Ne plus vouloir posséder autrui (seconde partie)

Prendre possession du corps d’une femme contre sa volonté ne peut que susciter la honte
pour qui est un minimum adulte.


Suite de « Ne plus vouloir posséder autrui (première partie) »

L’impunité qui suit le plus souvent les différents niveaux de violence envers les femmes renforce le fait, chez les hommes qui les perpétuent, de se croire tout permis. Outre la culture du viol, cette vision hiérarchique et déshumanisante se retrouve dans les logiques de colonisation, d’extractivisme, d’exploitation du travail d’autrui. L’hégémonie de cette vision voudrait nous en faire admettre tacitement les règles, mais il est temps de grandir et de remettre la honte au bon endroit.

Dans les pays développés, ces deux dernières décennies, les jeunes femmes ont adhéré de plus en plus à une vision féministe du monde, avec une accélération depuis le phénomène MeToo de 2017. Mais en parallèle, dans ces mêmes pays, de plus en plus de jeunes hommes se persuadent au contraire de vivre dans des sociétés dominées par les femmes, et d’être les victimes de cette évolution (1). Quand bien même les faits (représentation politique, direction des entreprises, écart salarial femme-homme, travail reproductif et charge mentale, agressions sexuelles, féminicides) persistent à leur prouver l’inverse, cette idée se diffuse à partir de récits qui forment une vision du monde rétrotopiste (2). Ces récits ont beaucoup été véhiculés, également ces deux dernières décennies, sur des forums et autres espaces (3) web pas explicitement politiques au départ (forums sur les jeux vidéo ou les voitures…), mais que l’extrême droite a investis depuis longtemps, en travaillant non sur les arguments mais sur les images et les symboles.

Ce faisant, de nombreux jeunes hommes blancs développent un paysage mental où ils se considèrent victimes du féminisme et de l’antiracisme, et partant légitimes à ne plus suivre tel consensus social, ou à demander tel recul sur les droits des femmes.

Enfumages rhétoriques

L’un des ressorts de ces récits est la fausse dichotomie : “la modernité crée un monde qui n’a plus de sens, donc remettons les choses comme il y a 70 ans”. Comme si on ne pouvait choisir qu’entre le délitement consumériste actuel ou bien les sociétés cadenassées du passé, sans autre alternative. Par ailleurs, en amalgamant évolutions sociales et globalisation néolibérale, cette entourloupe permet de mieux faire accepter, au nom du rejet d’un présent aliénant, nombre d’usages anciens peu reluisants. Et par la même occasion, d’attirer vers l’extrême-droite des jeunes qui au départ étaient juste antimondialistes.

Cet activisme masculiniste visant les représentations mentales des hommes jeunes a été mené pendant longtemps en prenant entre autres pour cibles les très maigres avancées institutionnelles sur les questions de genre et de diversité, et en les distordant de façon à les faire passer pour “le système” (vu qu’elles étaient institutionnelles) et à faire passer les hommes blancs pour des laissés pour compte du système. Un peu comme si des non-bascophones se prétendaient victimes de la domination de l’euskara portée par les mesures de l’OPLB. Ça pourrait prêter à rire si ce n’était si absurde.

Toujours une question d’identités

Pour ceux qui ne sont pas rétrotopistes actifs, avoir une attitude volontairement non-conquérante peut résulter d’un effort pour suivre ce qui est considéré socialement convenu, ou peut résulter de notre identité. Dans le premier cas, les attitudes respectueuses des droits des femmes (et plus largement de la diversité) répondent selon les situations à ce qui est perçu comme un cahier des charges, et peuvent donc être à géométrie variable et se retourner dès que la ligne institutionnelle change, comme on le voit actuellement aux USA. Dans le second cas, ces attitudes et pratiques ont un ancrage viscéral, car pas besoin de faire un effort de conscience de chaque instant pour la tenir, cela fait simplement partie de nous.

