AB, outil vers
la refondation abertzale
par Peio Etcheverry-Ainchart
À mon sens, et les propos qui suivent n’engagent évidemment que moi, l’Assemblée générale de samedi dernier était celle d’une remise d’AB sur les rails.
Dès le début de la séance, le bilan moral l’a montré: hormis l’exercice imposé de deux élections —cantonales puis sénatoriales—, l’année écoulée n’a vu AB apparaître que par le biais de quelques communiqués de presse ou dans le sillage de dynamiques collectives telles que celle de Batera ou encore de la mobilisation anti-répressives. Une situation de blocage liée à une anomalie survenue lors de la dernière AG ordinaire, qui avait vu élire un secrétariat essentiellement constitué de membres opposés aux deux motions majoritairement votées. Les désaccords voire les crispations nées de cette situation avaient quelque peu paralysé AB, qui voyait dans le congrès de samedi l’opportunité de se re-mettre dans le sens de la marche, quelle que fût la direction de celle-ci. Le débat s’annonçait d’autant plus complexe que, marque supplémentaire des controverses internes, le thème des élections législatives générait un débat entre deux motions et pour la première fois dans l’histoire d’AB, la présence de deux listes distinctes de candidats au secrétariat.
Volonté de consensus
Pour autant, il me semble que la volonté de consensus et de préservation de l’outil AB sont les logiques qui sont sorties gagnantes de l’exercice. Avant même l’AG, un effort avait déjà été fait pour que les deux motions en présence soient fusionnées en un texte de synthèse, au moins sur la plupart des points autour desquels elles convergeaient. Restait le thème de la configuration que prendrait la participation d’AB aux législatives de 2012. Même sur ce point, je crois que le vote final a tracé une ligne commune à l’ensemble de l’assemblée; car le contenu des débats et les propos tenus par les deux tendances ont montré qu’au-delà du choix propre aux législatives, la question de la stratégie électorale tournait surtout autour du tempo et de la nature du maître d’œuvre.
Tempo d’abord, car il apparaît clair que le moment est d’abord et avant tout celui de la prise en compte du nouveau panorama: la fin de la lutte armée et les évolutions survenues au sein de la gauche abertzale dite «officielle» permettent de se dire qu’on peut enfin dépasser les clivages du passé et digérer la scission de 2001. Le sens de la motion votée par AB est bel et bien celui-là, rien ne sera plus comme avant et il est temps de se hisser au niveau du contexte actuel, probablement historique, et de se lancer dans la voie de la réunification du mouvement pour enfin être efficaces et lisibles. C’est nécessaire pour contribuer à enraciner le processus en cours au Pays Basque, ça l’est aussi pour bien préparer les échéances majeures que sont les municipales de 2014. L’aboutissement de ce processus n’est pas pour demain, tout cela prendra du temps, mais la meilleure manière d’y parvenir est de commencer dès aujourd’hui. Par ce vote c’est un appel au travail en commun qu’AB lance à ses partenaires abertzale.
Eviter de mettre
la charrue avant les bœufs
Nature du maître d’œuvre ensuite, car le sens de la motion votée n’est pas de savoir si AB doit refuser de s’allier avec un tel ou un tel, ni même de rejeter EELV dont la proximité politique est reconnue par tou- (te)s. Il s’agit bel et bien de vouloir éviter de mettre la charrue avant les bœufs, et rassembler d’abord le monde abertzale pour que celui-ci enfin réuni décide d’une stratégie commune, quelle qu’elle soit. Ce n’est que par cette réflexion collective, respectueuse de chaque sensibilité et n’excluant aucune piste —à cet égard, le veto a priori de Batasuna à toute autre formule qu’EH Bai a particulièrement agacé—, que le mouvement abertzale réussira à éviter l’éparpillement des candidatures et l’impression de confusion.
Ainsi sort AB de son AG, avec une équipe de secrétariat renforcée de 17 membres, et surtout affirmant par le vote quasi unanime de la motion de synthèse qu’au-delà de divergences sur les législatives, elle est surtout unie sur l’essentiel qui est le renforcement de l’offre politique, et particulièrement sur la validité de l’outil. À mes yeux, là réside bien le plus important.
