Ce 14 juillet, fête nationale de la République française, à la sortie du feu d’artifice, un camion de 19 tonnes fonce sur la foule de la promenade des Anglais de Nice. 84 morts et des centaines de blessés. Le surlendemain, Daech revendique cet attentat. Ce même jour, symbole de la liberté, comme ceux des années précédentes, de jeunes abertzale enlèvent de la façade de certaines de nos mairies le drapeau français, laissant flotter celui de l’Europe et l’ikurriña.
Le 14 juillet 1894, sur le balcon du premier batzoki de Bilbao est hissé l’ikurriña nouvellement créé par les frères Arana Goiri, afin de doter la Biscaye, puis le Pays Basque, d’un attribut national. Ils choisissent en effet, pour célébrer le concept de nation basque, cette journée de la liberté devenue universelle, comme tant d’autres militants de cette époque à travers l’Europe animent le réveil des nationalités en chantant la Marseillaise sur leurs barricades sanglantes face à leurs pouvoirs oppresseurs. Comme Beethoven dédie une de ses symphonies à l’empereur Napoléon qu’il croît alors continuateur de la révolution de 1789.
La mort de Michel Rocard nous remet en mémoire la pensée et l’action de ce premier ministre d’exception qui fut le seul homme d’Etat en France à comprendre l’histoire des peuples pris au piège de cette république “une et indivisible” dont il mesura les dégâts qu’elle a pu causer dans les colonies d’outre-mer et celles de l’Hexagone. Dans les hommages rendus à ce leader de la deuxième gauche et du “parler vrai”, on a peu évoqué ce versant du personnage. Venu du PSU, il se revendiquait, avec ses amis de la CFDT, du socialisme autogestionnaire et prônait le “droit des peuples à disposer d’eux-mêmes” ou l’autonomie des nations sans Etat, vision réunie dans un rapport Décoloniser la province.Il était de ceux qui interprétaient le sens du 14 juillet comme nous-mêmes et grâce auquel l’appartenance à la République française n’était pas incompatible, au contraire, avec l’aspiration à la liberté nationale de ses peuples. Dans un article fameux, du 21 août 2000 paru dans Le Monde, Michel Rocard prenait clairement position pour l’émancipation de la Corse. Avec quelque courage, car nous étions alors aux pires moments des règlements de comptes armés entre les divers tenants du FLNC et leurs connections avec les milieux mafieux. Il s’agissait pour lui d’ouvrir les voies d’un dialogue entre les séparatistes ou autonomistes et le pouvoir central. Créer un processus de paix. “Ce dont il s’agit dans ce processus n’est, hélas, pas d’arrêter par un seul acte toute violence, ce n’est à la portée de personne. C’est seulement, mais c’est essentiel, et cela s’appellera un jour la paix, d’en tarir le recrutement. Il ne faut plus que les adolescents et les jeunes adultes corses, dans leur recherche de dignité, découvrent l’histoire de leur région comme celle d’une oppression”. Après un rappel détaillé de l’annexion militaire, qui fit autant de morts que la guerre d’Algérie, jusqu’à la révolte nationaliste d’Aléria en août 1975, Michel Rocard, dans cet article du Monde, conclut: “Les arguments de procédure constitutionnelle ne tiennent guère. Le seul argument constitutionnel de poids, c’est notre dévotion à l’uniformité. Mais là, c’est l’histoire qui parle, plus que le droit. Mon choix est fait: mieux vaut une différence reconnue qu’une fausse uniformité oppressive”. Dans la reconnaissance des peuples soumis par la République française, Michel Rocard viendra à Saint-Jean-de-Luz, le 9 février 2007, évoquer “l’art de la paix” en Pays Basque à l’invitation d’Abertzaleen Batasuna.Peio Etcheverry-Ainchart qui anime le débat, écrit le lendemain dans Enbata: “Quand on est abertzale d’Iparralde, l’enjeu est de tenter d’apporter sa pierre à la recherche de la résolution du conflit basque, ce qui n’est pas simple quand on est aux marges. C’est de faire comprendre à Paris que le problème basque est aussi un problème français. C’est là que la rencontre (avec Rocard) devient intéressante”.
Nous étions alors avant l’arrêt des armes par ETA. L’homme de la résolution du conflit en Nouvelle-Calédonie a répondu ne pas croire en une médiation internationale dans le conflit basque tant que les deux parties, basque et espagnole, ne la sollicite pas comme en Irlande. Il s’est longuement référé au texte qu’il estime le plus exemplaire pour la résolution des conflits, l’Edit de Nantes dont Enbata avait publié des extraits de cet acte fondateur. On mesure aujourd’hui, cinq ans après le cessez-le-feu unilatéral d’ETA, la pertinence de la vision de Rocard. Notre mal-être de minorité nationale dans la République ne s’exprime pas uniquement dans les institutions. Il s’insinue jusque dans nos relations les plus improbables comme vient de le révéler un jugement qui annule les candidatures aux élections professionnelles du Syndicat des travailleurs corses (STC) sur une action en justice de l’ensemble du mouvement syndical français. “Il s’agit d’une organisation régionale défendant des intérêts régionalistes qui s’exonère des critères de valeurs républicaines” disent les juges. Plus près de nous, c’est la CGT qui saisit le tribunal d’instance de Bordeaux contre les candidatures du syndicat basque LAB.