Il y a quelques années, j’étais interviewé par Euskal Irratiak, au sujet de ce qu’on pourrait encore faire pour le climat. Une des questions était : Mundu hain gakotu hontan, zerbait egiten ahal da zinez oraino? (dans ce monde aussi cadenassé, est-il vraiment encore possible de faire quelque chose ?). Sur le moment, j’ai cité plusieurs exemples montrant la vaste étendue des solutions locales permettant à la fois de réduire nos émissions et de rendre nos territoires plus robustes face à un climat plus chaotique. Mais après coup, je me suis dit que j’aurais aussi pu retourner la question : zertarako tematu euskarazko irrati bat biziarazten, euskara desagertzen ari den mundu globalizatu honetan? (pourquoi s’entêter à faire vivre une radio en euskara, dans ce monde globalisé d’où l’euskara est en train de disparaître ?). Si j’avais dit ça, la réponse aurait fusé immédiatement : nous sommes euskaldun, donc nous nous exprimons en euskara et nous créons nos médias bascophones, point, la question ne se pose même pas. Car pour les amis d’Euskal Irratiak, comme pour tous ceux qui font vivre un média en langue basque, vouloir vivre en euskara, ce n’est pas uniquement suivre des principes institutionnels de soutien de la diversité linguistique, c’est avant tout viscéral : l’euskara fait partie de nous, de notre identité commune ; faire vivre cette langue, c’est nous faire vivre nous-mêmes.

Il peut tout à fait en être de même pour les autres dimensions de notre identité, y compris le fait d’avoir une attitude volontairement non-conquérante. Surtout si on a conscience d’appartenir à une culture minorisée. Surtout aussi, si on a conscience de la fragilité du territoire qu’on habite et qui produit ce qu’on mange.

Faiblesse structurelle

L’identité humaine telle que la définissent les identitaires et les masculinistes est un concept purement zoologique : elle est définie par le lieu de naissance, la généalogie, les organes génitaux. Cette vision applique en fait aux humains les critères couramment appliqués aux races de bétail.

Ils ont beau se revendiquer souverainistes et identitaires, ils n’ont de ce fait aucune souveraineté sur leur identité, car celle-ci est définie hors d’eux, et ne leur laisse aucun moyen de s’en saisir et de la faire évoluer. C’est une identité figée qui ne peut vraiment vivre, ni interagir ni se transformer : telle qu’elle est construite, elle n’en a pas la force. Les concernés ont plus ou moins conscience de ne pas avoir de force, car même en faisant partie des groupes sociaux les plus favorisés, ils sont obsédés par le “grand remplacement”, la « féminisation » et autres paniques du même genre. Leur peur d’être affaiblis par des personnes pourtant socialement plus vulnérables qu’eux montre la faiblesse de leur propre identité. Cela montre aussi leur vision du monde, où vouloir être au dessus = avoir peur d’être au dessous, où prendre possession d’autrui = avoir peur d’être soi-même objet de possession, etc. Triste paysage mental sans alternative à la hiérarchisation des vies et aux identités bétaillères.

Souverainetés

Ces identités collectives figées illustrent certaines propriétés des interactions sociales décrites par le philosophe Jean-Pierre Dupuy (4) il y a une trentaine d’années : “Plus les relations interindividuelles sont rigides, plus le comportement de la totalité apparaîtra aux éléments individuels qui la composent comme doté d’une dynamique propre, qui échappe à leur contrôle”. En d’autres termes : dans nos interactions avec les autres, plus on suit des règles rigides sur lesquelles on n’a aucun moyen d’influer, plus on se sentira impuissants au sein d’une masse qu’on ne peut que suivre. C’est précisément ce dont rêvent les rétrotopistes : une masse d’hommes obéissants prêts aux pires exactions dont ils n’éprouveront ni la responsabilité ni la possibilité de faire autre chose. Et, bien sûr, une masse de femmes reproductrices obéissantes, c’est là tout l’objet des attaques contre la souveraineté des femmes sur leur corps, avec notamment le droit à l’IVG, dont la suppression n’augmente pas tant le nombre de familles heureuses que le taux de mortalité infantile (5).

Le philosophe Jean-Pierre Dupuy, qui a décrit les identités collectives figées illustrant certaines propriétés des interactions sociales.

