Moins de travail c’est la santé

Tangping

A la faveur de la crise du Covid, les travailleurs n’hésitent plus à rejeter le productivisme et pour revendiquer leur propre bien être, opérant une “révolution silencieuse” qui trouve une réponse, dans le monde politique ou dans celui de l’entreprise, avec la proposition d’une semaine de quatre jours. Un bénéfice pour les salariés, mais aussi pour les entreprises et pour la planète.

Déjà en proie depuis plusieurs années à de fortes évolutions, la place qu’occupe le travail a profondément été chamboulée par la crise du Covid. Qu’elles soient collectives ou individuelles, les tendances émergentes qui tentent de répondre à cette nouvelle réalité ont l’air de converger vers moins de travail dans nos vies.

Un phénomène global post Covid dont le fond doit nous questionner sur la mise à jour du projet social et économique de la gauche abertzale et dont la forme nous apporte des pistes de réflexions sur les nouvelles modalités de changement de la société.

Autrefois revendiquée surtout pour faire face au chômage, la réduction du temps de travail est aujourd’hui davantage avancée comme réponse pertinente à la fatigue et la lassitude qu’expriment les travailleurs.

Cette revendication, emblématique des luttes ouvrières, a plus que jamais le vent en poupe et séduit les gouvernements comme les entreprises à travers le monde.

Dès 2015, l’Islande avant-gardiste avait tenté le pari de la semaine de quatre jours payés cinq, avec deux expérimentations dans le service public (hôpitaux, écoles et bureaux). Les résultats ont montré une nette amélioration du bien être des salariés sans affecter la qualité et la continuité des services.

Depuis, ce succès inspire d’autres gouvernements qui tentent de trouver des réponses aux graves conséquences des évolutions du travail sur la santé mentale des travailleurs.

Déjà en constante hausse ces dernières décennies, le nombre de burnout, ce syndrome d’épuisement professionnel, a littéralement explosé chez les salariés depuis l’apparition de la pandémie. Ainsi, afin de garantir “des emplois de meilleure qualité”, le parti écossais SNP a fait de la semaine de quatre jours l’une de ses promesses de campagne des élections parlementaires remportées l’an dernier. A Madrid, le gouvernement a lancé l’expérimentation du passage de la semaine de 40h à 32h sur une semaine de quatre jours de travail dans 200 entreprises. Un peu partout dans le monde, des entreprises pionnières ont aussi sauté le pas de la réduction des jours de travail hebdomadaires sans baisse de salaire. On y fait le pari, qui à première vue peut sembler contre intuitif, de réduire le temps de travail pour plus de productivité. En faisant diminuer la fatigue et le stress des salariés, les employeurs voient baisser leurs coûts liés aux probabilités d’erreurs, de maladies, de burn-out et de démissions à répétition. Et puis ces longs week-ends deviennent un argument de poids pour attirer les nouveaux talents et garder les jeunes salariés qui aspirent à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle.

Télétravail

La semaine de quatre jours devient un garant et un symbole de cet équilibre. Car les nouvelles technologies alliées à la flexibilité de rigueur grignotent peu à peu la vie personnelle des salariés à coup de planning émiettés et d’incessantes notifications. Cette porosité, source de surmenages, a été accentuée ces deux dernières années par la généralisation du télétravail ; un cadre où les heures de travail effectives ne sont pas toujours faciles à comptabiliser lorsqu’on est amené à jongler entre les enfants, les tâches domestiques et les réunions zoom. Compter la réduction du travail en jour permettrait ainsi de garantir une déconnexion et un temps libre de qualité.

Sur le plan écologique, impossible de chiffrer avec précision les bénéfices d’une réorganisation du temps de travail qui restent toutefois évidents. Dans un article du Monde diplomatique (juin 2021),Travailler moins pour polluer moins, Claire Lecoeuvre pointe les impacts directs et indirects d’une réduction du temps de travail sur notre empreinte carbone. C’est d’abord baisser la consommation d’énergie, réduire nos émissions de transport mais aussi avancer vers une société plus soutenable en ouvrant un autre imaginaire du bien-être humain.

Disposer d’un jour de plus permet un autre type d’enrichissement par des activités que l’on peut effectuer soi-même, plutôt que de consommer par facilité un nouveau bien ou un service. On prend alors le temps de cuisiner, coudre, bricoler, réparer, s’occuper d’un potager…

Démission, nouvelle revendication ?

