C’était il y a plus de cinquante ans, mais le souvenir ne s’est jamais effacé de ma mémoire. Ce jour de mai 1956 je me suis présenté au service d’Etat civil de l’hôtel de villle d’Agen pour déclarer la venue au monde de ma fille. A la question: comment s’appellera cette petite, je réponds Mirentxu. Stupéfaction de la préposée qui se tourne vers un monsieur qui était l’adjoint au maire, lequel s’étant approché de moi m’interroge: Monsieur, êtes-vous naturalisé?
J’avoue que je n’avais pas imaginé une telle question et que l’expression de “Français à part entière” n’avait pas encore été créée. Ayant répondu que j’étais français on me déclara, alors, que le prénom que j’invoquais n’était pas autorisé. Autrement dit, si j’avais eu le statut d’étranger, le prénom aurait été admis par respect dû à la personne, mais dans mon cas ce n’était pas possible. On me mit alors entre les mains un opuscule donnant la liste des prénoms masculins ou féminins admis dans toutes les mairies de France et de Navarre.
J’examinai alors ce que je me permets d’appeler le “sanctoral républicain” et je vis avec stupeur que, à un enfant de sexe masculin, il était permis de donner le prénom de “Gracchus” en souvenir, certainement, du révolutionnaire Gracchus Babeuf dont la doctrine appelée “babouvisme” est un antécédent de communisme.
Examinant la liste des prénoms féminins, celle qui m’intéressait alors, je garde le souvenir de l’autorisation qui m’était donnée de l’appeler “Joffrette”, hommage rendu à un maréchal de la guerre 1914-1918. Il ne me semble pas, par contre, qu’était proposé le prénom de “Fochette” et encore moins de “Pétainette”; ce dernier s’il avait existé aurait été rayé après la seconde guerre mondiale.
Telle était la loi au milieu du XXe siècle, qui, fort heureusement, a été modifiée par l’acceptation de prénoms non français dans les listes actuelles, des prénoms basques, bretons, occitans, corses en particulier et, a fortiori, de prénoms dits “étrangers” c’est-à-dire correspondant à des langues dites nationales d’Etats autres que la France.
La première dame de France, ainsi désignée par traduction d’une expression an-glaise, Madame Carla Bruni-Sarkozy a donné le prénom de “Giulia” à sa fille avec certainement l’approbation de son mari. Personnellement je trouve ce prénom idoine pour une fille.
Phonétiquement il a toutes les qualités qui conviennent pour une fille. Les deux hiatus “iu” et “ia” sont précédés par deux con-sonnes sonores “g” et “l” qui confèrent à l’ensemble une douceur et une harmonie remarquables.
Ce n’est pas l’avis de tout le monde et plus particulièrement de Marine Le Pen qui a fait savoir qu’elle regrettait que Carla Bruni-Sarkozy n’ait pas donné un prénom français à sa fille. Que je sache, l’épouse du président de la République n’a pas renoncé à sa “nationalité” italienne et, en conséquence, même au milieu du XXe siècle elle aurait pu appeler sa fille “Giulia”. Combien plus en ce début du XXIe siècle grâce à la liberté accordée aux parents de choisir le prénom de leurs enfants.
Je laisse Marine Le Pen à ses regrets, fussent-ils éternels, et je me réjouis au contraire de voir progresser le nombre de prénoms basques adoptés par les parents pour leur progéniture car, si le patronyme est reçu, le prénom, au contraire, est donné et en dévoile beaucoup plus sur l’être du prénommé ou, du moins, sur le désir et la conviction des parents.