Hors de ces schémas, il existe des identités souveraines, dans lesquelles plutôt que de n’avoir aucune prise sur ce qui nous définit, d’avoir peur de ce qui ne rentre pas dans des hiérarchies sociales prédéfinies et peur de perdre sa place dans la pyramide, on fonctionne à travers des liens horizontaux, selon des règles définies entre tous et toutes et sur lesquelles on peut donc agir, comme dans l’auzolan ancien évoqué en septembre dernier (6). Pas question d’écraser celui en dessous avant de finir écrasé par celui au-dessus ; tout est à plat, tout est à portée d’ajustement permanent. Trouver comment vivre ensemble sera toujours plus intéressant que de crever l’un après l’autre. Ça demande juste une chose : grandir.

Vivre sans emmerder le monde

Prendre possession du corps d’une femme dont la volonté est passée outre, s’approprier tel territoire ou telle ressource en niant celles et ceux qui en vivent, étaler ses déchets partout et faire payer aux autres ses externalités négatives, ces attitudes ont en commun deux choses : l’incapacité à reconnaître qu’autrui est une personne et non un objet, et l’incapacité à admettre la notion de limites. C’est pardonnable pour un jeune enfant de deux ou trois ans. Déjà beaucoup moins une fois passée l’adolescence. Être du côté des gagnants d’un jeu aux règles truquées ne peut que susciter la honte pour qui est un minimum adulte. Respectez-vous.

1) Gazteen artean, ezker-eskuin banaketa politikoa genero ikuspegitik ere aztertu daiteke, Argia, 2024ko uztaila

2) Identités souveraines contre rétrotopies identitaires, Enbata, novembre 2021

3) Gizonesfera, sarean ideologia misoginoa eta antifemista zabaltzen duen komunitatea, Argia, 2024ko martxoa

4) Dupuy J-P, Koppel M, Atlan H (1992) – Complexité et aliénation. Formalisation de la conjecture de von Foerster. in Dupuy J-P, Introduction aux sciences sociales. Logique des phénomènes collectifs, p. 255-262

5) Gemmill A, et al. (2025) US Abortion Bans and Infant Mortality. JAMA online.

6) Etorkizunaren nostalgiaz gizarte harremanak birsortu, Enbata, 2024ko iraila

 

Soutenez Enbata !

Indépendant, sans pub, en accès libre,
financé par ses lecteurs
Faites un don à Enbata.info
ou abonnez-vous au mensuel papier

Enbata.info est un webdomadaire d’actualité abertzale et progressiste, qui accompagne et complète la revue papier et mensuelle Enbata, plus axée sur la réflexion, le débat, l’approfondissement de certains sujets.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés par les dons de nos lectrices et lecteurs, et les abonnements au mensuel papier : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre.

« Les choses sans prix ont souvent une grande valeur » Mixel Berhocoirigoin
Cette aide est vitale. Grâce à votre soutien, nous continuerons à proposer les articles d'Enbata.Info en libre accès et gratuits, afin que des milliers de personnes puissent continuer à les lire chaque semaine, pour faire ainsi avancer la cause abertzale et l’ancrer dans une perspective résolument progressiste, ouverte et solidaire des autres peuples et territoires.

Chaque don a de l’importance, même si vous ne pouvez donner que quelques euros. Quel que soit son montant, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission.


Pour tout soutien de 50€/eusko ou plus, vous pourrez recevoir ou offrir un abonnement annuel d'Enbata à l'adresse postale indiquée. Milesker.

Si vous êtes imposable, votre don bénéficiera d’une déduction fiscale (un don de 50 euros / eusko ne vous en coûtera que 17).

Enbata sustengatu !

Independentea, publizitaterik gabekoa, sarbide irekia, bere irakurleek diruztatua
Enbata.Info-ri emaitza bat egin
edo harpidetu zaitezte hilabetekariari

Enbata.info aktualitate abertzale eta progresista aipatzen duen web astekaria da, hilabatero argitaratzen den paperezko Enbata-ren bertsioa segitzen eta osatzen duena, azken hau hausnarketara, eztabaidara eta zenbait gairen azterketa sakonera bideratuagoa delarik.

