Christophe Cassou, climatologue et co-auteur du sixième rapport du Giec est intervenu au Camp de Formation Climat et Justice Sociale co-organisé par Bizi ! et Alda ce mois de juillet 2022. Il a souligné que même si ce dernier rapport est un coup de semonce, il n’en demeure pas moins un plaidoyer pour l’action. Il répond aux questions de Gogoeta en précisant que tout n’est pas perdu si nous agissons dès aujourd’hui, dans tous les secteurs et qu’il est important de se former aux enjeux.
Quelles sont les caractéristiques météorologiques des dernières années qui mettent en évidence le changement climatique en cours ?
Le changement climatique aujourd’hui ce n’est plus un paysage vers lequel on se dirige, il s’exprime de différentes manières, maintenant et partout dans le monde. Un des marqueurs principaux du changement climatique c’est le changement dans les événements extrêmes : canicules, pluies diluviennes, sécheresse, méga-incendies. On voit que sur ces événements extrêmes on a un changement des statistiques : la fréquence des événements extrêmes (la fréquence des canicules a été multipliée par 4 en France depuis les années 1950), la durée (les sécheresses plus longues), l’intensité (pour les pluies), le nombre de méga-feux (feux incontrôlés qui correspondent à une combinaison de facteurs : températures élevées liées à la vague de chaleur, vent, sécheresses chroniques…).
Sur le Pays Basque, les submersions marines qui affectent l’embouchure de l’Adour deviendront de plus en plus fréquentes à l’avenir et de façon inéluctable. Même si on limite le réchauffement climatique à un niveau qui correspond à l’Accord de Paris (+ 1,5 ou 2°C) le niveau de la mer va continuer à augmenter sur des millénaires.
Dans ce contexte, l’adaptation à cette nouvelle normalité semble nécessaire, mais quels sont les risques liés à se limiter à cette adaptation sans agir pour une forte réduction des émissions de gaz à effet de serre ?
Aujourd’hui on a une double injonction : s’adapter au changement climatique car les 20- 30 prochaines années sont écrites, et atténuer le changement climatique en limitant les émissions de gaz à effet de serre pour contraindre le niveau de réchauffement global. Si on contraint le niveau de réchauffement global, on contraint également le changement des statistiques des événements extrêmes : la fréquence, l’intensité, la durée, etc.
On sait aujourd’hui qu’il y a des limites dans l’adaptation. La meilleure adaptation, c’est l’atténuation du changement climatique. Car au-delà d’un certain seuil, il y a des limites à l’adaptation. Pour les sociétés humaines mais également pour les écosystèmes.
Dans les derniers rapports du GIEC, ces limites de l’adaptation ont été évaluées et elles deviennent systémiques (elles couvrent l’ensemble des secteurs) à partir de réchauffement compris entre 1,5°C et 2,0°C suivant les régions. En Europe, il existe 4 risques principaux : le risque lié aux chaleurs extrêmes, celui lié aux pénuries d’eau, un autre lié à la baisse des rendements agricoles et le risque lié aux submersions. A partir du seuil de 1,5 ou 2 °C, ces risques deviennent systémiques et concomitants. Ainsi, ils deviennent de plus en plus difficiles à gérer. Ce sont souvent des risques en cascade : une vague de chaleur a des conséquences sur l’agriculture, sur la ressource en eau, sur les rendements, ce qui conduit à des augmentations des prix et à une sécurité alimentaire plus faible, touchant les ménages les plus vulnérables et aboutissant à un crise sociale. Toutes ces crises s’expriment à l’échelle locale mais percolent à l’échelle nationale et internationale et aboutissent en fait à ce qu’on appelle les limites de l’adaptation pour le faire société actuellement.
Du 20 au 22 juin, à l’initiative de l’ancien parlementaire Matthieu Orphelin, de vous-même et du collectif Pour un réveil écologique, une quarantaine de scientifiques a proposé une formation express aux député·es sur les questions de climat et de biodiversité. 27 % des élus ont répondu présent. Pourquoi pensez-vous qu’il est important que les parlementaires soient formés ?
Il est aujourd’hui essentiel que les parlementaires et les élus dans leur ensemble soient formés. On note un déficit de littératie climatique ou de cette perception ou connaissance des causes du changement climatique (aujourd’hui l’intégralité du changement climatique est liée à l’influence humaine) et conséquemment du changement climatique et des risques associés (et en particulier de l’aspect systémique de ces risques-là). Il y a une nécessité de monter en connaissance et compétence des élus sur l’ensemble de ces risques, de les connaître pour agir et de les diminuer. La connaissance de ces risques est absolument essentielle pour l’adaptation et l’atténuation. Les enjeux climat et biodiversité doivent être considérés comme deux faces d’une même pièce par la société et les élus. Ces enjeux sont transversaux et concernent l’ensemble des lois prises par l’Assemblée Nationale et l’ensemble des mesures pouvant être adoptées à l’échelle d’une région, d’un département ou d’une commune. Les enjeux climat et biodiversité sont des enjeux démocratiques, ils touchent l’ensemble des secteurs de notre “faire société” : transport, énergie, agriculture, ressources alimentaires, les aspects sociétaux. On ne peut aujourd’hui prendre une décision sans intégrer les enjeux climatiques dans les décisions prises. Chaque élu, avant d’élaborer des lois ou de proposer des mesures, doit se poser cette question.
