Sommes-nous à un moment particulier de l’histoire de la reconnaissance institutionnelle du Pays Basque ? Depuis le temps que la question est posée, depuis le temps que les acteurs du Pays Basque se mobilisent pour élaborer et proposer la formule la plus adaptée, à la fois, aux besoins de ce pays, au point de convergence de la diversité politique et à ce que la voie législative française pourrait permettre, on peut être persuadé que ce moment arrivera un jour ou l’autre et donc, pourquoi pas aujourd’hui? Le préfet a pris son bâton de pèlerin pour convaincre les élus et au-delà, l’opinion générale. Nous, qui avons quelques kilomètres à notre compteur et qui avons connu, dans des domaines différents, plusieurs moments “historiques” où chaque fois les conditions semblaient être réunies comme jamais et qui se sont traduits par autant de rendez-vous manqués, avons le droit d’être prudents et le devoir d’être lucides et raisonnablement exigeants.
Nous devons, sur ce dossier, prendre le temps de voir clair individuellement et, collectivement, tirer les leçons du passé et vérifier que notre trajectoire s’inscrit dans les fondamentaux portés par la proposition de la Collectivité territoriale.
Car la référence est la Collectivité territoriale. Je ne sais pas quelle sera la réponse que le Pays Basque apportera dans le débat actuel. Déjà, de la part de ceux qui partageaient le même projet hier, des analyses différentes s’expriment. Ceci n’est pas un problème : il faut les prendre comme des contributions. Le chemin juste est celui qui est tracé ensemble par le débat et l’expression des visions différentes. De là doit se dégager, au-delà d’une conviction, une intuition partagée.
A ce titre, je livre donc ici, quelques unes de mes réflexions.
Le passif du passé
Je considère tout d’abord, que le gouvernement, par le biais du préfet, s’adresse au Pays Basque dans des conditions qui ne sont pas propices à la confiance.
En effet, il y a un passé récent qui constitue un passif. Le travail collectif autour de la Collectivité a été unique dans son exemplarité. Il a été méprisé et humilié. Il n’a pas été pris en considération, il n’a pas eu de réponse digne du respect minimum et il y a là, de la part du pouvoir, une dette qui complique sérieusement la tâche. On me dira que l’essentiel n’est pas là ; je réponds que c’est un élément de l’essentiel et ne pas le comprendre, c’est commettre une faute politique grave.
Ceci est vrai au-delà du sujet qui nous intéresse. Dans le même registre de comportement humiliant, il y a cet aspect “voilà ce qui est bon pour vous !”, alors qu’on ne nous faisait pas attention quand on exprimait ce qui nous semblait être bon pour nous.
Un autre point qui m’inquiète, c’est le risque de déconnexion entre la population et le débat politique de l’organisation de son territoire. Une de nos richesses, c’est justement l’implication des citoyens dans ce débat. La boîte à outils que nous propose le préfet se situe dans le registre technique du mécano. La politique, définie comme projet collectif, en prend un coup. Or l’organisation politique d’un territoire est un sujet majeur de cohésion sociale et de la conscience collective.
Ici aussi, certains me diront que ce sont là des considérations immatérielles, voire poétiques, et que l’efficacité est ailleurs… Je mets en garde sur ces stratégies politiques que l’on risque de payer cher sur le plan démocratique.
A condition…
Sur le fond, il est vrai que le gouvernement propose un chamboulement de l’organisation territoriale de la France. Dans l’absolu, des opportunités nouvelles pourraient se présenter pour un temps donné, ce qui n’arrivera probablement pas tous les quatre matins. Si nous allons vers des régions moins nombreuses et plus grandes (donc, plus loin du terrain) et si la disparition des départements est programmée d’ici peu (après 2020), il est vrai qu’un Pays Basque doté du cadre institutionnel qui serait celui d’une communauté de communes unique, pourrait se positionner comme le lieu intermédiaire entre la grande région et les communes, avec ses compétences, ses moyens propres et sa représentation territoriale. On pourrait même imaginer avoir là, la photocopie de ce qu’on réclamait avec la Collectivité territoriale.
Pour que ce film se réalise, il y a beaucoup de conditions à réunir, qui ne dépendent pas de nous. Il faut que les départements intègrent leur disparition, ce qui est loin d’être évident. La veille de la prise de parole du préfet, le Conseil général votait une motion en faveur de son maintien… Cela fait déjà 14 ans (en 2000), que Pierre Mauroy, chargé par Jospin de réfléchir à une nouvelle étape de décentralisation, proposait l’effacement des départements. On voit ce qu’il en est… Il faut aussi que la nouvelle carte des régions soit acceptée : ce n’est pas gagné ! Et, dans le cas où on passerait effectivement à 13 ou 14 régions, il n’est pas exclu que les départements revendiquent d’être ce lieu intermédiaire entre les nouvelles grandes régions et les communes ou communautés de communes de terrain… Quel sera alors le sort du Pays Basque si on est toujours dans cette idée qu’il ne peut y avoir pour nous de réponse institutionnelle spécifique ?
Equation à plusieurs inconnues
Un cadre institutionnel avec les contours du Pays Basque respectés, est fondamental. Mais, ce n’est pas tout. Reste à voir ce qu’il en est des trois éléments constitutifs de la Collectivité territoriale : compétences, fiscalité propre et élection de l’assemblée au suffrage universel. Une expertise minutieuse est indispensable. Mais déjà, il paraît clair qu’en matière d’agriculture au moins, les options proposées par le préfet ne portent pas les compétences inscrites dans la Collectivité territoriale. Pourtant, elles avaient été clairement identifiées et il n’y a pas là de demi-mesures acceptables : elles ont déjà été refusées hier…
De nombreuses autres questions se posent dans cette équation à plusieurs inconnues : quelle représentation et organisation pour les territoires infra-Pays Basque ? Quelle capacité de négociation pour des compétences déléguées par plus grands et plus forts que nous : Etat, conseil régional, conseil général? Quelle marge de manoeuvre pour faire bouger des lignes dans le débat parlementaire qui s’ouvre ? Où se situe le seuil d’acceptabilité dans le processus qui s’ouvre ? L’histoire de la gouvernance du Pays Basque, avec ses rebondissements et ses débats, ressemble, quasiment en tous points, à ce que nous avons vécu avec l’histoire de la chambre d’agriculture du Pays Basque : tantôt c’était le droit commun tantôt c’était un cadre spécifique, tantôt le dossier agricole devait évoluer dans le cadre d’une évolution globale du Pays Basque, tantôt c’était le contraire… Il y avait toujours une condition considérée comme nécessaire qui n’était pas présente au moment de négocier et quand elle était remplie, c’était une autre condition qui était nécessaire !… Au même titre que pour la Collectivité, le consensus pour une chambre d’agriculture du Pays Basque était très large et pluriel… Ceci dit, nous sommes prêts à nous investir à nouveau dans le processus, élus et société civile, pour construire ensemble. Mais aussi pour exiger ensemble, car ce n’est pas vrai que tout dépend de nous et qu’on a tout pour faire ce qu’on veut… On ne va pas exonérer la puissance publique comme ça !