« Drame », « tragédie », c’est souvent comme cela qu’on qualifie les accidents mortels au travail dans la rubrique « Faits divers ». Puis, on passe à autre chose. Pourtant, derrière chaque accident, il y a un·e travailleur·euse, sa vie, ses rêves, ses proches.
La mort au travail est un tabou. Cette question dérange : elle est vite reléguée à la malchance, quand on ne rend pas le·la travailleur ·euse responsable de son propre malheur. Bref, le sujet est bien volontiers dépolitisé pour ne pas cibler les responsables. Et pour cause. Les enquêtes révèlent les motifs qui n’ont souvent rien à voir avec le hasard : cadences intenables, négligence de la formation, recours à des travailleur∙euses en intérim ou en sous-traitance peu formé∙ es ou expérimenté∙es, dégradation généralisée des conditions de travail… Ces éléments sont des politiques d’entreprise décidées et mises en place par les employeurs. Leurs conséquences vont jusqu’à la mort de travailleur∙euses due à une chute, un suicide, une mauvaise manipulation de machines par manque de temps ou de formation, au non-respect des obligations de sécurité pour maintenir la cadence imposée par l’entreprise…
Nos vies valent plus que leur profits
Les accidents de travail reposent souvent sur la soif de profits du patronat. A coups d’économies sur les dispositifs de sécurité par exemple, les patrons augmentent leurs marges ou baissent leurs prix pour remporter des appels d’offres. C’est typique dans le secteur de la construction, dans l’agriculture ou l’industrie, et de plus en plus dans le médico-social. Il suffit d’échanger avec un∙e syndicaliste ou un∙e inspecteur∙ trice du travail pour dérouler les tristes et révoltants exemples.
Des entreprises vont même jusqu’à installer des barrières de sécurité factices sur des chantiers pour gagner une demi- journée d’installation de barrières qui, elles, pourraient bel et bien sauver la vie d’un∙e travailleur∙euse. Si rentrer vivant∙e du travail était la priorité de tous les employeurs, aucune économie ou négligence systémique ne serait faite sur notre dos !
Visibiliser pour combattre
En 2023, Matthieu Lépine, enseignant d’histoire-géographie, publie L’Hécatombe invisible. Il a enquêté sur les morts au travail et a entrepris leur recensement. Comme le mouvement féministe, qui comptabilise les féminicides, il s’agit de visibiliser les victimes, leur donner un prénom, mettre des mots sur leur accident pour combattre ce que l’auteur considère comme « un fait social majeur, en augmentation, qui concerne des travailleurs souvent jeunes et au statut précaire ».
Il pallie aussi un manquement grave du ministère du Travail français qui ne comptabilise pas ces décès. Pas de chiffres, pas de problèmes et peu de contraintes pour le patronat. Ce n’est donc pas un hasard si l’Etat français se place quatrième de l’UE derrière la Lettonie, la Lituanie et Malte avec 738 décès en 2022 selon l’Assurance maladie. Il prend la tête de ce triste classement concernant l’ensemble des accidents de travail, mortels ou non. L’objectif doit être clair et sans concession : zéro mort∙e au travail !
En Euskal Herria, le syndicat LAB réalise ce travail de recensement. Ainsi, on sait qu’en 2023, 59 travailleur∙euses sont mort∙es au travail. Cette année, depuis janvier, 37 ne sont pas rentré∙es vivant∙es du travail. En Hego Euskal Herria, chaque accident mortel est dénoncé par une mobilisation et par l’interpellation des pouvoirs publics.
C’est aussi le travail intersyndical engagé en Ipar Euskal Herria depuis la mort de Mohamed Kichouhi, grutier, survenue le 9 mars 2022 sur un chantier à Baiona. S’il s’agissait de rendre hommage à cet ouvrier, il est aussi question de justice et de dénoncer une mort évitable de plus.
Protocole intersyndical
Pour lever ce tabou qui profite au patronat, le 27 août 2024 à Donibane Lohizune, les syndicats USCBA-CGT, FSU, LAB et Solidaires ont rendu public le Protocole intersyndical contre les accidents du travail*. Le but est d’apporter une réponse syndicale rapide à tout accident grave ou mortel en lien avec le travail. Le protocole prévoit différentes actions et démarches en fonction de la gravité de l’événement, et l’organisation commune du 28 avril, Journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail. La prévention a aussi une place centrale dans le document afin de sensibiliser les travailleur∙euses sur le fait qu’il est inacceptable de mourir au travail ou d’y perdre sa santé.
* Disponible sur le site internet ieh.lab.eus