Si on considère l’importance des transformations structurelles et culturelles nécessaires pour préserver des territoires habitables d’après le GIEC, ne faudrait-il pas des modalités de formation plus poussées pour les élu·es, comme un plan de formation continue ?
La formation donnée aux députés est une formation “Premier Secours”, une sensibilisation. On a mis un pied dans la porte mais ce n’est pas en 30 minutes de formation qu’on intègre les enjeux climatiques. Il faut des formations plus complètes, sur des durées plus longues, avec de nombreux autres experts : des géophysiciens, des géographes, des économistes, des sociologues, des psychologues… pour connaître nos freins à l’action, les analyser, les comprendre et les dépasser. Ces formations ont été là pour montrer que la puissance publique est au service des élus : pour apporter le socle des connaissances pour l’action ! Dans cette transformation démocratique, c’est la recherche publique dans sa grande diversité qui sera utile pour permettre aux élus d’affronter ces enjeux climat dans leur complexité.
46 communes du Pays Basque se sont engagées à respecter les mesures d’un Pacte de métamorphose écologique proposé par Bizi! dans des champs d’action structurants pour être en conformité localement avec les accords de Paris. Selon vous, quelle est la responsabilité des élu·es locaux – communaux et intercommunaux – dans la lutte contre le dérèglement climatique ?
Les élus locaux font partie d’une chaîne ou d’une communauté qui va de l’international au local (communes). Chaque élu a son rôle dans cette chaîne. Aucun élu, que ce soit au niveau international ou local, n’a le choix : on ne négocie pas avec le changement climatique, avec les tonnes de CO2 émis dans l’atmosphère, on ne négocie pas avec les risques croissants et menaçants. Aujourd’hui, ne rien faire, ou l’inaction, conduit à une augmentation des risques. Au final, le coût à la fois financier, humain, social de l’inaction est actuellement plus grand que le coût de l’action.
Comment peut-on, d’après vous, favoriser la mise en action efficace et rapide des élu·es locaux ? La première règle de la prise de décisions, c’est de favoriser l’aspect inclusif de ces décisions ! Toutes les parties prenantes doivent être impliquées. Personne ne doit être laissé sur le carreau. Il ne doit pas y avoir de perdant ou de gagnant. C’est une transformation ensemble vers de nouveaux modes de vie, de nouvelles pratiques, vers le mieux faire et avec au final beaucoup de co-bénéfices. L’action contre le changement climatique n’est pas punitive, elle peut conduire à un bienêtre accentué, une vulnérabilité diminuée et à une diminution des inégalités. L’autre face de la pièce du changement climatique, c’est la dimension sociale et ses vulnérabilités. Dans les enjeux climatiques, elles sont présentes à tous les niveaux. Il faut diminuer les inégalités sociales.
La formation et la montée en compétence est une première étape absolument nécessaire. Il faut prendre conscience que les enjeux climatiques sont transversaux à tous les secteurs de la société. Mais la seule connaissance ne suffit pas pour passer à l’action. Il faut créer des imaginaires nouveaux, embarquer la population, avoir une approche réflexive, se poser la question à l’échelle personnelle ou collective : quels sont les freins à l’action, comment enlever ces freins et ses obstacles, quelles sont les valeurs touchées et qui empêchent l’action ?
On a tous des freins à l’action… on doit les dépasser pour collectivement s’engager vers un monde plus résilient, plus juste et plus éthique. Il faut aller au-delà de l’aversion au changement qu’on a tous : avoir du courage, pour s’engager vers un monde qu’on ne connaît pas forcément, créer un monde désirable, avoir de la lucidité car le déni de gravité ou de l’urgence n’est plus une option.
C’est toujours difficile de se transformer, il faut le voir comme une opportunité pour aller vers un monde où la qualité de l’air ou l’eau sera meilleure, un monde où les inégalités seront réduites… Le défi du changement climatique c’est d’enclencher ces transformations-là pour aller vers ce monde meilleur.
Ces formations ne sont elles ouvertes qu’aux élus ?
Peut on y assister en simple citoyen ?
Bonjour,
Ces formations sont plutôt adressées aux élu·es pour leur donner des outils d’action dans le cadre de leur mandat. Les citoyen·nes peuvent aussi agir en les interpelant et en leur demandant s’iels sont inscrit·es.