Dans le cadre de la mondialisation actuelle, nous sommes en présence de deux forces qui s’opposent. L’une pousse à globaliser et à centraliser, l’autre réagit en visant à se réapproprier la capacité de décider et de peser sur son quotidien. Vue l’impasse dans laquelle nous positionne la globalisation néolibérale, le projet abertzale et indépendantiste a de beaux jours devant lui.
Les indépendantistes catalans viennent d’obtenir une majorité au parlement à l’occasion des dernières élections autonomiques du 14 février.
Quelques jours plus tard, le 17 février, suite à la chute du président loyaliste, le congrès kanak a octroyé une majorité aux indépendantistes au sein du gouvernement de la Kanaky.
Abstraction faite des contextes locaux respectifs qui sont bien évidemment très différents, il semblerait que l’indépendantisme soit conforté comme un projet dans “l’air du temps”.
“L’air du temps” n’est pas seulement une expression synonyme de “mode”, mais bien un concept de philosophie politique (“zeitgeist” en allemand). Le renforcement de l’indépendantisme en Catalogne et en Kanaky prend son sens dans un contexte plus global, au sein duquel une première “lame de fond” relève de la volonté des populations de vouloir reprendre en main leur destin face à la globalisation néo-libérale.
Le cas kanak en est une expression claire, voire quasi “paradigmatique”. En effet, en toile de fond des évènements des dernières semaines figure la question des mines de nickel, en particulier celle de Goro au Sud de l’île. Des affrontements y ont eu lieu depuis décembre, après que le groupe brésilien Vale NC ait annoncé son intention de vendre l’usine d’extraction qu’il y détient. Il s’agit de savoir si l’exploitation à venir des mines de Goro inclura une activité locale de raffinage, ou si elle consistera seulement à exporter le minerai brut. L’enjeu est fondamentalement celui de la maîtrise par les Kanaks eux-mêmes des ressources dont regorgent leurs terres. La Kanaky figure parmi les premiers producteurs de nickel au monde. Mais elle détient également du cobalt qui est aussi extrait des mines de Goro. L’aspect stratégique de ces minerais est renforcé par le fait que le nickel et le cobalt sont utilisés pour la fabrication des batteries électriques dont la production explose avec la montée en puissance des véhicules électriques. La seconde lame de fond est totalement opposée à la première, puisqu’elle relève d’un renforcement des effets d’échelle au niveau planétaire avec le développement de technologies qui requièrent des masses critiques de plus en plus gigantesques pour être compétitives.
Deux forces opposées
On en a précisément un exemple dans l’industrie de la batterie électrique qui est dominée par les Chinois. En effet, du fait des installations (et donc des investissements) colossales qui sont en jeu, la Chine domine une large partie de l’activité mondiale de traitement du nickel et du cobalt.
Dans le cadre de la mondialisation actuelle, on a ainsi deux forces qui s’opposent.
Une force centripète, qui est portée par les sociétés elles-mêmes qui cherchent à se réapproprier des espaces de décision conditionnant leurs vies au quotidien.
Et une force centrifuge, qui est déployée par le développement de technologies de production liées à la mondialisation.
Ces deux forces en opposition s’expriment dans toutes les sociétés (même si avec certaines “variantes”), et bien sûr au sein de nos sociétés européennes. On sent bien une montée en puissance de la force centripète avec par exemple, dans le contexte de la crise du Covid, une place de plus en plus importante accordée dans le débat public aux concepts qui lui sont liés : ceux d’indépendance, de souveraineté, de résilience…
Le concept de résilience mérite d’ailleurs une attention toute particulière car, comment les sociétés pourront-elles s’adapter à l’incertitude grandissante liée aux chocs auxquels elles risquent d’être exposées (climatique, sanitaire, économique…), si ce n’est en mobilisant les ressources qui sont à leur portée ?
Dans le même temps, sur des thématiques comme celle de la 5G, l’Europe constate avec effarement l’avancée technologique de la Chine. Mais surtout, elle redécouvre la puissance d’une capacité de planification stratégique d’un système communiste pourtant censé avoir fait la preuve de son inefficacité dans le cas de l’URSS…
Face à cela, la réaction en Europe est celle d’un renforcement de la force centrifuge, en tendant à aller de l’avant dans le processus d’intégration européen, et en recherchant de nouvelles masses critiques.
Et la tension entre ces deux forces opposées ne risque pas d’aller en s’affaiblissant. Bien au contraire, dans le contexte de la grave crise économique qui s’annonce, le renforcement, en particulier, des contraintes budgétaires, risque d’alimenter un mouvement de re-centralisation des États ; un mécanisme qui a constitué un facteur essentiel du regain indépendantiste en Catalogne…
Et dans cette dynamique je pense effectivement que, vu l’impasse dans laquelle nous positionne la globalisation néo-libérale (en particulier au niveau écologique), le projet abertzale et indépendantiste a de beaux jours devant lui, car il va devenir de plus en plus compréhensible et légitime pour de larges pans de la population.