Le second tour de ce cru électoral, à nul autre pareil du fait de la crise sanitaire, vient à peine de s’achever que de nombreuses questions taraudent déjà mon pauvre esprit de militant déboussolé, la déception de médiocres résultats luziens n’arrangeant rien à l’affaire. Une fois n’est pas coutume –euphémisme me laissant au contraire penser que j’ai trop tendance à confondre chronique politique et divan de psychanalyse–, je vide mon sac.
Un pas en avant
J’ai titré cette chronique “un avant et un après” en constatant avec jubilation la belle progression électorale du monde abertzale, dont je félicite ici ses promoteurs locaux. Revenons vers le passé. Il y a 20 ans, si quelques maires étaient abertzale c’était dans des communes rurales dans lesquelles l’appartenance politique était peu révélatrice. En 2001, l’élection d’Alain Iriart à Saint-Pierre-d’Irube fit l’événement, encore que les mérites personnels fussent autrement plus décisifs que l’étiquette abertzale, que sa liste ne revêtait d’ailleurs pas. En 2008, les progrès furent limités par la vague rose hexagonale. En 2014, Ustaritz, Ayherre, Baigorry furent gagnées. Et cette année, à ces communes conservées s’ajoutent Biriatou et ces quatre communes d’un poids démographique cette fois significatif, avec un pôle en Labourd sud (Ciboure, Urrugne, Biriatou) particulièrement notable en milieu urbain. C’est certain, surtout après les scores d’EHBai aux précédentes élections législatives de 2017 et départementales de 2015, ces municipales 2020 constituent un jalon majeur dans la progression abertzale. Mais en tant que luzien déboussolé, je me dois de nuancer dès à présent. Déjà en 2014, les listes ayant supposément fait tomber les nouvelles communes dans l’escarcelle abertzale rechignaient à en assumer véritablement l’étiquette. Des “listes plurielles avec beaucoup d’abertzale dedans”, certes, mais pas réellement abertzale. Cette année, même phénomène plus ou moins affirmé dans ces nouvelles victoires : derrière des têtes de listes abertzale, des listes ouvertes ou intégrant la “société civile”, choix visiblement judicieux puisque couronné de succès mais in fine, à l’heure de savoir s’il est légitime que le mouvement abertzale revendique son succès, que penser ? Qui a gagné ? Au conseil communautaire ou plus largement encore, ces élus-es seront ceints de quelle légitimité ou fonderont leur action en fonction de quelle allégeance : municipale, partisane, un équilibre entre les deux ou une différence selon la tendance de chaque élu au risque de la contradiction ?
Désastre bayonnais
Ces questions, qui n’en sont que quelques-unes parmi d’autres, ont atteint le niveau du psychodrame à Bayonne, voire aussi à Biarritz quoique de manière moins médiatique. Là, les groupes abertzale ne suscitaient pas de listes ouvertes mais carrément des listes d’alliances. Où se sont donc grippées ces dynamiques pour en arriver au pataquès bayonnais ? Entre trois partis dont deux hexagonaux, aux intérêts si différents, l’exercice était-il seulement possible ? Une fois la suite de l’histoire connue, trop facile de donner des leçons, le luzien déboussolé que je suis s’en abstiendra sagement. Mais il ne peut s’empêcher de penser que si l’ouverture est une bonne chose, les logiques d’alliances correspondent peut-être davantage à des seconds tours qu’à des premiers, et que ces premiers tours servent bel et bien pour un mouvement politique à porter son propre message et adopter sa propre stratégie –elle-même parfois si difficile à établir entre abertzale seuls–, surtout dans de grosses communes où la présence identifiable du mouvement devient si importante. Et ce, au risque de la minorité ; il n’est pas infamant de ne “peser” que ce que la réalité du terrain nous offre, dans la clarté d’une identité et d’un message, conscients de toute manière que le faible poids du monde abertzale en milieu urbain est davantage imputable à l’héritage malheureux de l’histoire et de la sociologie qu’à une médiocrité supposée de notre message ou de nos militants. Au contraire, en un temps de défiance de la parole politique, la clarté est non seulement gage de lisibilité et de franchise, mais probablement le socle le plus solide de progressions futures, peut-être lentes et frustrantes certes, mais plus durables.