Garai gogorrak dira, eta badakigu denek ez dutela informazioa ordaintzeko ahalik. Baina irakurleen emaitzek eta paperezko hilabetekariaren harpidetzek finantzatzen gaituzte: ordaindu dezaketenen eskuzabaltasunaren menpe gaude.

«Preziorik gabeko gauzek, usu, balio handia dute» Mixel Berhocoirigoin
Laguntza hau ezinbestekoa zaigu. Zuen sustenguari esker, Enbata.Info artikuluak sarbide librean eta urririk eskaintzen segituko dugu, milaka lagunek astero irakurtzen segi dezaten, hola erronka abertzalea aitzinarazteko eta ikuspegi argiki aurrerakoi, ireki eta beste herri eta lurraldeekiko solidario batean ainguratuz.

Emaitza oro garrantzitsua da, nahiz eta euro/eusko guti batzuk eman. Zenbatekoa edozein heinekoa izanik ere, zure laguntza ezinbestekoa zaigu gure eginkizuna segitzeko.


50€/eusko edo gehiagoko edozein sustengurentzat, Enbataren urteko harpidetza lortzen edo eskaintzen ahalko duzu zehaztuko duzun posta helbidean. Milesker.

Zergapean bazira, zure emaitzak zerga beherapena ekarriko dizu (50 euro / eusko-ko emaitzak, 17 baizik ez zaizu gostako).

2 réflexions sur « Ne plus vouloir posséder autrui (seconde partie) »

  1. Bada garaia gizonek gauzak argi esan ditzaten genero indarkeriei buruz. Ez bazarete konponbide, arazoa izaten jarraitzen duzue.

  2. Pourquoi vouloir ici reprendre le discours des Universités Américaines ?
    On ne peut pas la fois accusé nos conservateurs identitaires de s inspiré d un Steve Bannon , et ensuite prendre soit méme sont inspiration de la gauche pseudo progressiste des USA ( Jeunes hommes blancs , masculinistes ) !
    Trump a augmenter sont score chez les hommes blanc , mais aussi chez les hommes latino , les hommes afro américains , les femmes blanche , chez les gays et bisexuel non militant ( pour un certains nombre de gays et bi , qui recherche une forme de discrétion et qui ont tendance a voir les gays militants comme des caricatures ) .
    La premiére chose que l on apprend quand on fait de la politique , c est que chaque pouvoir crée sont contre pouvoir , plus le pouvoir est fort et plus le contre pouvoir le sera , l équilibre , c est une loi de la nature , le fameux yin et le yang .
    Trump est le fruit d un contre pouvoir , mais sa brutalité , crée a sont tour un contre pouvoir . On commence a voir les premier conséquences , pas encore au USA , mais surtout au Canada voisins ( en l espace de 3 mois , les conservateurs ont perdue 20 points de sondage au profit des libéraux du camp Trudeau , les conservateurs du Canada aurait due gagner la prochaine législature . Et voila que les libéraux ont annoncé des législatives anticipés pour profité de l effet anti-Trump ) et au Mexique .
    Que souhaite les femmes ? , d abord la sécurité et cela passent par des sanctions . Quand la nuit tombe , une femme ne s aventure pas seul dans les rues , une triste réalité .
    Quand la police est appelée pour des violences conjugales , et que ont notes la présence de coups chez la victimes , cela doit étre la prison tout de suite ( programmes indépendantistes , prison de nuits ou prison classique , pour 2-3 mois minimum )
    Création police des moeurs , c est a dire que l ont envoie des femmes policières en jupes , pour faire en sorte de se faire aborder par des hommes assez insistants et ainsi pouvoir leurs coller des amendes ( 250 a 500 euro ) . Faire en sorte que le harcèlement de rue s’arréte .
    Punir la possession de drogue , comme le GHB et considéré qu’il s agit la d un violeur sur le point d agir . Prison automatique ( programmes indépendantiste sur la vente de drogue dure , 5 ans de prison automatique , GHB , craks , opiacées . Pour les autres drogues , les 5 ans automatique arrive aprés 2 récidives ) .
    Luttés contre les multirisques associer au violence envers les femmes ( alcoolisme , drogue , pornographie violente )

Les commentaires sont fermés.