certaines associations de victimes et partis de droite, tels PP, Ciudadanos, Vox et fraction du PSOE également. La politique carcérale espagnole demeure un facteur électoraliste fort, nourri par le rythme incessant des derniers rendez-vous électoraux, sur fond de Mémoire Historique toujours polémique et de crise juridico-politique liée au “procés” catalan.
Espagne, la dispersion “enkystée”
Malgré certaines promesses de Pedro Sanchez, chef de gouvernement en fonction, les rapprochements de prisonniers n’avaient pas dépassé le nombre de 25 à la mi-décembre, selon le Forum social permanent (Foro Soziala Iraunkorra). Son rapport, Avancées, blocages et rétrocessions de la politique pénitentiaire, rendu le 11 décembre dernier, concerne la période juillet 2018-novembre 2019. La dispersion reste “enkystée” malgré quelques avancées. Mi-décembre, 148 prisonnier.e.s se trouvaient à des distances de 520 à 1100 kilomètres de leur domicile. Ce système institué à la fin des années 80 sous l’égide du socialiste Felipe Gonzalez, s’est soldé par la mort de 16 personnes, lors d’accidents de circulation. Le 23 novembre 2019, à Gernika, le mouvement Etxerat revendiquait la “reconnaissance de ces personnes comme victimes, afin de favoriser la résolution du conflit et le vivre ensemble”. Etxerat a dénoncé l’application de la dispersion, véritable mesure d’exception, lors d’une rencontre poétique intitulée Gutun mezulariak (“Lettres messagères”). Quelques avancées à noter néanmoins, dans ce paysage désolé, du côté de l’organisation du temps de prison variant selon des “grades”, allant de 1 à 3, du plus au moins sévère. Le Foro Social rappelle aussi qu’une quarantaine d’exilés à l’étranger, sont dans l’attente d’un retour au Pays Basque, aujourd’hui hypothétique en l’absence de Justice transitionnelle.
(1) Départ de la manifestation, samedi 11 janvier, 15 heures, à Lauga. A Bilbao, manifestation à 17 heures.
(2) Accusé d’une rencontre avec deux clandestins d’ETA en 2008 dans les Landes, David Pla est poursuivi pour les mêmes faits en Espagne, après avoir été “blanchi” et relâché en 2010, par la police française pour les mêmes accusations !