En un temps de défiance de la parole politique, la clarté est non seulement gage de lisibilité et de franchise, mais probablement le socle le plus solide de progressions futures, peut-être lentes et frustrantes certes, mais plus durables.
Quelle stratégie municipale ?
Au final, sans bien mesurer en quoi une liste continue ou cesse d’être abertzale au fur et à mesure qu’elle “s’ouvre”, ou au vu de ce que peut carrément donner le choix d’une alliance pure et simple dès le premier tour, le luzien déboussolé finit par se demander ce à quoi ressemble concrètement la stratégie électorale du monde abertzale déclinée à l’échelon municipal. Dans les autres types d’élections, en tout cas dans celles fondées sur des circonscriptions locales (départementales et législatives), cela me semble à peu près clair puisque EH Bai présente ses candidatures sous sa propre étiquette. Mais aux municipales, il me semble qu’une mise à plat s’impose maintenant que le scrutin est achevé, au risque d’avancer sur du flou dont on sait qu’il peut finir par cacher un loup. Un tel débat n’a d’ailleurs pas de connotation négative à mon sens, bien au contraire puisqu’il s’agit bel et bien de questionnements suscités par une croissance. Et je le dis avec d’autant plus d’humilité que mes propres choix d’abertzale luzien n’ont pas brillé par leur succès cette année. Mais bien grandir, cela ne s’improvise assurément pas, à Saint-Jean-de-Luz comme ailleurs… Il s’agit là de l’un des ateliers des universités d’été d’EH Bai, une discussion intéressante en perspective.
Bel article, dont j’aime le questionnement.
On peut aussi analyser le coté des adversaires, qui pour Baiona par exemple rassemble une droite très marquée et des centristes habiles, plus quelques candidats bons pour l’image.
La question centrale est : à qui s’adresse-t-on ?
Autant à l’intérieur, les abertzale s’imposent sur deux publics: les promoteurs culturel/entrepreneuriaux d’un coté, et ceux qui ont peur de l’envahissement par les citadins de l’autre.
Par contre sur la côte, au moins pour Baiona, le corps électoral est totalement différent et plus complexe à analyser je pense.
Si je peux essayer, en dehors des 10% (max) d’abertzale, j’y vois les localistes, plutôt à droite, vaguement euskaltzale, bien représentés par la droite municipale. Il y a les populaires, plutôt à gauche, eux aussi basco-compatibles, mal représentés par la gauche municipale classique. Puis il y a un ensemble que j’appellerais les débarqués, qu’ils viennent d’ailleurs ou d’ici, et qui vivraient aussi bien à Baiona qu’à Capbreton et donc n’ont oas d’ancrage politique
Grace au pataquès dont tu parles, je crains que la droite ait réussi à capter une bonne partie de ceux-ci.
Je reste persuadé qu’une alliance entre abertzale, verts et les gauches aurait permit d’en convaincre une bonne partie.
Ce que je dis là est bien sûr questionnable, et j’en aimerais ton avis.
Milesker
Bien vue Alexandre, si on parle pas avec les gens de gauche a baiona, on restera là ou on est.
A Bayonne la vie serait plus simple pour les gauches, les abertzale et les verts si on ne nous imposait pas la figure clivante d’Etcheto à chaque élection. Quand Etcheto renoncera, la majorité politique basculera…
Hélas, tu pourras attendre des décennies ! Et c’est ce que certains abertzale ont imposé aux autres.
Il est beaucoup plus raisonnable de faire avec les gens qui sont là. Et puis après tout, Etxeto et son équipe, a accepté l’accord négocié avec Bihar Baiona et BVS. Malgré que BVS ait été sabordé, cet accord reste valide.