L’intérêt général en crise

2016-09-Alda-Une-Forum-GPII-Bayonne-2016
6ème forum contre les Grands Projets Inutiles et Imposés (GPII) à Bayonne du 15 au 17 Juillet 2016.

Le sixième Forum international sur les grands projets imposés et inutiles (GPII) organisé à Bayonne en juillet dernier par le Cade, Bizi, Attac et le Comité local de soutien à Notre Dame des Landes a rassemblé 150 militant-e-s venue- s de plusieurs pays européens. Parmi toutes les conférences aussi riches les unes que les autres, voici la première partie de l’intervention de Julien Milanesi économiste, chercheur et maître de conférence à l’université de Toulouse sur “L’intérêt général en crise”.

Voilà plus de 10 ans maintenant que je suis avec vous, depuis ce jour de l’année 2005 où j’appris que l’autoroute A65 aller passer sur mon village, à Bostens, sur ce site des 9 fontaines où nous nous sommes plusieurs fois retrouvés pour, comme nous le faisons ce weekend, partager nos expériences, nos espoirs et nos déceptions, pour recharger les batteries, nous remonter le moral, passer de beaux moments ensemble. Une autoroute passe depuis 2010 sur les 9 fontaines, de ce combat perdu nous avons fait un film avec Sophie, ce qui nous a permis d’être à vos côtés pendant les six années qui viennent de passer. Et puis il y a peu, j’ai fait le choix d’intégrer la question des grands projets inutiles à mes enseignements et d’en faire finalement un objet de recherche. Comme vous certainement, je me dis souvent qu’il faudrait que je passe à autre chose, au jardinage ou à d’autres thèmes de luttes tout aussi, voire plus, urgentes. Mais les hasards de la vie m’ont mis ici, c’est ici finalement que j’ai acquis des connaissances, que je me suis intégré dans un collectif, c’est ici peut être que mes actions peuvent avoir un peu d’influence. C’est ici, pour le dire plus modestement, que je peux apporter ma petite pierre. La pierre que je souhaiterais apporter aujourd’hui, donc, c’est celle d’un bilan issu de ces 10 années de compagnonnage. Je voudrais mettre en débat quelques analyses sur notre mouvement, sur la façon dont il s’inscrit dans les débats plus généraux qui traversent nos sociétés, sur les questions stratégiques qui se posent à nous, sur notre avenir. Je ne prétends pas à ce que toutes ces analyses soient originales, beaucoup bien sûr sont issues de discussions avec vous, je m’essaie ici à une synthèse, ou plutôt à une mise en ordre, que je mets en débat. Je commencerai pour cela par revenir sur la dynamique actuelle des mouvements contre les grands et petits projets inutiles et imposés, j’essaierai ensuite de montrer en quoi notre mouvement se situe au coeur de conflits entre visions du monde qui sont probablement inconciliables. Puis ceci me conduira à traiter de la question, dont nous voyons bien tous la centralité, de la démocratie. Enfin, je terminerai en proposant deux axes de développement de notre mouvement.

Naissance d’une écologie politique populaire?

Je souhaiterais pour commencer revenir sur l’évolution de notre mouvement sur les 10 dernières années. Bien sûr, beaucoup d’entre vous se battent depuis bien plus longtemps et il faudrait faire une histoire plus longue. Avant cela il y eut notamment les combats antinucléaires, le Larzac, le Somport. C’est notre patrimoine, mais je vais essayer de vous proposer une histoire récente, celle que j’ai pu observer. Je vous laisse la compléter. Le combat contre l’A65, il y a 10 ans, fut un véritable moment de solitude. Certains d’entre vous, je l’ai rappelé, étaient à nos côtés, mais au-delà  de ce cercle étroit notre combat suscitait plutôt l’indifférence. Indifférence mâtinée d’ignorance et d’intérêts bien compris de la plupart des médias dominants, jusqu’à ce qu’Hervé Kempf, alors au Monde, ne consacre une page aux enjeux financiers du projet. Indifférence polie des grandes organisations de défense de l’environnement, qui à quelques exceptions près ne voyaient pas bien l’intérêt de s’engager dans ce type de luttes locales, pour ne pas dire provinciales. Indifférence teintée de mépris de la classe politique qui ne voulait voir dans notre mouvement que l’expression du “nimbysme”, ou autrement dit, de “l’égoïsme des riverains”. Je vous entends vous dire que cela n’a pas bien changé, que c’est cela que vous vivez chez vous. Je crois pourtant que la situation est différente. Nous avons tout d’abord réussi à imposer dans le débat public un terme, celui des GPII, qui change la donne et la perception sur nos luttes (un merci infini, à ce propos, à celui ou à ceux qui ont construit cet acronyme si pertinent). Ce terme, qui nous rassemble pour la sixième année consécutive fait apparaître l’unité de nos combats (j’y reviendrai) ainsi que l’idée qu’ils portent autre chose que des intérêts égoïstes, un profond désaccord sur les visions du monde et de l’avenir (j’y reviendrai également). Le combat à Notre Dame des Landes, par son caractère emblématique, par l’ampleur de la mobilisation qu’il a suscitée, a conduit les grandes organisations de défense de l’environnement qui ne l’avaient pas encore fait à s’engager plus clairement contre ces projets. Les ZAD bien sûr, ont changé la donne stratégique sur les lieux de lutte. Elles ont montré qu’on pouvait enrayer le bulldozer administratif en mettant son corps en travers. La leçon est porteuse d’espoir, nous pouvons espérer des victoires, elle est aussi tragique, nous savons maintenant que l’Etat, dans ces circonstances, utilise contre nous des armes qui peuvent tuer.

