(Article publié dans l’Enbata d’avril avant les élections législatives du 9 avril).
Premier ministre de 1996 à 1999 et de 2009 à aujourd’hui, Benyamin Netanyahou entend bien remporter les élections législatives qui se tiendront en Israël le 9 avril prochain. A première vue, cela peut sembler impossible, ne serait-ce que parce qu’il est impliqué dans plusieurs affaires de corruption. Il est de plus fragilisé par la démission en novembre dernier de son ministre de la Défense, Avigdor Liberman, qui refusait un cessez-le-feu nouvellement signé avec le Hamas. Enfin, son alliance avec la formation suprématiste juive Otzma Yehudit, héritière du parti Kach —interdit en Israël et classé comme organisation terroriste aux États-Unis— choque ou tout au moins déroute jusque dans les rangs de son propre parti, le très à droite Likoud. Mais Netanyahou ne s’avoue pas vaincu, loin s’en faut…
Pour tenter de reprendre l’avantage sur ses adversaires, et notamment sur la nouvelle “coalition bleu et blanc” créée par un ancien chef d’état-major israélien et un leader centriste, Netanyahou a choisi de placer sa campagne électorale sur le terrain diplomatique où sa longue expérience et le soutien sans faille de l’administration Trump lui donnent un avantage incontestable. A point nommé pour faire oublier un énième scandale de corruption dans lequel Netanyahou s’empêtrait, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo s’est rendu en Israël le 21 mars dernier, les bras chargés de cadeaux. Au cours de sa visite, il a par exemple promis le soutien américain à un projet de pipeline permettant de relier Israël à l’Europe et surtout, il a annoncé que Washington était prêt à reconnaître la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan, un territoire syrien occupé par Israël depuis 1967. Trump avait montré l’an dernier qu’il faisait peu de cas des résolutions de l’ONU sur la Palestine en décidant le transfert de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, mais cette mesure ne signifiait pas pour autant une reconnaissance de l’annexion de Jérusalem Est par Israël en 1967. Cette décision de Trump sur le plateau du Golan marque donc un nouveau saut qualitatif dans la politique pro-israélienne du président américain. C’est par conséquent un indéniable succès diplomatique pour Netanyahou qui comptait sur la cérémonie d’officialisation de cette annonce, prévue en grande pompe à Washington le 25 mars, pour occuper le devant de la scène et faire oublier ses ennuis judiciaires. Mais cette belle chorégraphie ne s’est pas déroulée comme prévu…
Dans la matinée du 25 mars en effet, un missile de longue portée lancé depuis Gaza s’est abattu sur un village proche de Tel Aviv, faisant 6 blessés. Contrairement aux roquettes qui tombent fréquemment sur les villages limitrophes de la bande de Gaza, une attaque au missile sur la capitale est vécue comme un traumatisme majeur en Israël et cet événement a relégué le succès diplomatique du Golan aux pages intérieures. Furieux, Netanyahou, qui assume également les fonctions de ministre de la Défense depuis la démission de Liberman, a annulé sa participation à la cérémonie de Washington pour rentrer d’urgence en Israël où il a dû faire face aux critiques de ses adversaires.
Erreur technique
À son (extrême) droite, on fait de la surenchère dans le fermeté, à l’instar de Naftali Bennett, leader du Foyer Juif et membre du cabinet de sécurité de Netanyahou, qui appelle “à en finir une fois pour toutes avec le Hamas”. Même son de cloche du côté de la moins droitière “coalition bleu et blanc” où l’on affirme que “seules des actions agressives et dures restaureront la dissuasion qui s’est érodée”. Netanyahou, qui a ces derniers mois opté pour une politique de négociation avec le Hamas, se retrouve donc dans une position difficile. Une nouvelle guerre à Gaza signifierait l’échec de sa stratégie et serait par ailleurs très risquée pour lui à quelques jours des élections. La guerre de 2014 avait en effet duré 50 jours, causé la morts de plus de 2100 palestiniens (entre 70% et 80% de civils), de 72 israéliens (86% de soldats) et ébranlé les soutiens traditionnels d’Israël. C’est pour éviter un tel scenario que Netanyahou s’est empressé d’accepter les excuses peu crédibles du Hamas qui affirme que l’envoi du missile était dû à “une erreur technique”.
Ceci dit, tout porte à croire que la direction du Hamas n’a effectivement pas ordonné ce tir de missile et qu’elle est bien embarrassée devant cette initiative qui traduit une défiance de la branche armée de l’organisation islamiste à l’égard de la stratégie de sa direction politique de maintenir un cessez-le-feu afin d’espérer une levée partielle du blocus qu’imposent Israël et l’Égypte à la bande de Gaza. Il y a deux semaines, une “erreur technique” similaire avait eu lieu au moment même où une délégation égyptienne discutait des modalités d’un cessez-le-feu durable avec la direction du Hamas…
Joug du Hamas
Au-delà des organisations armées, c’est toute la population, exsangue, qui hésite de moins en moins à manifester son mécontentement. Un an après la Grande marche du retour violemment réprimée par Israël (270 morts et 29.000 blessés en 12 mois), le blocus est toujours bien en place. Le 14 mars, une manifestation pacifique organisée à Gaza sous le slogan “Nous voulons vivre” a été violemment dispersée par les forces de sécurité du Hamas et des centaines de personnes ont été arrêtées. Le joug du Hamas pèse aussi sur les autres organisations armées, sommées de respecter la stratégie de négociation du Hamas ; l’organisation chiite Sabireen a ainsi dû remettre ses armes au Hamas.
On assiste donc aux prémices du scénario que j’avais évoqué dans ces colonnes en septembre, au moment où le Hamas et Netanyahou négociaient discrètement un cessez-le-feu : une cisjordanisation de Gaza. Depuis des années en effet, l’Autorité palestinienne sert de supplétif à Israël en Cisjordanie et étouffe toute forme de rébellion afin de ne pas perdre les miettes de pouvoir qui lui ont été concédées. Netanyahou n’a pas trop à se soucier de faire régner l’ordre en Cisjordanie, le Président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas s’en charge pour lui…
Le premier ministre israélien veut appliquer la même stratégie à Gaza, à savoir, remettre au Hamas les rênes du pouvoir et lui concéder un allègement du blocus s’il se charge d’assurer la sécurité d’Israël. Le Hamas est pour l’instant assez docile, mais il n’est pas clair que la population de Gaza s’accommode aussi facilement de cette stratégie. Une chose est sûre : ce n’est pas par “laxisme” comme l’en accusent ses adversaires que Netanyahou cherche à maintenir coûte que coûte un cessez-le-feu avec le Hamas !