En deux numéros d’Enbata, la situation des deux pays du Royaume-Uni qui ont très majoritairement rejeté le Brexit lors du référendum du 23 juin 2016 (l’Irlande du Nord et l’Ecosse) a été présentée. Dans sa chronique précédente, j’analysais les conséquences des élections autonomiques du 2 mars en Ulster où, pour la première fois de l’histoire, les unionistes perdaient la majorité. Ce moi-ci je reviens sur les relations tendues entre Edinbourg et Londres.
Moins de trois ans après le référendum écossais de 2014 qui avait vu les partisans du maintien au sein du Royaume-Uni l’emporter avec 55% des voix, la question de l’indépendance de l’Ecosse s’est de nouveau imposée au centre du débat.
C’est la Première ministre écossaise Nicola Sturgeon qui a mis le feu aux poudres en annonçant le 13 mars dernier qu’elle comptait demander la permission à Westminster de convoquer un second référendum d’indépendance; quelques jours plus tard, le 28 mars, elle recevait un mandat en ce sens du Parlement écossais.
Coïncidence (ou pas), c’est le lendemain même que la Première ministre britannique Theresa May activait le fameux article 50 sur la sortie du Royaume Uni de l’Union Européenne.
Réponse du tac au tac de Nicola Sturgeon par un tweet accompagné d’une photo parodiant la photo officielle de May signant l’article 50 : “First Minister@NicolaSturgeon à Bute House, Edinburgh, travaillant sur la version finale de la lettre sur la Section 30 destinée à Theresa May”. Décodage : “section 30” désigne les pouvoirs autorisant la convocation d’un référendum, et Sturgeon souhaiterait leur transfert momentané au Parlement écossais comme ce fut le cas en 2014.
Pas le moment
Ce tweet parodique de Sturgeon résume la situation de manière humoristique mais parfaitement synthétique car c’est précisément le Brexit qui offre aux nationalistes écossais du SNP l’occasion de revendiquer un nouveau référendum.
Leur victoire sans appel aux élections législatives de l’an dernier s’appuyait en effet sur un manifeste sans ambigüité : “le Parlement écossais devrait avoir le droit de convoquer un nouveau référendum en cas de changement concret et significatif des circonstances qui prévalaient en 2014, par exemple si l’Ecosse était forcée de sortir de l’UE contre son gré”.
Et l’on est bien dans ce cas de figure puisque l’Ecosse avait choisi à 62% de rester dans l’UE lors du référendum sur le Brexit de 2016.
Pour Sturgeon, une nouvelle consultation s’impose donc : “Contrairement au référendum sur l’UE, il doit s’agir d’un choix éclairé. Cela signifie que les termes du Brexit et les implications et les opportunités de l’indépendance doivent être clairs avant l’échéance du référendum”.
Sturgeon souhaiterait que la consultation se tienne aussi rapidement que ces conditions le permettent, soit selon elle entre l’automne 2018 et le printemps 2019.
Le gouvernement britannique ne l’entend évidemment pas de cette oreille. Theresa May ne cesse de répéter que “ce n’est pas le moment”.
David Mundell, secrétaire à l’Ecosse au sein du gouvernement de May est plus explicite : “nous ne participerons à aucune négociation tant que le processus du Brexit ne sera pas arrivé à son terme”, ce qui repousse l’échéance au-delà de 2020.
Si May et son équipe cherchent ainsi à gagner du temps, c’est parce qu’ils tablent sur une montée de l’euroscepticisme en Ecosse. Plusieurs sondages récents tendent à leur donner raison : deux tiers des Ecossais seraient pour une sortie de l’UE ou une diminution de ses prérogatives, alors qu’ils n’étaient que 50% à penser cela en 2014. De plus, un tiers de ceux qui avaient choisi l’option indépendantiste en 2014 se sont prononcés pour le Brexit en 2016. Le calcul de May est simple : la légitimité de Sturgeon à convoquer un nouveau référendum s’effrite avec la montée de l’euroscepticisme. Il suffit donc d’attendre et de laisser la tendance actuelle se conforter.
Fin de non-recevoir
Le seul petit problème pour May est que l’indépendantisme progresse à peu près au même rythme que l’euroscepticisme. Il avoisine aujourd’hui les 50% alors qu’il était à peine de 24% à la veille de la campagne de 2014. La tendance pourrait même s’accélérer par un simple effet démographique. En 2014 en effet, l’option indépendantiste avait échoué à cause du vote des plus de 65 ans qui s’étaient prononcés à 73% pour le maintien (alors que 71% des jeunes de 16-17 ans avaient opté pour l’indépendance).
Comme Nicola Sturgeon, Theresa May n’est donc pas non plus dans une situation très confortable. A vrai dire, à vouloir soutenir le bluff de leur rivale, les deux dirigeantes semblent un peu surprises d’avoir à défendre des positions plus radicales que ce qu’elles auraient souhaité.
Sturgeon pensait que May allait lui proposer de nouveaux transferts de compétences, mais, selon ses propres termes “l’espoir qu’une offre que nous ne pourrions pas refuser serait mise sur la table ne s’est pas vraiment concrétisé”.
Le gouvernement britannique a quant à lui fait part de sa déception en apprenant que le SNP souhaitait organiser un second référendum d’indépendance avant de connaître les transferts de compétences qui lui seraient proposés après la sortie de l’UE…
Mais Sturgeon dénonce de son côté l’activation de l’article 50 qu’elle considère comme une “fin de non-recevoir des propositions de compromis” du SNP. Difficile de jauger la sincérité de ces déclarations, mais il semble clair qu’un Brexit négocié dans des termes avantageux pour l’Ecosse satisferait les deux dirigeantes et leur éviterait de se lancer dans une nouvelle bataille dont elles jugent toutes deux l’issue trop incertaine.
May et Sturgeon sont donc pour l’instant dans le même bateau, mais Sturgeon a quand même un gilet de sauvetage : un échec des négociations avec l’UE légitimerait l’organisation d’un nouveau référendum.