Pas plus qu’en 2007, je ne voterai Sarkozy. Je n’attendais rien de lui, donc il ne m’a pas déçu, et je ne peux pas lui en vouloir. Mais il me confirme dans mon refus de 2007. Il ne s’agit pas d’aversion personnelle. Je vois ses qualités de dirigeant: courage, vaillance, audace, dynamisme, liberté de mouvement… Je vois aussi les défauts correspondants: impulsion, improvisation, impréparation des projets, manque de patience et d’écoute, démagogie… Mais l’essentiel est ailleurs. Il a voulu réveiller l’initiative des citoyens. L’intention est bonne, le besoin pressant. Mais une bonne partie de ses «réformes» consiste à détricoter l’héritage du Conseil national de la résistance et du gaucho-gaullisme, en réduisant la protection sociale et les services publics de base: école, santé… Les Français ne sont pas devenus pour autant des adeptes de l’entreprenariat.
L’angle d’attaque de Sarkozy n’est pas le bon. Ce qui paralyse l’initiative, c’est le centralisme étouffant et démobilisateur de la France. Or l’actuel Président revient sur une timide décentralisation, notamment en éloignant de la base les points d’ancrage des services publics et les centres de décision territoriaux. Déjà décalés par rapport à Pau, nous voici désormais con-traints d’aller à Bordeaux pour nos dé-marches administratives.
Le manque d’écoute et le reflexe recentralisateur sont flagrants par rapport aux Basques, avec la disparition de l’entité «Pays» et le refus persistant de nous donner une autre existence institutionnelle et territoriale. Même refus en ce qui concerne l’euskara et les autres langues dites «régionales»: nous n’aurons pas la loi-cadre promise, et la Constitution ne sera pas amendée pour les reconnaître officiellement. Même passivité par rapport aux prisonniers politiques basques et au processus de paix, malgré quelques bons propos de campagne électorale: qu’attend-il pour faire ce qu’il dit? Nous voici donc soumis à la double peine: celle que subit l’ensemble des citoyens dans cette monarchie élective, plus celle qui réprime notre identité basque.
Pour autant, je ne suis pas emballé par la campagne socialiste. Sa critique du sarkozysme est simpliste, caricaturale, démagogique; sa sous-estimation de la crise économico-financière est frivole et irresponsable. Elle nous prépare très mal aux efforts que le nouveau Président ne manquera pas de nous imposer pour nous en sortir, parce que c’est inévitable. S’il ne le sait pas, c’est encore pire! Mais c’est bien connu, au second tour on élimine, et je l’ai toujours fait dès 1965 (où, démocrate-chrétien à l’époque, j’ai de plus voté Mitterrand dès le premier tour, malgré la présence de Lecanuet): je le ferai encore, en espérant malgré tout
que le nouveau Président nous entendra mieux que l’actuel, ce qui n’est pas difficile.
Au premier tour je choisirai selon mes convictions, et je voterai pour la candidate écologiste Eva Joly. Son accent ne me rebute pas, il n’est pas plus étranger que le mien. A ce sujet, je ne résiste pas au plaisir de citer un passage savoureux de l’article «Le rayon vert, Eva Joly» d’Eric-Emmanuel Schmitt, publié dans Télérama du 4 janvier 2012: «…les crétins —qui généralement ne parlent aucune langue étrangère—, au lieu d’apprécier l’hommage qu’apporte tout accent exotique à notre idiome, se moquent d’une polyglotte. En entendant leurs re-marques acerbes, j’ai l’impression d’écouter une assemblée de limaces se moquer des animaux qui ont des jambes. Devant sa double nationalité —phénomène précurseur du monde à venir—, certains éructent, puis jubilent en se désignant, eux, en tant que «vrais Français»! Comme s’ils gagnaient du mérite à être nés quelque part et à n’avoir jamais voyagé… Comme si la France «choisie» par Eva Joly ne valait pas la France «subie» qui demeure la leur. En face d’une femme qui a plusieurs cultures, ils se sentent supérieurs de n’en avoir qu’une!».
L’on me dit aussi qu’elle aura peu de voix. Ce n’est pas un argument: avec la mienne, elle en aura une de plus. Voter n’est pas un pari sur le cheval gagnant.