Liberté d’expression

« Mais pour quelle raison l’équipe de Charlie Hebdo attaquait-elle les langues appelées régionales ? La douleur que me causèrent certains articles n’était pas due à ce qu’ils se moquent de ma langue – qu’ils se moquent de ce qu’ils veulent – mais au fait qu’ils attaquent le droit à son usage public.« Joan-Lluís Lluís est un militant de la langue catalane. Il a été journaliste au journal El Punt auquel il collabore toujours, et est chroniqueur à Presència. Depuis 2005, il dirige le Service de diffusion de la langue catalane de la Casa de la Generalitat à Perpignan. Il a aussi écrit des textes de chansons, entre autres pour le groupe Blues de Picolat.

A la suite des massacres de Charlie Hebdo et du magasin Hyper Cacher, les Français se sont rassemblés par millions dans les rues et sur les places pour manifester leur attachement à la liberté d’expression.

Le droit à la vie est resté me semble-t-il au second plan, alors qu’il est le premier de tous : les autres dépendent totalement de son respect, de sa prise en compte primordiale, de sa  protection absolue.

Mais pour la clarté du débat, limitons-nous pour le moment à la liberté d’expression.

Dans nos sociétés occidentales, en principe démocratiques, tout le monde est pour, mais chacun(e) y met des limites… pour les autres ! Charlie-Hebdo lui-même tombe dans ce piège quand il s’oppose à une liberté qui nous est particulièrement chère: le droit des langues dites “régionales” à s’exprimer dans l’espace public.

A ce sujet je suis tombé sur un article de presse intitulé El atavico odio linguistico de Charlie Hebdo, signé de l’auteur catalan Joan Lluis dans Presencia, publié en castillan par le mensuel Nabarralde de mars 2015 : il exprime exactement ce que je pense, si bien que je me contenterai de le traduire pour les lecteurs d’Enbata.

Après avoir salué le combat de Charlie-Hebdo pour la laïcité, l’auteur s’interroge sur le curieux amalgame que cette revue fait entre la dite laïcité et le monopole officiel de la langue française dans l’expression de la vie publique.

Mais pour quelle raison l’équipe de Charlie Hebdo attaquait-elle les langues appelées régionales ? La douleur que me causèrent certains articles n’était pas due à ce qu’ils se moquent de ma langue – qu’ils se moquent de ce qu’ils veulent – mais au fait qu’ils attaquent le droit à son usage public.

Pour quelle raison sont-ils viscéralement contre la reconnaissance de  l’existence de ces langues ? Par une perversion de la notion française de laïcité qui depuis la Révolution française établit un parallélisme absurde mais buté, et souvent inconscient, entre religion et langue. Si la laïcité implique que la religion reste dans le domaine privé, elle exige des langues la même chose.

Nous pouvons parler catalan à la maison, mais en aucun cas l’on ne demande que le catalan ait quelque espèce d’existence officielle. Mais avec les langues les choses ne sont pas aussi évidentes. S’il est bien possible de se dispenser de toute religion pour être athée, par contre il n’est pas possible de ne parler aucune langue et il n’est pas possible qu’il n’y ait aucune langue d’usage officiel.

De ce fait l’étape suivante de la perversion  intellectuelle générée par l’assimilation entre foi et langue est de proclamer que la langue française en France est langue laïque. Langue neutre qui ne peut porter de dogmes totalitaires, ni de pratiques intolérantes. Langue neutre, et surtout, seule langue neutre. Toutes les autres langues portent le virus de l’intégrisme et de l’ethnicisme belliqueux.

De ce point de vue, donc, le droit universel à un enseignement digne de la propre langue, proclamé par les Nations Unies, n’existe pas en France et une revue comme Charlie Hebdo, qui défend tant de libertés, applaudit le fait que (ce droit) n’y existe pas. Charlie Hebdo et la majorité des penseurs et politiciens français font encore leurs les délires paranoïaques de 1789 quand, par exemple, (l’abbé) Henri Grégoire, un des leaders de la Révolution, proclamait : ‘le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ; l’émigration et la haine de la République parlent allemand (c’est-à-dire alsacien), la contre-révolution parle italien (c’est-à-dire : corse), le fanatisme (religieux) parle basque. Nous devons casser ces instruments de dommage et d’erreur’.

Encore aujourd’hui ils font ce qu’ils peuvent pour les briser, à partir de la supériorité morale autoproclamée d’être francophone et français et parce que leurs ancêtres, voici plus de deux siècles, firent une révolution”.

Tout est dit et bien dit par Joan Lluis Lluis : un commentaire n’y ajouterait rien, donc je n’en ferai pas.

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