Dans ce contexte pandémique, beaucoup se détournent du modèle de travail intensif et aspirent à un quotidien plus soutenable. Aux Etats- Unis, on assiste ces derniers mois à un phénomène inédit : la Grande Démission.

Face aux mauvaises conditions de travail et au manque de sens éprouvé, plus de 38 millions d’américains ont quitté leur travail en 2021, avec un record historique en novembre à plus de 4,5 millions de démissions. Il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux où les témoignages des démissionnaires se multiplient. Sur TikTok, les jeunes se filment en train de donner leur démission sous le hashtag #quitmyjob qui dépasse les 220 millions de vues. “Notre génération doit écrire une nouvelle page de l’histoire du salariat. On doit forcer les entreprises à être meilleures, à tenir leur parole, à être humaines”, commente une influenceuse. De cette situation sans précédent, le rapport de force semble s’inverser pour contraindre les entreprises à se plier aux conditions de candidats qui n’ont pas peur de tout quitter.

Plus radical, le mouvement chinois “Tang ping” —littéralement “allongé par terre”— revendiquait au printemps dernier le fait de s’allonger et de ne rien faire, pour résister au productivisme à outrance. Ce n’était pas un mouvement organisé, mais des décisions individuelles, là encore vivement relayées sur les réseaux sociaux, engendrant une vague de nouveaux adeptes du non-agir. Car pour une grande partie de la jeunesse chinoise, la pression du modèle 9-9-6 (travailler de 9 heures du matin à 9 heures du soir, 6 jours par semaine) est trop lourde.

Sorte de Taoïstes des temps modernes, les partisans du Tang ping revoient volontairement leurs ambitions professionnelles à la baisse et adoptent un mode de vie minimaliste, priorisant leur bien être au matérialisme. Concrètement cette philosophie revient en fait à réduire au strict minimum son temps de travail pour libérer le maximum de temps pour soi.

Le gouvernement chinois a rapidement réagi en mettant en place un important dispositif de censure, laissant transparaître l’inquiétude et l’embarras de cette super puissance économique, face à un discours de l’inaction revendiquée d’individus.

Même si l’on est loin de l’ampleur que prennent ces phénomènes en Chine et aux USA, grands champions du productivisme, on observe ici aussi la même tendance de fond. A l’échelle de l’hexagone, 911.100 CDI se sont ainsi terminés fin juin 2021, soit une hausse de 14% en un trimestre. Une augmentation qui touche particulièrement les jeunes. La difficulté de se projeter à long terme en raison de la crise climatique, comme à court terme à cause des mesures sanitaires imprévisibles, aurait-elle pour conséquence une exigence accrue quant aux conditions de travail du moment présent ?

C’est peut être aussi comme cela, en cultivant ces exigences individuelles sur des conditions de travail soutenables que nous favorisons les modèles de demain, au détriment des modèles anciens qui conduisent à l’épuisement des ressources et des personnes.

Derrière des actes d’individus isolés, une révolution silencieuse du monde du travail est sans doute en train de s’opérer.

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Une réflexion sur « Moins de travail c’est la santé »

  1. Mouvements à suivre de près, dont on entend trop peu parler mais qui me semblent effectivement très significatifs.
    Ils montrent que, même dans un pays à la couverture sociale plutôt maigre comme les USA, ou dans un Etat qui place de gros efforts sur le contrôle de l’opinion comme la Chine, il y a un nombre croissant de personnes qui n’adhèrent plus au travaille-obéis-consomme, et qui franchissent le pas de quitter un boulot qui les use et ne rime à rien. Alors bien sûr ce n’est pas à la portée de tous (on imagine que la mère de famille nigérienne n’a pas actuellement cette marge de manœuvre pour travailler moins), mais en pratique un nombre croissant de jeunes dans les pays les plus émetteurs de GES pratiquent cette « désobéissance civile » face au productivisme absurde. En soi c’est une raison d’espérer, à l’heure où le dernier rapport du GIEC passe inaperçu et où une puissance pétrolière et gazière a lancé une guerre de conquête destructrice en brandissant la menace nucléaire.
    Trop tôt pour savoir quelle allure auront les reconfigurations globales en cours, mais espérons que ce mouvement de refus du productivisme aveugle se verra renforcé par la conscience accrue de la brutalité de l’extractivisme.

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