Malheureusement ou heureusement, car il faut bien en avoir conscience, Peio Etcheverry-Ainchart dans Enbata n°2131 a fort bien mis en situation le concept d’ethnocentrisme au travers de la chanson de Jean-Jacques Goldman “si j’étais en 17 à Leidenstadt”. Il nous explique très bien que: “La morale de cette chanson, et vérité qu’on omet si souvent de rappeler, c’est que nous sommes tous socio-centrés, fruit d’un milieu, d’une éducation, d’un conditionnement qui relativise forcément notre libre-arbitre et nos réactions face aux événements”. Il est vrai que chaque individu a tendace, de manière plus ou moins consciente, à privilégier les valeurs et les formes culturelles du groupe ethnique auquel il appartient. Personne ne peut aller contre ça. Dans le cas d’Hegoalde, Peio a mis en avant les représentations qui permettent de comprendre en partie pourquoi, à l’heure actuelle, il est si difficile de se résoudre à abandonner la lutte armée.
Iparralde et le complexe d’infériorité
En revanche dans le cas d’Iparralde, il faut tout de même se rendre compte que les réalités géopolitiques et les représentations ne sont pas encore bien en phase. Les représentations issues d’Hegoalde sont beaucoup trop nombreuses et injustifiées. Je ne peux pas nier qu’il est difficile de se construire comme un abertzale sans jamais avoir un jour à vivre un complexe d’infériorité vis-à-vis du grand frère qu’est Hegoalde. Pourquoi? Tout simplement parce que sur un certain nombre de points tels que la territorialité, la langue ou la conscientisation, ils sont certainement beaucoup plus en avance que nous. Nous jalousons, pour certains de manière assumée, pour d’autres de manière cachée, la reconnaissance territoriale et l’officialisation de la langue basque qu’ils ont réussi à obtenir ou encore l’apogée qu’a pu atteindre le vote abertzale en son temps. Sans parler évidemment du mythe romantique qui s’est constitué autour de la lutte armée. La somme de ces ingrédients a fait qu’Hegoalde est devenu l’idéal abertzale que beaucoup d’abertzale d’Iparralde vénère.
Arrêtons de fuir, assumons-nous…
Même si cette vénération est compréhensible, elle n’en reste pas moins discutable surtout si elle prend le pas sur ce que nous sommes vraiment en Iparralde. Je peux comprendre et je comprends l’admiration que l’on peut porter à un monde abertzale qui a en apparence, je dis bien en a en apparence, “réussi” et qui a obtenu ce que nous n’arrivons pas à obtenir. Mais ce n’est pas en vivant un abertzalisme de procuration que nous ferons avancer les choses en Iparralde. Il ne faut pas oublier que malgré le pays que nous formons nos contextes historiques, sociologiques et géopolitiques ne pourront jamais se superposer. Arrêtons de rouler les “r” à la bestalde, arrêtons d’écrire sur toutes nos banderoles “ekainak 24”, arrêtons de diffuser les mêmes messages qu’en Hegoalde et surtout arrêtons de dénigrer Iparralde et ses valeurs. Assumons-nous comme des Basques d’Iparralde qui œuvrons chez nous pour que la construction nationale d’Euskal Herria se fasse. Développons nos propres messages. Il faut arrêter de se reposer sur le sud et commencer à accepter le nord. Hegoalde, seul, au travers de l’incarnation du monstre sacré qu’il représente ne sera jamais en mesure de garantir l’indépendance du pays que nous voulons créer. Prenons de face la situation de l’abertzalisme sur notre territoire et arrêtons de nous reclure derrière l’icône de référence. Nous fuyons trop facilement le travail qui nous attend ici, là où nous vivons.
… et mettons-nous au travail!
Même si la société qui nous entoure reste encore assez frileuse vis-à-vis du monde abertzale et qu’elle ne peut s’empêcher de faire des amalgames aussi énormes que dramatiques, il n’empêche que nous progressons. Nous progressons peut-être plus que Hegoalde qui stagne, voire qui recule depuis quelques années. Il n’y a qu’à voir la dégringolade catastrophique du vote abertzale.
Nous avons montré, même si une partie du monde abertzale a manqué de solidarité, d’unité et de volontarisme, qu’au travers des dynamiques comme Laborantza Ganbara ou encore Batera qu’Iparralde peut encore avancer et progresser dans sa reconnaissance. Les choses ne sont pas figées, elles changent mais ce sont de longs combats à mener. Pour cela, il faut arrêter de véhiculer les représentations, les messages d’Hegoalde et il faut se raccrocher au bon wagon lorsque les opportunités se présentent. La solution est d’assumer ce que nous sommes mais pour cela il faut arrêter de se dire mollement et par confort que ça sera le sud avant le nord.
Moi, je suis né en 1984 à D. Lohitzune, je suis d’Iparralde et j’espère bien que ça sera Iparralde ET Hegoalde qui se construiront pour Euskal Herria.