La France nous donne d’elle-même une image extrêmement séduisante : celle de la Madone, vierge et mère universelle, figure laïcisée en Marianne par LA République. Cette icône bien ancrée dans les consciences explique en grande partie l’adhésion de la majorité des Basques du nord au nationalisme français. C’est pourquoi je crois utile de traduire ici en français mon article en basque du mois dernier, Marianne Madona laikoa.
La majorité des Basques du nord adhère au nationalisme français. “Comment en est-elle venue là en tournant le dos à sa basquitude ? J’y vois un groupe de raisons : l’influence des guerres, la cenrtralisation, l’école unilingue, les radios et télévisions de la même langue, la propagande nationaliste… Mais deux facteurs me semblent dominants : la force de l’Etat et l’image féminine sacrée, aimable, séduisante pour le coeur et l’esprit que la France nous donne d’elle- même.”
Ici je saute les passages concernant ma critique de l’Etat français, critique négative (centralisme, monolithisme, absolutisme, nationalisme), mais aussi positive (Etat protecteur, Etat-Providence), car elle est habituelle dans Enbata et familière à nos lecteurs. Je me concentre donc sur l’objet principal de mon article, c’est-à-dire sur l’image féminine et sacrée de la France. “De plus, et peut-être par dessus tout, la France est terriblement séduisante, avec tant de belles et bonnes choses, ainsi que le don de les faire valoir dans sa propagande : les meilleurs climats du monde, des paysages merveilleux, des châteaux admirables, des artistes à foison dans tous les domaines, une gastronomie très riche avec tant de fromages et de vins différents, une littérature impressionnante, les deux déclarations des droits de l’homme, – celle de 1789 et celle de 1948, – une protection sociale avancée… L’on ne peut donc pas honnir la France.”
“Elle le sait bien et pour mieux assurer ses avantages, elle prend l’aspect d’une dame sacrée. Au XIXe siècle l’illustre historien Jules Michelet lui donna avec admiration l’aimable visage de la jeune héroïne Jeanne d’Arc : “Le sauveur de la France devait être une femme. La France était une femme elle-même.” Un autre auteur prestigieux poussera jusqu’au bout cette figure mythique et mystique : De Gaulle l’appellera “la Madone” et “Notre-Dame la France.” Entre temps la République laïcisa cette image de la Sainte Vierge sous l’aspect de la fameuse “Marianne” dont la tête orne les timbres-postes et le buste la salle principale de la mairie.
La France a une image féminine et sacrée séduisante :
la Jeanne d’Arc de Michelet,
la Madone chère à de Gaulle,
la Marianne de la République.
Dans les colonies la France s’appellera “la Mère-Patrie”, et chez nous beaucoup de compatriotes basques recevront comme un blasphème la formule fondatrice de ces “saletés d’Enbata”, proclamée pour la première fois en 1960, et bientôt chantée par Michel Labéguerie, “Euskadi seule est notre patrie !” Il nous aura fallu beaucoup de temps pour surmonter ce péché originel. Mais la proclamation des patriotes basques a ouvert une nouvelle page dans l’histoire du Pays Basque nord. Jusque là, les principaux basquisants d’ici se montraient patriotes pour le Pays Basque sud, mais timides et réservés pour le nord, comme congelés par la vénération de la Madone, y compris Chaho. Ce temps-là est révolu. Bien qu’elle ne puisse pas haïr la France, la Vasconie d’Aquitaine doit faire face à l’Etat français pour rester en vie. L’Espagne par contre apparaît sous l’aspect du taureau, et je crois que de ces images dissemblables des deux États viennent les réponses différentes des Basques des deux côtés de la frontière : au Taureau le chiffon rouge ou la fuite, à la Dame les fleurs ou dans l’impuissance le désespoir.
Ce point de vue ressemble davantage à une psychanalyse politique qu’à une analyse! Centralisme, monolithisme, absolutisme, nationalisme, s’ils sont avérés, sont tout à fait criticables en ce qu’ils n’ont rien à voir avec les valeurs de la République qui, elles sont universelles (et donc laïques) et il ne faut pas oublier que la laïcité n’est pas en soi une politique orientée contre les religions mais plutôt une des valeurs qui sert à protéger le droit à la pratique des cultes (ou à ne pas les pratiquer). Pour la différence d’attitude que nous avons par rapport aux Basques du sud, elle est liée à nos histoires différentes. Nous n’avons pas subi les mêmes oppressions, n’avons pas les mêmes institutions etc… La langue n’est qu’une facette de l’identité nationale, même si c’est un aspect capital.