Multiplication des luttes locales

Ce qu’il y a de nouveau aussi, et sur quoi je voudrais insister, c’est la multiplication des luttes locales contre des petits ou grands projets. Cela fait quelques mois, avec la sortie de notre film que nous faisons le tour de France des projets inutiles : le golf de 51 trous à Tosse dans les Landes, l’A45 entre Saint Etienne et Lyon, l’A51 dans le Trièves, la technopôle d’Agen, le projet de mine au Pays Basque, la carrière sur le plateau des milles étangs dans les Vosges, la route Pau-Oloron, les Centerparcs de Roybon et Casteljaloux, le barrage de Sivens, la LGV GPSO, l’aéroport de Notre Dame des Landes, et ce n’est qu’un petit échantillon des projets en cours aujourd’hui en France. Je ne suis pas sûr qu’il y ait plus de projets de ce type qu’avant, comme on l’entend parfois, mais si nous les voyons, et ça c’est réellement nouveau, c’est qu’ils suscitent tous des réactions d’oppositions. Des citoyens partout s’organisent pour les contester. On ne peut plus aujourd’hui, en France, bétonner en paix. Et c’est une très bonne nouvelle. Je voudrais voir dans la multiplication de ces luttes, l’émergence de ce que je me risque à appeler, et je mets l’appellation en débat, un mouvement d’écologie populaire, ou pour être plus précis, une “écologie politique populaire”. Pourquoi ? Je sais que certains parmi vous, au sein des associations, des collectifs que nous constituons, ont des réticences, voire de l’hostilité à se définir écologiste. Pourtant c’est bien là qu’est le coeur de nos luttes. L’écologie est en effet à l’origine une science, fondée au 19ème siècle, qui s’intéresse aux interdépendances, aux relations entre les êtres vivants et leur milieu. Riche de ses enseignements l’écologie politique, pour aller vite, définit les mouvements qui questionnent la place de l’homme dans son milieu naturel, son interaction avec le reste du vivant. Et c’est ce que nous faisons en défendant nos territoires contre le saccage des GPII. C’est sur nos territoires, souvent ruraux, que nous voyons aujourd’hui concrètement la crise écologique à l’oeuvre. Nous voyons les cours d’eau dans lesquels nous ne pouvons plus pécher sous peine de nous empoisonner, nous voyons les villes grignoter petit à petit nos meilleures terres agricoles, nous voyons les champs brulés par les herbicides, nous connaissons les paysans malades d’avoir respiré ces produits toute leur vie, nous ne voyons plus les écrevisses, les tritons, les tortues, là où nous allions les pécher, les taquiner quand nous étions gosses. Nous voyons, nous vivons, la perte de notre territoire, de notre lieu de vie. Et ça suffit, ras le bol. Nous avons décidé que ça suffisait.

L’économiste Julien Milanesi et la cinéaste Sophie Metrich ont réalisé le documentaire L’Intérêt général et moi.
L’économiste Julien Milanesi et la cinéaste Sophie Metrich ont réalisé le documentaire L’Intérêt général et moi.

Ecologistes par définition

Nous sommes écologistes par définition. Et nous sommes un mouvement d’écologie populaire, parce que pour beaucoup justement, nous ne venons pas de l’écologie théorique et savante. Il y a aussi bien sûr parmi nous, et j’en fais partie, des lecteurs de Gorz, Charbonneau, Ellul, Passet, Latouche, Illitch, et j’en passe. Mais ce qui nous réunit, au-delà de nos différences de traditions politiques ou philosophiques, c’est le sentiment de ras-le-bol que j’évoquais tout à l’heure. Beaucoup d’entre nous, riverains de ces projets, vivent dans ces luttes leur premier engagement. Et il n’y a pas besoin de passé militant, ni besoin d’avoir lu tous ces auteurs pour ressentir la perte des territoires, et pour vouloir que ça cesse. Nos engagements sont fondés sur cette expérience simple, sur cette réaction saine à des projets qui nous agressent, ils sont nourris de cette émotion, de cette urgence. Et puis bien sûr, tout n’est pas qu’émotion, pour reprendre les mots de tribune, à Nérac, de Victor Pachon : nous savons lire, écrire et compter. Il n’y a pas besoin d’avoir fait polytechnique pour comprendre que si, par exemple, la crise climatique est un problème grave et urgent, il est absurde de construire des autoroutes et des aéroports. Nous sommes peut-être, donc, la naissance d’une écologie populaire. Ecologiste parce que nos mouvements prennent leur source dans la défense des territoires dans lesquels nous vivons, populaire parce que ce qui nous rassemble n’est pas une doctrine mais un ressenti et une prise de conscience commune qui transcende nos appartenances sociales. J.M.

 

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Une réflexion sur « L’intérêt général en crise »

  1. Peut on trouver une (ou un), des représentantes, sociales démocratiques et écologistes, nationale voir départementales, pour les prochaines élections.

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