En obtenant une large majorité de députés à la Chambre des communes, lors des élections législatives du 12 décembre, Boris Johnson fera sortir, sur la base de l’accord qu’il a passé avec Bruxelles, le Royaume-Uni de l’Union européenne le 31 janvier 2020 après une crise politique inextricable de plus de trois ans.
Ce nouveau Parlement de Londres, à sa demande, lui accorde un délai jusqu’au 31 décembre 2020 pour négocier les futurs rapports commerciaux entre Britanniques et Union européenne. C’est dire que la nouvelle frontière entre l’Irlande et le Royaume-Uni passera dans la mer d’Irlande et non plus sur terre entre la république d’Irlande et l’Irlande du Nord, toujours britannique. Celle-ci restant incluse dans l’union douanière avec l’UE.
En établissant l’île d’Irlande comme entité économique et douanière distincte, l’accord de Boris Johnson met en place le processus de réunification de l’île. On ne pouvait en aucun cas violer les accords du Vendredi saint de 1998, signés entre Londres et l’IRA avec la caution de l’Europe, qui mirent fin à la guerre civile ayant fait 3.500 morts. Cette séparation de 500 km de long entre les deux Irlandes découlait de l’indépendance arrachée en 1921 à l’Empire britannique.
La victoire électorale de Boris Johnson renforce donc les partisans de la réunification irlandaise en Irlande du Nord où, pour la première fois, ses tenants catholiques battent le camp unioniste avec dix députés contre le DUP (protestant) perdant deux sièges, ramené à huit députés. La situation de l’Ulster est d’autant plus délicate pour Londres que des élections au Parlement local doivent se tenir fin janvier.
Contrairement à Theresa May, dont la majorité aux Communes tenait grâce aux dix députés unionistes, Boris Johnson risque de se désintéresser du devenir de ces trublions de ce petit bout d’empire. Rappelons aussi que l’Irlande du nord avait voté majoritairement au referendum Brexit en 2016 pour le maintien dans l’Europe. Rappelons surtout que lors des accords du Vendredi saint, une procédure démocratique était prévue pour l’éventuelle réunification de l’île. Par referendum, la république d’Irlande l’avait, par anticipation, approuvée alors que dans l’Ulster cette consultation peut être à tout moment organisée par Londres si une majorité citoyenne le demande. Les élections du 12 décembre semblent entrouvrir cette voie.La presse anglaise a d’ailleurs relevé le récent propos d’un vétéran de l’IRA: “gagner dans la paix, grâce au Brexit, ce qu’on n’était pas parvenu à atteindre en trois décennies de combat”.
Premier ministre du Brexit, Boris Johnson risque d’être celui du royaume désuni. Concomitamment à sa victoire en Angleterre, Nicola Sturgeon, Premier ministre d’Ecosse demandait officiellement, ce même jeudi 12 décembre, l’organisation d’un nouveau referendum sur l’indépendance de l’Ecosse dès 2020. Son parti, le Scottish national party (SNP), en rapportant 48 des 59 sièges en Ecosse, contraint l’histoire à repasser les plats. Ayant perdu en 2014 le premier referendum d’indépendance, par 55% contre 45% des voix, sur un argument décisif que sont venus défendre sur place tous les leaders politiques anglais, dont le Premier ministre d’alors, David Cameron: “si vous nous quittez vous quitterez aussi l’Europe”. Nicola Sturgeon joue aujourd’hui à front inversé puisque malgré que l’Ecosse ait voté à 62% contre le Brexit, c’est l’Angleterre qui la place aujourd’hui de facto hors de l’Union européenne. L’argument est de poids et la conjoncture nouvelle. Boris Johnson estime qu’en 2014 l’Ecosse s’est exprimée pour une génération au minimum. Il s’opposera donc à la convocation de ce nouveau referendum. Sturgeon, qui n’envisage pas un scénario à la catalane, dit: “nous continuerons à nous battre pour le droit démocratique de l’Ecosse à choisir” et publie un projet de loi demandant à Londres l’organisation d’un referendum. Qu’on le veuille ou non, Boris Johnson ne se débarrassera pas du dossier écossais.
L’Europe encore, celle du droit, bouscule la souveraineté absolue de l’Etat-nation pour rendre justice à une minorité nationale sous tutelle. Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 19 décembre, reconnaît l’immunité parlementaire européenne du président de l’ERC (gauche républicaine catalane), Oriol Junqueras, que l’Espagne a embastillé pour 13 ans suite au referendum sur l’indépendance de la Catalogne. La Cour donne cinq jours à l’Espagne pour le libérer. Contrairement à la procédure espagnole qui contraint un parlementaire européen à prêter serment sur la Constitution, pour la Cour de Strasbourg “une personne qui est élue au Parlement européen acquiert sa qualité de membre du Parlement au moment de la proclamation des résultats électoraux”. Cette mesure de justice bénéficie aussi à tous les autres parlementaires catalans emprisonnés ou exilés, dont l’ancien président de la Generalitat, Carles Puigdemont. La construction de l’Europe est bien la session de rattrapage de l’indépendance des nations recalées au XIXe siècle.