Sortir de l’enfermement
par Jean-Marc Abadie
A l’instar de l’an passé sur le débat des cantonales, cette AG a vu émerger un débat —toujours trop court— sur l’influence et la place du mouvement abertzale de gauche dans notre société d’Iparralde. Si l’on s’accorde sur ses carences, son manque d’envergure électorale, on se met à rêver, ici, d’une vague Bildu ou Amaiur. Pour certains une simple reconstruction du mouvement abertzale de gauche y suffira, conservant ainsi son identité. Pour d’autres, il s’agit d’aller au-delà du mimétisme en construisant le mouvement abertzale progressiste en évitant son éclatement. Pour une dernière partie, il y a urgence à faire un saut qualitatif et quantitatif en agrégeant de nouvelles forces favorables à nos thèses. Si une très grande majorité de la base d’AB est d’accord à l’ouverture vers des non abertzale (notamment Europe Ecologie-Les Verts) consciente du pays dans lequel elle vit, le débat se situe sur la tactique électorale, sur la reconnaissance de territoires différenciés et de stratégies spécifiques à y exercer ou la mise en place de rapport de force interne afin d’inverser la pression que nous recevons de Batasuna. A très peu de voix d’avance, comme pour le débat préparatoire aux cantonales qui ont pourtant vu 8 cantons sur 10 perdre en voix et en pourcentage, l’alliance exclusive et uniforme AB/Batasuna rejetant la main tendue d’EELV et du Parti Occitan a remporté une petite majorité de voix. Nous avons encore manqué un rendez vous avec l’histoire du mouvement abertzale du Nord. Car il n’est pas besoin d’être grand clerc pour entrevoir les résultats des prochaines législatives. Au mieux une stagnation du score de 2007 avec une impossibilité statistique et psychologique de vouloir peser dans le débat électoral et de porter nos idées dans les camps adverses. Surtout à la veille d’un changement politique potentiel en France.
AB est à un tournant
de son existence
Notre mouvement Abertzaleen Batasuna est sûrement le mouvement le plus démocratique du Pays Basque. Nord et Sud compris. L’assemblée générale ordinaire an-nuelle est souveraine. Ses responsables y sont élu(e)s chaque année à bulletin secret ainsi que ses portes parole au sein d’un secrétariat qui sera composé cette année de dix-huit membres. Son ou parfois ses permanents sont au service de ses responsables qui composent le secrétariat. AB est à un tournant de son existence. Mouvement référent en Iparralde, il est toujours trituré entre sa volonté de garder intactes ses orientations et stratégies politiques ou son organisation démocratique et sa nécessaire évolution eu égard aux changements de l’environnement humain et de ses mœurs, à son adaptation aux nouvelles populations, à de nouvelles rhétoriques, aux recompositions politiques ou à de nouvelles priorités comme l’écologie. C’est pourquoi le nouveau secrétariat se doit de passer à la vitesse supérieure s’appuyant sur les velléités du secrétariat précédent. Grâce à la force de ses dix-huit membres et nonobstant ses axes de travail importants énoncés lors de cette AG, il pourra, s’il en a la réelle volonté, amener le mouvement abertzale à devenir la troisième force politique de notre territoire, une alternative crédible en amorçant une révolution culturelle et organisationnelle interne et externe. Pour cela, il doit repenser son organisation par no-tamment la structuration de courants de pensée différents ou la redéfinition de la place du ou des permanents salariés, avoir la politique financière de ses ambitions en levant le tabou psychologique de l’argent, fédérer et impliquer davantage ses militants qui ont un mandat électoral, élargir de façon conséquente sa base militante et se tourner résolument vers les jeunes, poursuivre et développer ses liens avec les mouvements abertzale du Sud comme avec des forces progressistes hexagonales et européennes en particulier la fédération RPS. De même il aura à s’accaparer de certai-nes thématiques internationales. Aussi bien entendu, Il se devra d’entretenir et accentuer ses relations avec des organisations non abertzale, à parler de façon différente aux 90 % de la population —majoritairement non basque— qui ne vote pas abertzale.
Coller le projet politique
aux (nouvelles) populations de la côte
En fait, AB, née d’un cheminement intellectuel prenant ses racines dans la ruralité, doit «s’urbaniser» en collant son projet politique aux (nouvelles) populations de la côte si elle veut stopper la lente régression de son audience déjà confidentielle dans les secteurs les plus urbains. Car c’est dans ces territoires que l’avenir d’Iparralde se joue. Tourner le dos à un passé idyllique et à un présent idéalisé, peser vraiment dans le débat électoral, former des cadres et des élu(e)s et s’adapter aux réalités sociologiques notamment du BAB qui re-présente la moitié de sa population… tout en effectuant un énorme travail sur son image de par la représentation connotée des abertzale voire «des basques»… ce n’est pas là, le moindre de sa mutation nécessaire. Si nous y arrivons, cela passera inéluctablement par une volonté majoritairement assumée de créer un pôle abertzale, social et écologiste. «Soyons réalistes, demandons (encore) l’impossible!».
Nouveau secrétariat d’AB
Jean-Marc Abadie; David Aire;
Michaël Alcibar; Maixan Berterretche;
Filipe Bidart; Nicolas Blain;
Jakes Bortayrou; Anize Butron;
Jean-Marc Cazaubon; Mertxe Colina;
Panpi Dirassar; Pierre Espilondo;
Peio Etcheverry-Ainchart;
Jean-Michel Galant; Joseba Garay;
Antton Harignordoquy; Mikel Ithurbide; Béatrice Peyrucq.