Julen Oillarburu – Ttattola Gaztetxea
“Arbonatik Hazparnera gora okupazioa” : c’est le slogan qu’on pouvait apercevoir, il y a encore quelques jours, en levant les yeux au niveau des numéros 18 et 20 de la rue Jean Lissar à Hasparren, à quelques mètres de la mairie.
Nous, membres du Gaztetxe d’Hasparren, avions occupé une maison inhabitée et abandonnée par sa propriétaire, jusqu’à notre expulsion le 13 septembre dernier. Si l’occupation n’aura duré “que” trois semaines, ce fut un moment d’intense politisation, d’échange, d’entraide et de réflexion, qui nous a permis de lancer une nouvelle dynamique en vue de l’acquisition d’un Gaztetxe et peut-être d’ouvrir de nouvelles perspectives de luttes.
Le 31 janvier 2020, nous avions dû quitter la Ttattola Gaztetxea après y être restés 18 ans. Nous nous étions alors réunis avec les différents candidats aux élections municipales d’Hasparren pour leur expliquer notre situation puis nous avions rencontré deux fois Madame Isabelle Pargade, suite à son investiture. L’objectif était de trouver un local avec la mairie, tout en cherchant d’autres solutions de notre côté.
Après un an et demi de discussions sans résultats concrets, le 21 août dernier nous avons donc occupé la maison Davidenia, propriété d’une dame âgée demeurant à Pau, qui n’entretient ni n’habite dans la maison depuis de nombreuses années.
Loin d’être un acte de désespoir, voire d’un simple moyen de pression symbolique, le choix de ce répertoire d’action fut le fruit d’un travail collectif de longue haleine qui a constitué pour nous une expérience politique déterminante, dont nous vous proposons ici quelques conclusions.
Pourquoi occuper ?
Nous nous en tiendrons seulement à une définition minimaliste de ce qu’est un Gaztetxe, laquelle suffira ici à expliquer la nécessité, pour nous, de (re)construire un tel espace à Hasparren en particulier et au Pays Basque en général.
Poumon de la culture basque faisant office de rampe de lancement pour de nombreux projets musicaux et culturels, nous comprenons le Gaztetxe comme un espace social autogéré et sans attache partisane, permettant de développer un esprit critique et une capacité d’organisation chez les jeunes.
Dans un contexte de régression de la pratique de la langue basque et de dévoiement de notre culture, un tel espace nous paraît essentiel afin de “vivre” notre culture au quotidien et stimuler l’émancipation des jeunes. En ce sens, le fait d’avoir choisi d’investir une maison en centre-ville fut, d’une part, guidé par des considérations idéologiques (convictions).
C’était l’idée de se réapproprier l’espace public et d’y imposer nos représentations (symboles, banderoles, slogans) ; d’être visibles en somme. Ceci, afin de contester l’ordre graphique dominant d’une rue qui ne laisse pas de place à l’expression de notre culture, hormis quelques images marketing et folklorisées destinées uniquement à vendre des produits “authentiques basques”.
D’autre part, le choix du lieu à occuper répondait à des conditions pratiques et de bons sens. Cela faisait de nombreuses années que la maison Davidenia avait été abandonnée : le jardin était en friche, l’intérieur était poussiéreux, sale, les toilettes ne fonctionnaient pas et il n’y avait ni électricité ni eau.
Pour nous qui sommes en âge de chercher un logement et dans un contexte tendu, laisser une telle bâtisse vacante pendant si longtemps est inacceptable. Des lors, nous nous sommes employés à lui donner une seconde vie pour en faire un lieu commun de sociabilité, de réflexion et de culture.
Dès le début, nous nous sommes donc attachés à réhabiliter la maison Davidenia afin d’accueillir le public dans de bonnes conditions et d’y organiser des animations.
Cependant, si l’action, bien qu’illégale, nous paraissait totalement légitime, il convenait encore d’échanger avec nos voisins et les Hazpandar pour expliquer notre démarche.
Un travail de légitimation
En effet, une des conditions de possibilité majeure de la réussite d’une occupation est l’assentiment de la population, surtout dans une ville peu accoutumée à ce genre d’actions et où tout le monde se connait. Autrement dit, il s’agit de légitimer notre mode d’action dont le degré d’acceptation dépend, a priori, autant du rapport de force politique que du système des croyances en vigueur. Et dans une société capitaliste où la propriété privée relève de l’ordre du sacré, nous n’avons pas manqué d’entendre des remarques à notre encontre (“cela ne se fait pas de rentrer comme ça chez les gens”, “ce n’est pas chez vous”, “tu aimerais que j’aille occuper chez toi ?”), frôlant parfois la psychose (“t’imagines cela veut dire qu’ils peuvent aussi rentrer chez nous”).
Effectivement, nous n’avons jamais nié l’illégalité de notre action : nous avons occupé une maison dont nous ne possédions pas le titre de propriété. Mais nous avons occupé une maison insalubre car abandonnée depuis longtemps, que la propriétaire ne veut ni louer, ni vendre et encore moins habiter. Il nous a alors paru légitime de se réapproprier Davidenia et d’en faire un espace commun, accessible à tous, à l’image du Gaztetxe que nous revendiquons depuis presque vingt mois maintenant et pour lequel les pouvoirs publics semblent incapables de nous aider.
Nous considérons ainsi l’occupation comme un répertoire d’actions supplémentaire, qu’il s’agit d’activer dans des contextes précis… comme celui d’aujourd’hui. Car l’occupation est un outil de contestation pour soi et en soi. Il permet premièrement de construire et d’exprimer notre subjectivité dans l’espace public, par le biais de l’appropriation d’un lieu.
Deuxièmement, par son essence même, l’occupation s’attaque aux problèmes structurels auxquels nous faisons face, à savoir le règne de la propriété privée qu’une poignée de personnes accumule et dont elle tire profit en vertu de la loi du marché, au détriment des espaces communs et d’esprits critiques qui se font de plus en plus rares.
Que ce soit pour un Gaztetxe ou pour récupérer des terres agricoles laissées aux mains de la spéculation foncière, l’efficacité de ce moyen d’action commence à être prouvée. Dans un contexte de crise (logement, environnement, santé, économie), il en va de l’avenir du Pays Basque, de notre culture et de nos conditions socio-économiques, afin de se réapproprier des espaces pour en faire des lieux communs d’organisation et d’émancipation sociale.