Mari Lagan, bat egin

Mari Lagan

Izena duenak izana du, ce qui se nomme existe. Elles assurent la logistique en base arrière ou sont en tête de proue, s’occupent des enfants ou d’une entreprise, suivent le collectif ou s’en émancipent, et parfois tout à la fois. Enbata souhaite, par une série de portraits, contribuer à rendre visible le rôle des femmes dans le mouvement abertzale. Chacune aborde son parcours personnel, entremêlé avec le combat collectif, sa vision de l’abertzalisme, la place des femmes dans le militantisme : chaque portrait est un point de vue, aussi subjectif qu’universel.

Cet épisode de la série « militantes » est illustré par Sabina Hourcade.

Electron libre mais farouchement attachée au groupe, euskaldun jusqu’au bout des ongles, mais avec un “passing” français (1), anar et libertaire mais abertzale, à la défense d’une culture mais résolue à ce qu’elle ne soit pas figée : Mari Lagan, c’est “bat egin”. Elle fusionne les paradoxes sans contradiction pour façonner une identité abertzale, punk et féministe.

Maire de Bayonne

Mari naît à Bayonne de parents abertzale militants. Justement, ils veulent se faire discrets : on ne peut pas faire plus français que Marie. Elle a deux ans lorsqu’ils sont arrêtés : plus besoin de couverture, elle peut commencer sa scolarité à l’ikastola, qu’elle ne quittera pas jusqu’au bac. “Qui j’aurais été s’ils ne s’étaient pas fait démasquer ?”.
C’est la question : à quoi tient une identité ? 17 ans, l’âge de la révolte et du besoin de changer le monde. “Au Pays Basque, tu es d’abord le groupe. Et moi, je suis qui ? Une nana, euskaldun, avec un nom et un prénom français, qui vient d’un quartier populaire. À cette époque, naît mon identité de classe : je n’ai pas grandi dans la belle maison blanche et rouge avec aita et ama, mais au bâtiment 7, résidence Breuer à la ZUP. Ma mère, qui a eu une scolarité écourtée, nous a élevées seule.
Des parents militants, mais pas de déterminisme dans son abertzalisme. Elle fait ses propres marques dans le mouvement (Festival Baiona, Txiriboga pendant les fêtes de Bayonne, brigade verte à EHZ, mouvements lycéens et étudiants…), lit “Travailler deux heures par jour”, découvre l’intersectionnalité. En parallèle, elle rencontre l’animation socio-culturelle et l’éducation populaire, qu’elle ne quittera plus, en rentrant comme animatrice au centre de loisirs du Moulin d’Arroussets. Un choc pour celle qui se dit venir d’un monde abertzale “très protégé” : combien de cultures coexistent sur ce territoire sans vraiment se rencontrer ?
C’est justement parce qu’elle se sent à la croisée des enjeux de classe, de genre et de culture, qu’elle affirme à l’époque qu’elle portera la voix de tous et sera maire de Bayonne : quoi de mieux pour vraiment changer les choses ? Bon, entre temps, elle est devenue anar libertaire : c’est probablement moins compatible avec la fonction.

Emazte gudari

Grandir, c’est déconstruire. Mari se rend petit à petit compte que ce monde militant qu’elle a idéalisé, car à la pointe de la lutte contre les oppressions, a aussi ses failles. Anticapitalisme, antiracisme… : il y a beaucoup de pin’s sur les bombers, mais celui de l’antisexisme reste parfois dans la poche. Aux hommes est assigné le rôle de prendre la parole en public. La violence faite aux femmes n’est pas un sujet central pour le mouvement. Il n’est pas rare que leur parole soit invisibilisée. À quelques-un·e·s, ils lancent le PAF (Pour une Alternative Féministe) en 2009 : un mouvement féministe mixte qui mêle satire, autodérision et humour festif.
Plus de 15 ans après, c’est violent de faire le constat qu’il y a eu peu d’avancées depuis. Et pourtant, les jeunes femmes sont plus outillées, l’information est accessible : mais c’est comme s’il y avait une avancée à deux vitesses. Aujourd’hui en Iparralde, nous avons la richesse d’avoir plusieurs groupes féministes et une dynamique queer qui permettent d’aller encore plus loin, de lier le féminisme aux questions de transidentité, queer, décoloniales. Mais le mouvement abertzale, qui est à l’avant-garde sur énormément de choses, est solidement installé dans le patriarcat.” Est-ce dû à l’amour du pouvoir ? À la difficulté de renoncer à ses privilèges quand on est au sommet de la pyramide ? Le mouvement abertzale se nourrit encore du militantisme invisible : celui de la compagne qui garde les gamins quand l’homme passe ses soirées en réunion. “Chiche, en 2025, on arrête d’invisibiliser le travail militant des femmes !

Anartzalisme

À la même époque, Mari qui a commencé sans conviction une fac de lettres, a besoin d’air. Elle se sent à l’étroit en Iparralde où les gens ont un regard sur qui tu es, ton nom de famille, avec qui tu couches (ou pas). Elle part pour Bordeaux : sur les bancs de l’IUT, elle poursuit sa formation dans le domaine de l’animation socio-culturelle, et sur les bancs des squats anars et libertaires, sa formation politique et militante, notamment avec la CNT. En 2020, un appel viscéral de vivre et travailler en basque la fait revenir au pays et prendre un poste de professeure d’animation socio-culturelle pour bac pro. “Ceux qui vont en filière pro sont principalement les enfants d’ouvriers, on leur a souvent rabâché qu’ils étaient en échec scolaire. Il y a un vrai enjeu d’émancipation : les mettre en situation de réussite à travers d’autres manières d’apprendre, à travers des projets collectifs.” Mari se réinstalle à Bayonne Nord.

« Le mouvement abertzale,
qui est à l’avant-garde sur énormément de choses,
est solidement installé dans le patriarcat. »

Comment peut-on être anar libertaire et pour un État-nation ? Mari rigole. “C’est un deal compliqué. Il faut remettre les frontières en perspective : on peut reconnaître une identité politique sans reconnaître les frontières. Ça ne m’intéresse pas d’avoir un Pays Basque de droite, raciste et transphobe. Notre capacité à faire groupe nous a permis de répondre aux oppressions et d’innover : ce vivier très riche capable de révolutions sociales doit sans cesse s’améliorer pour répondre aux nouveaux défis, notamment aujourd’hui intégrer les enjeux LGBTQIA+, de racisme, de représentation des classes populaires.

Zetkin invite les femmes à se réapproprier le devant de la fosse, souvent très masculin. Photo prise lors du concert de Liher à EHZ en juin 2023.

Évoluer et préserver : la question est quasi philosophique. “C’est bat egin !” Comment préserve-t-on une identité culturelle et politique régulièrement menacée, sans s’interdire de se débarrasser de ses aspects délétères ? “On peut prendre l’exemple de la danse. Dans certaines danses basques, on a les gars d’un côté, les filles de l’autre. Des groupes comme Bilaka Kolektiboa travaillent à déconstruire les stéréotypes. Il n’est pas tolérable qu’il y ait du sexisme, de l’homophobie, de la transphobie, dans notre culture.”

Zetkin

Le 30 août 1932, alors que le Reichstag allemand est dominé par le NSDAP, le parti nazi, la député socialiste allemande Clara Zetkin ose leur tenir tête. Elle a 75 ans, des cheveux blancs, elle est grosse : à contre-courant des codes nazis de la jeunesse blonde face à qui elle démontre toute sa puissance. C’est à Clara Zetkin que l’on doit la journée internationale du droit des femmes, célébrée chaque 8 mars.
Quoi de mieux comme référence pour un groupe punk féministe, qui veut politiser la présence des femmes sur et devant la scène ? (Et puis, “de Beauvoir”, ça aurait sonné moins punk). C’est une copine de Mari qui la convainc : “Il n’y a que des hommes mecs, blancs, cis (2), hétéros, sur scène : on a des choses à dire, on doit créer un groupe de punk féministe.” Le fait que son seul bagage musical consiste en quelques cours de guitare avec son prof de maths n’est pas un obstacle : à quelques un·e·s (le groupe est volontairement mixte), ils se forment aussi bien à écrire et jouer de la musique qu’à brancher des amplis et dépasser leur syndrome de l’imposteur. “Dans une société âgiste, sexiste, où règne le culte de la jeunesse et de la beauté, ça n’est pas anodin de mettre en avant sur scène des corps de quarantenaires, qui transpirent, qui chantent fort, qui ont les cheveux gris qui vont dans tous les sens,” explique Mari.
Zetkin, qui veut représenter une hétérogénéité (ça rappelle quelque chose) propose des chansons en euskara, mais aussi en français et en espagnol. Ce qui se passe en dehors de la scène aussi est politisé : avec Zetkin, les femmes sont invitées à se réapproprier le devant de la fosse souvent très masculin. Et le groupe n’hésite pas à interrompre un concert s’il estime que tout le monde n’arrive pas à prendre part à la fête. Une contribution globale pour faire évoluer la scène basque. “Pourquoi aujourd’hui on peut continuer à programmer des affiches 100% masculines ou des groupes aux propos douteux sur la place des femmes sur scène, sans que la question ne soit même pas posée, même pas débattue ? Là aussi on doit faire preuve de volontarisme et programmer des formations plus féminines.
Dans sa chanson “Emazte gudari”, Zetkin met à l’honneur la femme combattante “qu’elle soit dans le maquis ou dans le soin.” La B.O. parfaite pour cette chronique.

1) Le passing, en sociologie, désigne la capacité de quelqu’un à être considéré comme membre d’un groupe social (ethnie, classe, orientation sexuelle, genre, religion, …) autre que le sien.
2) Un homme ou une femme « cis » sont des personnes qui sont en accord avec le genre qui leur a été assigné à la naissance.

Mari Lagan est membre du groupe de punk féministe Zetkin.
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